Neuf hommes comparaissent devant le tribunal correctionnel pour trafic d’armes. Entre ratés, cafouillages, faux-semblants, faux-fuyants et sarcasmes.
Le titre n’est (presque) pas de nous. Il nous a été "soufflé" par l’un des prévenus clés du procès pour trafic d’armes qui se déroule depuis ce mardi devant le tribunal correctionnel de Lyon.
S’il ne s’agissait pas d’un trafic d’armes, on pourrait en effet presque en rire.
En novembre 2012, une armurerie à Villette-de-Vienne est braquée par plusieurs individus encagoulés et gantés, après séquestration musclée de la famille du gérant. 247 pistolets et fusils automatiques, carabines, fusils à pompe, pistolets-mitrailleurs, kalachnikov sont dérobés. Faute d’avoir pu identifier les auteurs du vol à main armée, l’information judiciaire a en revanche établi l’une des filières de recel de ces armes. C’est l’affaire qui est jugée à Lyon.
Le théâtre au tribunal
Neuf personnes sont prévenues, dispatchées en deux équipes : une grenobloise et une autre parisienne. La première est censée vendre, la seconde acheter. À leur tête, deux habitués des parloirs autour desquels gravite une petite troupe, quasi théâtrale au vu des faux-fuyants et des faux-semblants adoptés par chacun pour se dédouaner et éluder ses responsabilités.
Il y a la nourrice présumée du stock d’armes, un quinquagénaire en situation précaire dont l’ADN a été retrouvé sur des armes et qui soutient qu’on aurait pu lui en vouloir au point de mettre ses empreintes sur les armes au cas où la police les découvre pour lui faire porter le chapeau.
Il y a le supposé conducteur de la voiture porteuse, qui se défend en disant qu’on lui avait proposé une virée à Grenoble, lui ayant accepté en expliquant qu’il n’avait de toute façon pas d’autre chose à faire. Il bredouille qu’il a payé les péages avec l’argent qui aurait dû lui servir à acheter un landau à sa fille.
Il y a le plus jeune (24 ans) de l’équipée sauvage, passager de la Clio porteuse des armes et vivant de petits trafics. Aux questions du président du tribunal, il ne répond pas, semble paniqué. Aux policiers, il a dit avoir fait ce voyage pour rembourser un homme dont il avait accidenté la Ferrari… "Tout le monde dit ça dans le quartier…", entendra-t-on. En d’autres termes, une sorte d’alibi des cités.
Il y a le probable commanditaire des armes. Un athlétique trentenaire de Seine-Saint-Denis, "sans profession", multirécidiviste du trafic de stupéfiants, qui ne comprend pas ce qu’il fait dans le box des accusés – mais dont personne n’ose croiser le regard.
Il y a deux cousins, proches du principal prévenu, soupçonnés d’avoir aidé, pour l’un, accompagné pour l’autre, ce dernier dans la transaction des armes.
Keyser Söze
Justement, l’accusé clé du procès. Un homme de 36 ans, qui ne porte pas l’habit du trafiquant d’armes tel qu’on pourrait se l’imaginer. Le cerveau, pourrait-on dire, ne serait-ce que du point de vue intellectuel. C’est lui qui a lancé au président “On aurait dit Les bronzés font un go-fast… ”, se gaussant de la mésorganisation, des ratés, des cafouillages, de l’amateurisme parfois du convoi transportant les armes. "Ça fonctionne comme ça dans les Hauts-de-Seine ?!" ironisera même le président, égrenant sa plaidoirie de références aux "nombreux Keyser Söze" dans ce dossier, le personnage fictif du film Usual Suspects (joué par Kevin Spacey). "Comme lui [Keyser Söze, NdlR], rien de ce que certains prévenus disent n’est évident…"
La seule évidence, c’est ce qu’a conclu le président à l’issue de cette première journée de procès : "Si, du point de vue des défenses, il y a de l’enfumage de tribunal, c’est un risque"…