La famille d’Emilie G. réunie au moment du verdict, soulagée. (@NC)

Lyon : pas de prison ferme pour la jeune-femme qui avait tué son grand-père grabataire "par amour"

Ce jeudi 3 octobre à Lyon, la cour d'assises du Rhône a condamné Emilie G. à cinq ans de prisons avec sursis pour l'assassinat de son grand-père qu'elle qualifiait de geste "d'euthanasie"

Il y aura eu des larmes, beaucoup de larmes tout au long des ces deux jours intenses d'audience qui ont réveillé la question de la fin de vie, alors que le premier ministre a annoncé vouloir "reprendre le dialogue" pour la création d'une aide à mourir.

La cour d'assises du Rhône a finalement décidé de condamner Emilie G. à cinq ans de prison entièrement assortis d'un sursis probatoire. A 32 ans, cette ancienne professeure d'espagnole, mère de deux enfants, échappe donc à la prison ferme qu'elle encourait la perpétuité pour avoir assassiné son grand-père grabataire de 95 ans le dimanche 23 août 2020 mais devra respecter une obligation de soins. Un "geste d'amour" se défendait-elle, indiquant avoir voulu mettre fin à ses souffrances. Elle expliquait à ses enfants : "J'ai aidé grand-papi à monter vers les étoiles." La présidente a toutefois tenu à préciser que les faits avaient été "considérés comme particulièrement graves" : "Vous avez cinq années de prison au-dessus de la tête."

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"Ma méthode n'était pas la bonne, c'était un homme digne et sa mort n'a pas été à l'image de sa vie"

A moitié aveugle depuis un AVC oculaire, et totalement dépendant depuis plusieurs années, il dormait dans la chambre médicalisée que sa fille Elisabeth G. lui avait aménagée dans sa maison de Saint-Laurent-de-Mure dans le Rhône. Le soir du drame, sa petite-fille Emilie avait pris la route en direction d'un fast-food avec ses deux enfants, quelques heures après avoir appris que son conjoint l'avait trompée.

Elle s'arrête alors au niveau de la maison de ses parents, se saisit d'un bidon d'essence qu'elle avait préalablement mis dans le coffre de sa Toyota Corolla, puis en asperge "sans regarder" dans la chambre où dort son grand-père, qu'elle considère "comme (son) père", avant de mettre à feu le carburant à l'aide d'une feuille de papier. Le vieil homme, originaire d'Espagne et orphelin depuis ses quatre ans, meurt intoxiqué et brûlé, lui qui avait fui le franquisme et survécu à la seconde guerre mondiale.

En requérant une peine de 15 ans de réclusion criminelle, l'avocat général avait pourtant a été particulièrement dur à l'encontre de l'accusée, décrite ce jeudi matin par l'experte psychologue comme "dépressive de longue date" au moment des faits. Ce dernier a ainsi lancé, sous les regards rougis par le chagrin des membres de la famille : "Elle l'a incinéré et elle l'a gazé, ça, ce sont les méthodes de camps de concentration", alors que l'accusée et son oncle avaient la veille décrit le patriarche comme un détenu de camp de concentration en raison de son état de santé déclinant de jour en jour.

"Ce n'est pas possible d'euthanasier quelqu'un alors qu'il n'a pas exprimé sa volonté de mourir"

"Je vais vous rassurer, que ce soit en 2005 (loi Leonetti, Ndlr), en 2016 (loi Claeys-Leonetti, Ndlr), en 2024 avec un nouveau projet de loi, en Suisse, au Canada ou en Belgique, ce n'est pas possible d'euthanasier quelqu'un alors qu'il n'a pas exprimé sa volonté de mourir", a tancé l'avocat général. Si tous les membres de la famille, notamment son fils, expliquent que Manuel A. demandait régulièrement "quand est-ce que le Bon Dieu viendra (le) chercher", aucun n'a été en mesure de confirmer qu'il avait effectivement fait une demande explicite pour être tué. Une certitude néanmoins anime l'unité inconditionnelle de la famille : le vieil homme souffrait. Ses cris - "viens me chercher, viens me chercher" - adressés à sa femme, décédée à la fin des années 90, rythmaient les nuit des parents et de la sœur d'Emilie.

Mais malgré la "tendance à s'effacer pour les autres" de l'accusée, décrite par des témoins et confirmée par les experts, l'avocat général a déploré un geste "égoïste et cruel", motivé par "la colère de l'adultère". Ce que l'experte psychologue tendait à confirmer, expliquant que la discussion agitée qu'avait eu Emilie G. quelques heures auparavant avec son conjoint avait pu être "déterminante" et agir comme "un déclencheur".

C'est pourtant bien la défense qui a emporté la conviction des jurés, elle qui les avait invités à prononcer "une peine adaptée", "au vu de cet acte d'humanité absolue". C'est notamment le lien fort, qui unissait Emilie et Manuel qui a pu convaincre le jury. Celui d'un "amour inconditionnel" d'un grand-père pour sa petite-fille, lui qui l'avait élevée jusqu'à ses trois ans, et dont elle voulait "honorer la mémoire" en enseignant l'espagnol en tant que contractuel précaire et malgré de nombreux échecs au Capes. "Tu m’as recueilli comme ta fille", écrivait-elle ainsi pour les obsèques de ce "colosse inébranlable", dans une lettre lue par la présidente de la cour sous les yeux rougis par le chagrin d'Emilie G. "Tu es libre, fini de lutter. J’espère que depuis les étoiles, tu seras fier de moi".

"La France est un pays assez développé, assez humain, assez solidaire pour aider les personnes à mourir dignement"

"Qui peut soutenir que volontairement, Emilie G. voulait brûler son grand-père ? Est-ce qu'on a vu pendant deux jours un acte cruel et égoïste ?" a interrogé son conseil, maître Thibaud Claus, la jeune femme assurant qu'elle voulait asphyxier Manuel A. "pour qu'il meurt dans son sommeil". Ne niant pas "la goutte d'eau" qu'a pu constituer quelques heures auparavant l'annonce par son conjoint d'un adultère, ce meurtre que toute sa famille a décrit comme un "geste d'amour", voire "un sacrifice", pouvait notamment trouver sa source dans la dernière visite d'Emilie G. au domicile de ses parents a-elle-expliqué.

Ce jour de juillet 2020, elle pénètre avec une amie ambulancière dans la chambre où dormait son grand-père et découvre l'état de grabatisation avancée de son modèle. "J'ai soulevé la couverture, j'ai vu des os, de la peau qui pendait sur des os. Ce que j'ai vu, c'est un vieux fœtus", se souvient-elle, en larmes. Cette image sera son dernier souvenir de l'homme qui l'appelait "mi hija", ma fille en espagnol.

"C'était presque un geste suicidaire. L'usage du feu m'a fait penser à la politique de la terre brûlé"

Quant au mode opératoire et à la précipitation du geste, sans discussion avec ses proches, l'experte psychologue a décrit une famille dans laquelle "ça ne parlait pas de fond". "Emilie elle-même le disait, on pratiquait la politique de l'autruche", décrit-elle encore. Une famille pourtant soudée dans laquelle on préférait taire les sujets difficiles. "Parler, c'est faire exister", résumait Emilie G. dans un interrogatoire au cours duquel elle aura fait preuve d'une grande lucidité, alors que la présidente, puis l'avocat général tentaient de comprendre pourquoi la question des directives anticipées pour la fin du vie du patriarche n'avait jamais été discutée en famille. "C'était presque un geste suicidaire. L'usage du feu m'a fait penser à la politique de la terre brûlé", tente d'analyser prudemment l'experte. L'accusée ne donnera pas plus d'élément pour expliquer la méthode, assurant en sanglots : "Je ne voulais pas le brûler. Je pleure tous les jours sa mort."

"Elle était dans un état de dissociation, elle agissait de façon automatique, avec une altération du discernement", appuie quant à lui l'expert psychiatre, contredisant l'expert incendie qui, la veille, voyait dans ce geste une méthode bien rodée. La voix posée, Emilie le reconnaît : "Ma méthode n'était pas la bonne. C'était un homme digne, sa mort n'a pas été à l'image de sa vie." Elle qui, à 32 ans, dit regretter le meurtre de son grand-père qu'elle a voulu libérer, tout en soulageant ses parents et sa sœur du fardeau qu'il était devenu pour eux, a eu l'occasion d'appeler à une évolution du cadre légal : "J'aimerais qu'une loi passe. Pour moi, l'aide médicale, c'est aider réellement à partir, avant l'heure naturelle. La France est un pays assez développé, assez humain, assez solidaire pour aider les personnes à mourir dignement."

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