L’avocat du cardinal Barbarin a une nouvelle fois demandé aux juges de s’extraire du contexte médiatique de ce procès. “L’émotion ne crée pas le droit”, a-t-il martelé. Pour le ténor du barreau lyonnais, de toute façon, les faits “sont prescrits”, “ne concernent pas son client” et sont couverts par “le secret professionnel”.
Chaque matin depuis lundi le cardinal Barbarin arrive au tribunal entouré de deux gardes du corps. Les deux personnes chargées de sa sécurité sortent du prétoire quand résonne la sonnette annonçant l’arrivée des trois juges. À partir de là, c’est au tour de ses deux avocats d’assurer sa défense. Ce jeudi, Jean-Félix Luciani a été le premier à plaider pour lui. Avant même qu’il prenne la parole, la taille et la réputation de l’avocat en imposent déjà. Son épitoge tombe devant son épaule gauche. Un épais dossier est posé devant lui. Il entre rapidement dans le vif et questionne : “Philippe Barbarin répond-il aujourd’hui de fautes pénales ou de fautes de gestion dans son diocèse ? Est-il poursuivi pour lui-même ou comme incarnation de l’Église, d’un système, d’une institution ? Est-il là pour lui-même ou pour quelque chose de plus grand que l’on souhaite poursuivre du côté des parties civiles ?” La voix de l’avocat porte. Il cite Kant : “Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.” Il dénonce “les torrents de boue reçus par le cardinal, devenu le symbole presque mondial de la pédophilie. On déverse des torrents de boue sur lui”. Puis il pointe du doigt les six personnes citées. “Sont-ils là comme des fins ou comme des moyens ?” interroge-t-il. Face à l’émotion évidente suscitée par les débats de ces derniers jours, l’avocat en revient comme chaque fois au droit. “Ici, je ne fais pas un sermon, je plaide”, lance-t-il.
“Cette procédure était de trop”
Jean-Félix Luciani déroule ses arguments juridiques. Il tient ses documents dans la main droite, la gauche sert aux effets de manche. L’omission de porter secours ? “Elle ne tient pas deux secondes. Quand quelqu’un a un accident de voiture, il y a préjudice si la personne qui est témoin ne me porte pas immédiatement secours. Là, les faits se passent dans les années quatre-vingt, je ne vois pas comment ils auraient pu aider.” La non-dénonciation ? “Il n’y en a pas une ligne dans la citation.” Le préjudice ? “Les parties civiles n’en allèguent pas et vous demandent à vous, madame la présidente, d’en remplir la case.” Quant à la prescription, “le droit pénal est un droit de liberté, dit-il, ce n’est pas de décider à la place des autres. La non-dénonciation des faits est un délit instantané qui protège un mineur ou une personne vulnérable. Or le cardinal a fait face à quelqu’un de 41 ans en possession de tous ses moyens”.
L’avocat se tourne alors vers les parties civiles. “J’ai été soulagé d’entendre ce que vous aviez à dire et bouleversé par ça. Je dis que vous avez fait avancer les choses, mais je dis aussi que cette procédure était de trop.” Puis vers la juge. “Jusqu’où vous demande-t-on d’aller au nom du juste et de l’émotion ? L’émotion ne crée pas le droit et le droit n’a pas à en dépendre.” Sa plaidoirie est rythmée, il ne cherche pas ses mots, tout juste ses pièces de jurisprudence ou de doctrine dans son dossier. Il se dit “blessé” d’avoir entendu un de ses confrères “injurier son client en le traitant de menteur”. “Une volonté de diaboliser et un signe de votre impuissance dans un dossier qui vous échappe”, tacle-t-il.
“Vous ne pourrez pas le condamner”
Face au reproche d’utiliser le droit au silence et le secret de la confession comme argument juridique, il s’emporte. “Dans notre époque de transparence qui va faire tout brûler, le secret, ce n’est pas populaire. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne dans nos pays démocratiques. Quand le cardinal reçoit chaque personne [dans le dossier, NdlR], c’est en temps qu’évêque ? Est-ce qu’ici on s’est adressé à lui autrement que dans le cadre de son sacerdoce ? Pour l’avocat que je suis, le secret veut dire quelque chose. Donc, il n’y a pas d’infraction possible, depuis le départ. Vous ne pourrez pas le condamner.” Malgré ce secret, Me Luciani se félicite de la volonté du cardinal de “tout dire”. “Tous les éléments, même ceux qui le chargent, c’est lui qui les a donnés, en ouvrant les portes de son diocèse, de son bureau”, dit-il. Même s’il concède des “erreurs de gouvernance”. “Le cardinal dit “Aujourd’hui je procéderais différemment, on s’est trompé”. Mais est-ce une faute pénale ?” questionne l’homme de robe. S’il admet que son client “aurait dû poser plus de questions à Preynat en 2010”, “il ne l’a pas fait parce qu’il n’aurait pas pu imaginer que ça puisse être des choses pareilles”, assure-t-il. “Il n’a eu une connaissance certaine des faits qu’en 2014”, affirme-t-il.
Mais pourquoi le cardinal Barbarin a-t-il mis de longs mois pour écarter Preynat ? “Ça ne concerne pas M. Barbarin”, balaye d’une main l’avocat, qui se fait plus grinçant. “J’ai du mal à entendre que neuf mois c’est long, peut-être à cause de ma fréquentation des couloirs de la justice… Parce que, dans ce domaine, on n’est pas bien placé pour faire des leçons.” Pourtant, le prêtre pédophile était dangereux, assurent les parties civiles. L’avocat s’emporte une nouvelle fois. “Tant que j’aurai un souffle de vie et cette robe, je me battrai contre le fait de dire que Preynat est toujours coupable et qu’en trente ans il n’a pas évolué. Le cardinal a fait un choix. On ne prend jamais de risque avec la répression, on en prend avec la liberté. C’est pour cela que je souhaite la relaxe. Il a eu des défaillances, mais n’a pas commis de faute pénale. Il n’a jamais cherché à couvrir quoi que ce soit.”