Les trois premiers jours d’audience du procès de Nicolas Bonnemaison ont été riches en moments intenses. L’ex-urgentiste de l’hôpital de Bayonne est accusé d’avoir attenté à la vie de sept de ses patients. Le débat autour de l’euthanasie s’est de nouveau ouvert. Inévitablement. Mais, avant tout, il y a un homme et des familles confrontés à la mort.
1 - “Un homme professionnel”
Nicolas Bonnemaison apparaît comme une personne fragile, mais aussi humaine et passionnée par la médecine. Né d’un père chirurgien et d’une mère infirmière, il consacre sa vie à son métier et se passionne très vite pour l’encadrement des patients en fin de vie, un thème qui fera l’objet de sa thèse de fin d'étude. Marqué par la séparation de ses parents, par le suicide de son père et celui de sa sœur, Nicolas Bonnemaison rencontre Julie, sa femme, en 1994. Ils se marient vite et ont deux filles.
Nicolas Bonnemaison devient urgentiste à l’hôpital de Bayonne et occupe la fonction de chef de service pendant 4 ans. Il doit quitter son poste, "épuisé". Il entre alors dans une phase de dépression, dès 2006, jusqu’en 2009. À la barre, il dévoile sa vie, décidé à s’ouvrir : "J’étais épuisé, j'étais écrasé par les responsabilités." Il a une aventure extra-conjugale – "c'est la conséquence de mon mal-être". Il demande même à être hospitalisé en 2009. L'ancien directeur de l'hôpital, qui l'a connu pendant dix ans, ne tarit pas d'éloges sur ce professionnel "sérieux et humain". Cet actuel dirigeant du CHU de Caen a même signé une pétition pour protester contre sa radiation du conseil de l'ordre des médecins.
2 - “Il a raccourci des agonies”, selon Julie, son épouse
Cette femme apparaît comme un roc. Médecin-anesthésiste, Julie Bonnemaison apparaît réfléchie et solide. Elle soutient fermement son époux : "Je ne pense pas qu'il soit un assassin. Je pense que c'est un bon médecin. Il n'a pas mis fin à des vies, mais il a raccourci des agonies", affirme-t-elle.
Elle défend son mari avec force, répète qu'il n'a pas fait de tentative de suicide, minimise son état dépressif, affirme que les faits reprochés à son mari sont "communs" dans les hôpitaux. Pendant ces trois jours, elle reste bien sûr dans la salle d'audience, suivant attentivement les débats.
3 – “Je voulais vous rencontrer, je ne vous ai pas vu”
Au deuxième jour du procès, un moment que seul un procès d’assises peut créer se produit entre Nicolas Bonnemaison et la famille de Christiane Iramuno. Sans pour autant porter plainte, celle-ci s’est portée partie civile, "pour mieux comprendre et avoir des réponses".
"Je suis bouleversé par votre témoignage, j’espère que vous avez acquis la conviction que c’était mon devoir de vous protéger, avance le médecin après le récit émouvant du fils lors de l'hospitalisation de sa mère. Vous avez été écouté, il n’y a pas eu d’acharnement thérapeutique.
– J’entends bien ce que vous avancez, mais je voulais échanger avec vous, je voulais vous rencontrer, je ne vous ai pas vu, répond Pierre Iramuno.
– Je comprends.
– Je vous ai entendu, je ne comprends toujours pas, vous n’avez préservé personne ! On est des êtres humains, on fait des erreurs, à un moment il faut assumer, poursuit Pierre Iramuno.
– J’essaie d’assumer.
– Vous êtes également en souffrance.”
La belle-fille de la victime est également intervenue. Avec dignité, mais sans haine pour l’accusé, elle s’adresse à lui :
"C’est un énorme gâchis, il suffisait d’en parler, lance-t-elle, avec impuissance.
– Je suis un homme incapable d’avoir du mépris, tout ce que je souhaite c’est que vous me compreniez un peu mieux, dit Bonnemaison, comme dans une prière. J'ai généré de la souffrance en croyant vous l’épargner. Dans le cas particulier de votre belle-mère, je me suis trompé."
Dans cette réponse de Nicolas Bonnemaison, il y a comme un aveu d’avoir mal agi sur son manque d’explication auprès de la famille.
4 – “Pourquoi est-il dans le box des accusés ?”
Le troisième jour apparaît nettement plus favorable au docteur Bonnemaison. À la barre, Viviane C. raconte la longue maladie de sa mère, depuis 2006. Cette femme, enseignante, décrite comme “brillante et vive”, a vu sa santé brutalement décliner. "La maladie de ma mère a été plus traumatisante que son décès", affirme Viviane C. Pour elle et son mari Patrick, la place du docteur Bonnemaison n’est pas dans le box des accusés. Plus largement, cette femme de 62 ans estime que la loi Leonetti n’est pas bonne : "On doit donner une vraie liberté aux personnes qui désirent mourir."
Son frère, Didier T., va plus loin : "Je pense que le docteur Bonnemaison n’a pas contribué plus que de nature au décès de ma mère. Et, si cela avait été le cas, j’aurais été d’accord."
5 – “Merci, docteur”
Patricia Dhooge, l’épouse de Fernand Dhooge, a toujours témoigné son soutien au docteur Bonnemaison. Une nouvelle fois, à la barre, elle a tenu à le remercier : "Docteur, merci. Je vous dis vraiment merci." Le médecin est ému, un sourire crispé. "Je dois lui dire merci", explique-t-elle en s’adressant au président de la cour d’assises.
La fille de Fernand, Isabelle, a tenu également à s’expliquer. Elle ne parle plus à sa belle-mère Patricia depuis la mort de son père et n’avait jamais été alertée de l’enquête. Pourtant elle était bien présente le jour du décès de son père à l’hôpital de Bayonne. Mieux, elle explique : "Mon père voulait être euthanasié." Le docteur Bonnemaison "a accepté notre demande". Elle lui a même précisé de ne pas injecter du chlorure de potassium. "Je vous le promets", aurait répondu le docteur Bonnemaison. Elle remercie le médecin "d’avoir fait partir [son] père dans la dignité".
Après ces moments d’émotion, ces explications autour de la mort, la souffrance et la délivrance qu’elle peut générer, la semaine prochaine sera, notamment, consacrée à la discussion voire au décryptage de la loi Leonetti, avec la venue du député des Alpes-Maritimes, père de la loi. Bernard Kouchner et Michèle Delaunay, tous deux anciens ministres (de la Santé pour l’un, des Personnes âgées pour l’autre), seront entendus vendredi prochain.