Il y a maintenant deux ans, Laura Pfieffer travaillait sur la dénonciation d’un accord illégal sur le temps de travail chez Tefal à Rumilly (74). Elle comparaît ce vendredi devant le tribunal d’Annecy en compagnie d’un informaticien de l’entreprise, pour violation du secret professionnel et recel de courriels de la société. Une forte mobilisation des syndicats est attendue pour protester contre un procès qu’ils jugent “scandaleux”.
En janvier 2013. Laura Pfeiffer, inspectrice du travail, travaillait sur l’irrégularité dans l’accord sur les 35 heures de l’entreprise Tefal de Rumilly (Haute-Savoie) qui emploie 1800 salariés. Elle formule alors une demande de renégociation de cet accord, potentiellement très onéreuse pour l’entreprise. Le 19 avril de la même année, l’inspectrice est convoquée par le directeur départemental du travail, son supérieur hiérarchique, qui lui impose de changer sa position sur l’accord critiqué.
Après plusieurs mois en arrêt maladie, Laura Pfeiffer reçoit un mail anonyme contenant des documents confidentiels qui prouveraient les pressions exercées par l’entreprise Tefal et par le Medef (via l’UIMM de l’Ain) sur la direction de l’inspectrice. Ce message provient d’un informaticien travaillant chez Tefal, aujourd’hui sur le banc des accusés.
Le mail, publié par L’Humanité et Libération, fait état de plusieurs rendez-vous entre l’entreprise, les renseignements généraux et Philippe Dumont, le directeur départemental du travail, peu de temps avant la convocation de l’inspectrice du travail, en avril 2013.
Un jeu d'influence “pour essayer de faire taire l’inspectrice”
Laura Pfeiffer saisit alors le Conseil national de l’inspection du travail, qui rend un avis limpide : “Tant l’entreprise [Tefal, NdlR] que l’organisation patronale [le Medef] qu’elle a sollicitée ont cherché à porter atteinte à ces exigences en tentant d’obtenir de l’administration [la préfecture] et du responsable hiérarchique le changement d’affectation de l’inspectrice et par là même la cessation de l’action de contrôle à l’égard de l’entreprise.”
Contacté par Lyon Capitale, le secrétaire général de la CGT de Haute-Savoie, Pierre Solvas, résume ainsi cette décision : “En clair, la direction de Tefal a joué de son influence avec la préfecture et la Direcct* pour essayer de faire taire l’inspectrice.”
L’affaire n’aurait pas fait tant de bruit si, en mai dernier, le parquet d’Annecy n’avait décidé de poursuivre l’inspectrice du travail et l’informaticien à la suite d’une plainte de l’entreprise Tefal. Une poursuite dont le timing dérange. Pour Pierre Solvas, l’instruction a été étonnamment rapide : “L’affaire [a été] introduite en justice en trois semaines alors qu’en général ça prend plus d’un an.”
Elle devait être jugée le 5 juin dernier, mais le procès a été reporté à ce vendredi 16 octobre. Entretemps, le procureur a fait parler de lui en déclarant qu’“il [fallait] faire du ménage dans l’inspection du travail”, que “les jeux d’influence des grands groupes [étaient] classiques” et que “l’on n’[était] pas dans le monde des bisounours”. Des propos sur lesquels il est revenu par la suite, mais qui ont fortement froissé les syndicats. Syndicats de nouveau vent debout depuis ce mardi et la décision du même procureur de classer un PV de Laura Pfieffer sur une entrave au CHSCT à l’encontre de l’entreprise Tefal. “C’est une façon de la décrédibiliser avant le procès”, s’est indigné Yann Dufour, inspecteur du travail à Lyon.
Une pression de plus en plus grande sur les inspecteurs du travail
L’informaticien a depuis été licencié par l’entreprise Tefal pour faute lourde. Outre la poursuite au pénal, il est aussi devant les prud’hommes pour faire requalifier son licenciement, jugé abusif. Quant à Laura Pfeiffer, elle “a été particulièrement abattue par cette affaire parce qu'elle a fait son travail comme habituellement et d'un coup elle est tombée sur ces documents qui l'a mettaient en cause pour la faire taire”, nous a confié une source proche de l’inspectrice du travail. “Ça l'a particulièrement choquée”, poursuit la même source. Un malaise profond et une situation fragilisée pour l’inspectrice au sein de son département : “Sa direction au ministère du Travail s'est durcie vis-à-vis d'elle. Elle a été en arrêt de travail pendant longtemps.”
Ces pressions n’étonnent pas Yann Dufour : “À force de dire que le coût du travail est un frein à l’emploi, on a décrédibilisé le Code du travail, et les gens qui l’appliquent sont aussi décrédibilisés. Aujourd’hui, les pressions remontent au préfet et à sa hiérarchie. Ces derniers sont obligés d’inverser la courbe du chômage. Et Tefal est une grosse entreprise dans la région.”
* Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
Justice de classe ?On marche sur la tête. Celui qui dénonce un non respect de la loi se trouve devant les tribunaux. Seuls les sans-dents devraient donc respecter la loi ? Qu’en est-il des puissants à col blanc ou à cuillère d’argent ?