Les auteurs présumés d’un meurtre qui ont avoué sur dénonciation quinze années après les faits vont peut-être échapper à un procès. En cause, le dossier d’une plainte de la famille de la victime en 2008 a été perdu dans les archives des tribunaux de Villefranche-sur-Saône et de Chalon-sur-Saône.
En 2001, Mohamed Abdelhadi, âgé de 27 ans, disparaît à Villefranche-sur-Saône. Sa famille croit dans un premier temps que Mohamed a refait sa vie. Elle signale cette disparition à la police, placarde les murs d’affiches avec la photo de Mohamed, multiplie les recherches entre le Beaujolais et Chalon-sur-Saône, recourt à un détective, participe à une émission de télévision algérienne sur les disparations… en vain. Après plusieurs refus de la part de la police et l’envoi de nombreux courriers au commissariat de Villefranche-sur-Saône, la famille réussit à déposer une plainte pour "disparition inquiétante" en 2008. De nouvelles investigations sont menées par les enquêteurs. Le dossier est aussi transmis au tribunal de Chalon-sur-Saône, en raison de pistes possibles. Mais là encore, l’enquête n’aboutit pas. Les conclusions des recherches expliquent que Mohamed s’est racheté une identité, qu’il n’y a aucune trace de lui à la CPAM, dans les services administratifs et aucun mouvement sur son compte bancaire. Mais la famille de la victime ne baisse pas les bras et continue à chercher le disparu.
Rebondissement 15 ans plus tard
En 2015, les confidences d’une femme aux gendarmes relancent l’enquête. Un homme de 61 ans est mis en examen puis écroué pour meurtre. Ses deux fils, âgés de 31 et 36 ans, sont placés sous contrôle judiciaire, pour complicité et recel de cadavres. Les trois hommes finissent par avouer. Le 20 juin 2016, l'annonce tombe: Mohamed Abdelhadi a été tué le dimanche 9 décembre 2001. Son corps a été caché durant sept années dans une cave avant d'être enseveli en 2008 dans un bois du Beaujolais où l'on retrouvera ses ossements le 21 juin 2016. La famille, qui croyait que Mohamed avait refait sa vie, est abasourdie par la nouvelle.
Perte de la plainte
Pour les crimes, le délai de prescription applicable est de dix ans. Pour allonger celui-ci, il faut un "acte interruptif", soit un nouvel élément dans l’enquête qui permet de la relancer et donc d’interrompre la prescription. Cet "acte interruptif", c’est la plainte de 2008 déposée par les parents de la victime. Celle-ci occasionne de nouvelles investigations dans le cadre de la disparition de Mohamed Abdelhadi. Cependant, la plainte du 17 février 2008 enregistrée à Villefranche-sur-Saône a été perdue. Il ne reste que des traces informatiques de son enregistrement avec un numéro de parquet, mais aucune pièce de procédure ni à Villefranche-sur-Saône ni à Chalon-sur-Saône. Le juge d’instruction est allé entendre les personnes qui ont rédigé la procédure en 2008. Selon David Metaxas, l’avocat de la famille, les policiers ont affirmé avoir rédigé la procédure en 2008 au juge d’instruction.
Recours à la prescription
En janvier 2017, la famille de la victime reçoit des notifications de rejet de demande de prescription de l’action publique. La justice reconnaît enfin Mohamed Abdelhadi comme victime d’homicide. Le soulagement de ses proches n’est que de courte durée. En février, les auteurs présumés font appel de la décision de premières instances. Selon leur avocat, les traces informatiques ne sont pas suffisantes et réclame l’annulation de la procédure. Aujourd’hui, la famille ne comprend pas comment les dossiers ont-ils pu se volatiliser de deux commissariats dans deux villes différentes. "On ne peut pas payer les conséquences d’une négligence", explique une des sœurs de la victime. Pour l’avocat de la famille c’est le recours à la prescription qui soulève des questions : "Comment imaginer que quelqu’un qui a pris un soin particulier à faire disparaître un corps se drape de sa propre turpitude. Cette personne nous dit : mon crime était tellement parfait qu’aujourd’hui c’est prescrit. C’est une blague. Imaginer le message que vous envoyez à la société toute entière. Il suffit de faire disparaître un corps pour s’en sortir ? Pour nous, c’est inimaginable."
"Ce n’est pas possible qu’un meurtrier soit libéré dans des circonstances pareilles. Ce serait un séisme judiciaire à Lyon"
Si la famille redoute une décision en leur défaveur, leur avocat David Metaxas est serein à quelques jours du délibéré. "La position du juge d’instruction est la bonne. Les débats qui ont eu lieu devant la cour ont montré la limite du raisonnement de l’avocat de la défense. La cour lui a demandé s’il remettait en cause l’existence de la plainte et de la procédure d’enquête. L’avocat lui-même a reconnu que celle la existée formellement", explique-t-il avant d’ajouter: "Si la cour d’appel devait juger que la procédure est prescrite, ce serait un échec majeur de l’institution judiciaire pour ne pas dire un scandale national. Ce n’est pas possible qu’un meurtrier soit libéré dans des circonstances pareilles. Ce serait un séisme judiciaire à Lyon." Mais David Metaxas prévient qu’il ne compte pas en rester là dans ce cas : "Il y aura un pourvoi en cassation et nous engagerons la responsabilité du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur."
L’instruction judiciaire est désormais suspendue à la décision de la cour d’appel de Lyon qui doit se prononcer le 13 avril prochain. En attendant, la famille de Mohamed Abdelhadi a mis en ligne une pétition pour réclamer la justice et faire entendre sa voix. Celle-ci rassemble déjà plus de 40 000 signataires.