Le gouvernement envisage d'appliquer une sanction de 5 euros (la "taxe lapin") aux patients qui n'honoreraient pas un rendez-vous médical dans le but d'éviter les "trous" dans l'emploi du temps des médecins.
"Aujourd'hui ce n'est pas une taxe lapin qui va rattraper les inepties du gouvernement. C'est nul. Très clairement, c'est nul. Le gouvernement ne sait pas ce qu'il veut et n'a aucun plan. On a un président de la République qui dit 'je veux des médecins traitants', et on a un Premier ministre qui dit 'je veux faire des expérimentations pour me passer du médecin traitant'."
Pascal Dureau est dépité et hors de lui. Médecin généraliste à Vénissieux, "par choix (...) parce qu’on a besoin de moi ici en tant que médecin généraliste" - le territoire enregistre 60% de plus de diabètes, 40 % de plus de maladies respiratoires et 20 % de plus de maladies psychiatriques que dans le reste de la métropole de Lyon - il connaît bien les problèmes de la santé.
Membre de MG France, premier syndicat de médecins généralistes du pays, secrétaire général de la Fédération nationale des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé qui regroupent les professionnels d'un même territoire qui souhaitent s'organiser, à leur initiative, autour d'un projet de santé pour répondre à des problématiques communes), pour lui, "le médecin généraliste est le paillasson de service".
"Je vous rappelle que les honoraires des médecins généralistes en France c'est 2,6 % des dépenses de santé et que l'hôpital c'est plus de 40 % des dépenses de santé. On continue à revaloriser l'hôpital et on dévalue la médecine générale!"
Et de prendre pour exemple, symbolique, le cas de l'ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, neurologue de formation, qui "qui déserte comme la plupart des médecins" pour s'installer comme médecin esthétique à la Cliniqe des Cahmsp-Elysées. "L'ancien ministre de la Santé va faire de la médecine esthétique hors convention. L'ancien ministre de la Santé ! Vous voyez l'image que ça donne du gouvernement."
Il poursuit : "aujourd'hui on en est à douze ans d'études pour les jeunes médecins qui vont sortir. Je ne sais pas si vous vous rendez compte le travail. Et aujourd'hui, ils sont payés 39 euros de l'heure. Je pense que c'est quand même très largement indécent !"
Voir aussi : 30 euros la consultation chez le médecin : "C'est juste une actualisation" (vidéo)
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- “Même les dealeurs ont des hémorroïdes”
- "Nous allons vers une grève générale des soins en mai. Ce sera la catastrophe sanitaire".
La retranscription intégrale de l'entretien avec Pascal Dureau
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous recevons aujourd'hui Pascal Dureau. Bonjour
Bonjour
Pascal Dureau, vous êtes médecin généraliste à Vénissieux et membre du syndicat MG, premier syndicat des médecins généralistes. Alors, si on vous a invité aujourd'hui, c'est pour parler de la fameuse "taxe lapin". C'est le Premier ministre Gabriel Attal qui souhaite instaurer cette taxe dans le pays, comme c'est le cas dans d'autres pays européens. Alors, en fait, cette taxe lapin consiste en quoi ? A faire payer les patients qui n'honorent pas un rendez-vous chez le médecin, on leur fait payer leur "lapin". En gros je crois que ça serait 5 euros. Alors déjà très globalement, Pascal Dureau, qu'est-ce que vous pensez de ce projet d'instauration de taxe lapin en France ?
C'est nul. Très clairement, c'est nul. Je veux dire, aujourd'hui franchement le gouvernement on ne sait pas ce qu'il veut. Je pense qu'il n'a aucun plan. On a un président de la République qui dit "je veux des médecins traitants". Et on a un Premier ministre qui dit "je veux faire des expérimentations pour me passer du médecin traitant". On a un président de la République qui dit "il faut valoriser le médecin traitant". Et pendant ce temps-là il ne se passe rien depuis 2016. Pendant ce temps-là, les hôpitaux sont augmentés de 23%, 29% maintenant avec l'arrivée du nouveau ministre qui a bien servi son camp. Et en même temps, on voit un ancien ministre de la Santé qui déserte comme la plupart des médecins et va faire de la médecine esthétique secteur 3. Qu'est-ce que veut le gouvernement ? Je veux dire que cette taxe lapin ne sert à rien, n'apporte rien. Si encore il y avait une valorisation de la consultation qui aurait été perdue peut-être. Mais franchement nous on ne court pas après cette taxe lapin. C'est vraiment une taxe démagogique.
Dans un sondage au premier trimestre 2024 mené par l'URPS sur 2000 médecins, 89 % d'entre eux y étaient favorables. Pour eux, l'idée c'était de dire qu'il faut aussi responsabiliser les patients qui n'honorent pas les rendez-vous. Et Gabriel Attal de répondre qu'on allait va gagner 15 à 20 millions de créneaux, ce qui fait que les médecins ne perdront pas un patient et donc une consultation.
Cinq lapins c'est moins cher que la place de stationnement. Faut arrêter ! Ça ne responsabilisera personne. Les modalités de paiement : quelqu'un qui n'est pas venu vous faites payer comment ? C'est n'importe quoi. Aujourd'hui, je vous rappelle que les honoraires des médecins généralistes en France c'est 2,6 % des dépenses de santé, que l'hôpital c'est plus de 40 % des dépenses de santé. On continue à revaloriser l'hôpital et on dévalue la médecine générale. Je crois qu'aujourd'hui ce n'est pas une taxe lapin qui va rattraper les inepties du gouvernement.
Alors qu'est-ce qu'il faudrait ? Le sujet est vaste et il nous reste plus que trois minutes pour en parler mais si on fait selon vous des grands axes pour rattraper un peu ce retard pris ce que vous disiez par rapport aux médecins généralistes ou médecins traitants, qu'est-ce qu'il faudrait mettre en place selon vous ?
Aujourd'hui on sait exactement ce qui est fait. Ça a été déterminé par la Conférence nationale sur l'organisation des soins mondiale. On veut des niveaux structurés d'organisation des soins avec un premier, deuxième et troisième recours. Et aujourd'hui, il faut réinvestir considérablement sur le premier et la liaison entre le premier et le second recours. Ça c'est clairement aujourd'hui ce qu'on doit faire, c'est la recommandation de l'OMS. Et en France, on écoute le dernier qui passe, on plante des réverbères. Tout le monde va les pisser sur le réverbère législatif. Ça ne sert à rien ça ne sert à rien. Aujourd'hui, la politique gouvernementale, elle est gribouille. Elle écoute le dernier avis. C'est une girouette. Ça sert à rien ce qu'ils font. Donc aujourd'hui il faut quand même qu'on arrête. Il y a des recommandations mondiales qui existent. Est-ce qu'on peut les appliquer s'il vous plaît sérieusement ?
Et comment on fait ? Parce que ça c'est encore un autre problème, c'est qu'on le voit les exemples on parlait de déserts médicaux. On a toujours parlé de déserts médicaux dans les campagnes. Aujourd'hui, on se rend compte qu'il y a des déserts médicaux dans les villes.
Les déserts médicaux, c'est l'assurance maladie qui les a causés. Les déserts médicaux en maintenant des zones horaires hyper bas fait qu'aujourd'hui le ministre de la Santé va s'installer comme médecin esthétique. Il n'a jamais pensé même à pouvoir soigner des gens. Il va faire de la médecine esthétique hors convention. L'ancien ministre de la Santé vous voyez l'image que ça donne du gouvernement ?
Alors du coup il faudrait qui ? Parce qu'effectivement on a eu un médecin qui a conseillé mais ça ne va pas selon vous. Il faudrait quoi ?
Il faut qu'aujourd'hui la rémunération des médecins soit digne. Aujourd'hui on en est à 12 ans d'études pour les jeunes médecins qui vont sortir. Je ne sais pas si vous vous rendez compte le travail. Et aujourd'hui ils sont payés 39 euros de l'heure. Bon, aujourd'hui je pense que c'est quand même très largement indécent.
Et alors en même temps ce sera ma dernière question et vous répondrez rapidement. Il y a aussi beaucoup de plus jeunes qui ont fait effectivement ces 10 à 12 ans d'études mais qui derrière ne sont pas forcément accrochés à côté des médecins qui disent moi j'aimerais plutôt travailler avoir du temps pour moi avoir du temps pour moi. Alors c'est effectivement la nouvelle génération. Et du coup ce qui explique aussi qu'il y a de moins en moins de médecins libéraux en ville.
C'est parce qu'aujourd'hui si vous voulez il y a une telle charge mentale sur l'exercice professionnel qu'ils ne retrouvent plus le plaisir d'exercer, parce que les conditions matières de l'exercice sont très très difficiles. Donc aujourd'hui, ils veulent se préserver en gardant une vie personnelle pour arriver à accomplir leur métier dans les conditions où on les oblige à l'exercer.
Toujours plus de pollutions, toujours plus de malades, non ?