Avocate au palais de justice de Lyon @Hugo LAUBEPIN
Avocate au palais de justice de Lyon @Hugo LAUBEPIN

"La justice se substitue au législateur pour imposer une nouvelle vision idéologique"

"Hold-up sur la justice par un clan idéologisé", "lâchetés des politiques","justice conquérante", "politisation syndicale de la justice", "culture de l'excuse"... Un ancien juge d'instruction de Lyon raconte.

C'est une sorte de lettre ouverte aux politiques, du maire de campagne au président de la République, aux juges et aux Français.

Une sorte de "J'accuse" moderne.

"Je nous accuse, juges et politiques de ne pas avoir su dissuader des mineurs sur le chemin de la délinquance.

Je nous accuse, juges et politiques, de ne pas avoir su réagir, quand tous les clignotants étaient au rouge, quand la gangrène de la radicalisation islamiste prospérait dans les quartiers, quand la barbarie et l'obscurantisme fourbissaient leurs projets funestes

Je nous accuse, juges et politiques, d'avoir laissé prospérer dans les cités le ferment de la haine et de la sauvagerie, par manque de courage et de lucidité.

Je nous accuse, juges et politiques d'impuissance coupable et de non-assistance à France en danger."

Equilibre des pouvoirs

Vingt cinq ans après avoir publié Main basse sur la justice, l'ex-juge d'instruction de Lyon et ancien député (LR) du Rhône Georges Fenech décrit, dans L'ensauvagement de la de la France (éditions Le Rocher), le "hold-up sur la justice par un clan idéologisé".

Pour lui, la classe politique, gauche et droit confondues, a échoué à faire appliquer les réformes "qu'aurait dû faire" la justice. Il explique les raisons historiques et sociales de la situation "conflictuelle" entre justice et politique.

Il en appelle à la création d'une commission d'enquête parlementaire pour "en finir avec la politisation syndicale de la justice". Clairement visé, le syndicat de la magistrature - deuxième syndicat de magistrats de l'ordre judiciaire (derrière l'Union syndicale des magistrats) - qui "se livre à un entrisme forcené au sein de l'Ecole nationale de la magistrature".

"Doit-on éternellement continuer à fabriquer en série de futurs juges formatés à une idéologie contraire à l'impartialité inhérente à la fonction de juger ?"

Et de poser la question : "Doit-on éternellement continuer à fabriquer en série de futurs juges formatés à une idéologie contraire à l'impartialité inhérente à la fonction de juger ?"

il y a une confusion des rôles et donc le système de séparation des pouvoirs, d'équilibre des pouvoirs ne peut plus fonctionner.

Un plaidoyer virulent contre ce que cet ancien juge d'instruction qualifie ni plus ni moins de "gouvernement des juges".


Retranscription intégrale et textuelle de l'entretien avec Georges Fenech

Lyon Capitale : Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 Minutes Chrono. Nous recevons aujourd'hui Georges Fenech, ancien juge d'instruction. Bonjour.

Georges Fenech : Bonjour.

Georges Fenech, vous avez commencé comme substitut au parquet de Vienne. Vous avez été 10 ans juge d'instruction et substitut général près la cour d'appel de Lyon, chargé des affaires criminelles devant la cour d'assises. Vous avez notamment rendu un non-lieu dans l'assassinat du juge Renault. Vous avez instruit le premier grand procès de la scientologie en 1994 et le financement légal de la fédération socialiste du Rhône qui est à l'origine de la loi d'Amnesty de 1988. Vous publiez aujourd'hui L'ensauvagement de la France avec ce sous-titre « La responsabilité des juges et des politiques ». Il ne s'agit non pas d'un essai mais plutôt d'un témoignage à la première personne une sorte de « J'accuse » et par exemple je cite « Je vous accuse juges et politiques d'impuissances et de non-assistance à civilisation en danger ». Vous n'y allez quand même pas de main morte...

Vous me permettez d'abord de légèrement rectifier ce que je vous accueille. C'est « Je nous accuse ». Vous prenez votre part de responsabilité. Et non seulement j'ai été comme vous l'avez rappelé magistrat à Lyon mais j'ai été aussi député du Rhône. Donc si vous voulez j'ai vu les deux côtés de l'échiquier, à la fois la justice et à la fois la classe politique. Et j'ai vu à quel point, d'une part, la justice devenait conquérante, c'est-à-dire se substituer en quelque sorte législateur ou au pouvoir politique pour imposer une nouvelle vision idéologique de ce que devrait être la justice pénale.
Et puis d'autre part une classe politique tétanisée par la montée en puissance de cette justice qui n'a pas fait les réformes qu'elle aurait dû faire. Et ça d'une manière générale gauche droite confondue. C'est en ce sens-là effectivement que je prends pour ainsi dire mon lecteur par la main et je l'amène à l'École nationale de la magistrature où j'ai fait mes écoles. Je l'amène dans les juridictions et notamment à Lyon et je l'amène aussi à l'Assemblée nationale nourri d'anecdotes pour bien faire comprendre quelle est la situation conflictuelle aujourd'hui entre la justice et la classe politique qui a amené notre pays à cette situation catastrophique en termes de délinquance et de violence.

Le syndicat de la magistrature est inspiré d'une doctrine qui consiste, grosso modo, à dire que le criminel est d'abord lui-même première victime de discrimination sociale, ethnique etc. Que donc il ne sert à rien finalement de le sanctionner

En tout cas effectivement vous parlez vous parliez d'idéologisation de la justice vous parlez d'un hold-up je vous cite un hold-up sur la justice par un clan idéologisé idéologisé. Ce clan c'est qui ?

Alors ce clan est apparu après les événements de mai 68 sous forme d'un nouveau syndicat qui était le premier syndicat en France, le syndicat de la magistrature. Il s'est inspiré d'une doctrine qu'on appelle la défense sociale nouvelle importée d'Italie qui consiste, grosso modo, à dire que le criminel est d'abord lui-même première victime de discrimination sociale, ethnique etc. Que donc il ne sert à rien finalement de le sanctionner et surtout pas lourdement il faut au contraire essayer de le comprendre et de l'excuser et donc on est arrivé à une situation, si vous voulez, d'impunité, notamment dans les quartiers que nous connaissons bien aussi à Lyon que j'ai connu professionnellement. Et donc on est arrivé à une situation de perte d'autorité, de zones de non-droit et de violences telles que nous vivons malheureusement au quotidien.

Effectivement, il y a la justice d'un côté, il y a l'aspect aussi de réinsertion du délinquant mais vous vous dites qu'il faut aujourd'hui en finir avec la culpabilisation de sanctionner ?

Oui parce que toute politique pénale, si vous voulez, repose sur ces deux pieds : la prévention, Dieu sait si on a déversé des milliards et des milliards dans les quartiers difficiles dits de reconquête républicaine, mais il faut aussi de la sanction. Si vous ne faites que de la prévention ça ne marche pas, si vous ne faites que de la sanction ça n'a pas de sens non plus. Et donc on a oublié le volet un des deux volets, c'est-à-dire la sanction, le caractère éducatif même d'une sanction, notamment je parle pour les mineurs, qui aujourd'hui ne sont peu ou prou sanctionnés et donc, à partir de là, et ce sentiment quand une fois d'impunité qui s'est installé dans notre pays.

"La justice répressive est le maillon faible de la chaîne"

Du côté des forces de l'ordre, on entend beaucoup ces derniers temps, elles scandent peu scandent tout le temps "le problème de la justice le problème de la police c'est la justice"...

Oui le problème de la police c'est la justice, vous avez raison, c'est le slogan des policiers. Ils veulent nous dire quoi et ils ont mille fois raison c'est qu'ils ont beau déployer sur le terrain tous les effectifs, faire tous les efforts possibles, un individu interpellé, notamment pour trafic de drogue, est malheureusement trop rapidement voire immédiatement relâché par la justice. Donc tout cela si vous voulez, tourne à vide, la justice répressive est le maillon faible de la chaîne donc la police, effectivement, ressent l'inutilité de ces mises et ne baiss pas les bras mais elle lance ce cri d'alarme : si l'on veut véritablement rétablir la sécurité dans notre pays il faut que la justice ne suive pas le travail qui fait par la police.

Est-ce que vous trouvez normal qu'un syndicat de magistrats brocarde sur "un mur des cons" des pères de famille dont les filles ont été assassinées par Guy Georges, au prétexte qu'ils ont créé des associations pour lutter contre les tueurs en série ?!

Alors vous proposez à la fin de votre livre vous proposez vous demandez la création d'une commission d'enquête parlementaire pour je cite en finir avec la politisation syndicale de la justice c'est un peu pieux ou vous pensez que c'est quelque chose qui peut qui peut qui peut se faire cette commission parlementaire ?

Moi je pense que c'est la clé de tout, c'est la mère des batailles. C'est de rappeler à la magistrature que sa mission est de rendre la justice, c'est-à-dire d'appliquer la loi au sens où le législateur l'a voulu, et donc mettre de côté toute forme de politisation. Quand vous entendez, est-ce que vous trouvez normal qu'un syndicat de magistrats brocarde sur "un mur des cons" des pères de famille dont les filles ont été assassinées par Guy Georges, au prétexte qu'ils ont créé des associations pour lutter contre les tueurs en série ?! Est-ce que vous trouvez normal, par exemple, qu'un syndicat diffuse une contre-circulaire à celle du garde des Sceaux qui appelle à de la fermeté en matière de lutte contre les émeutiers ?! Est-ce que vous trouvez normal qu'un syndicat appelle à faire battre un candidat à l'élection présidentielle ?! Donc là on sort de son rôle, il y a une confusion des rôles et donc le système de séparation des pouvoirs, d'équilibre des pouvoirs ne peut plus fonctionner.

Merci beaucoup Georges Fenech, je rappelle ce livre L'ensauvagement de la société. Vous pouvez évidemment avoir plus d'informations sur notre site www.lyoncapitale.fr. Merci d'avoir été avec nous Georges Fenech, au revoir.

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