Aux jurés populaires se sont substitués des magistrats professionnels pour juger des crimes punis de 15 à 20 ans de prison. Le vice-bâtonnier du barreau de Lyon est y farouchement opposé.
Depuis la loi du 22 décembre 2021, les cours criminelles départementales se sont substituées aux cours d'assises pour juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, (lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale).
Dit autrement, les jurés populaires, "tradition française depuis 1791", disparaîtront.
Trois objectifs ont été fixés à ces cours départementales :
- réduire les délais d'audiencement, aujourd'hui, compris aujourd'hui entre un an et 18 mois
- faire des économies les jurés, dans un jury populaire, représentant une charge à hauteur de 90 euros par jury par jour
- la dé-correctionnalisation de certaines affaires, notamment les viols qui peuvent être requalifiés en agressions sexuelles pour gagner du temps.
Jean-François Barre, vice-bâtonnier du barreau de Lyon, estime que la loi du 22 décembre 2021 n'était "pas constitutionnelle car le jury populaire était un principe fondamental auquel on ne pouvait pas déroger".
L'affaire est aujourd'hui devant les sages du Conseil constitutionnel qui ont jusqu'au 20 décembre pour se prononcer.
La retranscription textuelle et intégrale de l'entretien avec Jean-François Barre
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 Minutes Chrono. Nous accueillons aujourd'hui Jean-François Barre. Bonjour.
Bonjour à vous.
Jean-François Barre, vous êtes vice-bâtonnier du barreau de Lyon. Depuis le 1er janvier, les cours criminelles départementales composés de magistrats professionnels se sont substituées aux cours d'assises pour les crimes punis de 15 à 20 ans de prison. Cours d'assises qui étaient formées de jurés populaires. Pourquoi être vous opposé à cette substitution ?
Vous l'avez très bien dit, les crimes, pendant très longtemps depuis 1791, c'est le jury populaire avec des magistrats qui s'occupent de juger les infractions les plus graves. Depuis la loi du 22 décembre 2021, il a été fait mention que dorénavant pour les crimes allant de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, ce seront les cours criminelles départementales qui seront compétentes. Or, absence de juré populaire. Et par conséquent, nous avons déposé, là, en juin dernier, pour le premier dossier qui est arrivé devant la cour criminelle départementale du Rhône, des questions prioritaires de constitutionnalité disant que, pour nous, la loi du 22 décembre 2021 n'était pas constitutionnelle car le jury populaire était un principe fondamental qu'on ne pouvait pas déroger.
Une question prioritaire de constitutionnalité, QPC, c'est ça. C'est pour demander pour savoir si c'est une loi constitutionnelle.
Exactement c'est ça.
Donc vous l'avez rappelé effectivement le jury populaire existe depuis 1791 même si effectivement dans l'histoire, on en parlait un petit peu en début, il y a eu des coupures. En tout cas, c'est une tradition qui est très ancienne. Est-ce qu'on peut dire du coup que c'est un principe fondamental reconnu par les lois de la République ou pas ?
Très bien mais c'est la question qu'on pose finalement, qu'on a posé à la cour criminelle départementale, que la Cour de cassation, mercredi dernier, a étudié pour savoir si elle transmettait ou pas ces questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Ce qui a été accepté. Le filtre de la chambre criminelle de la cour de cassation plus haut de juridiction au niveau de l'État judiciaire a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel.
Et là une décision qui va être rendue ?
Délai de trois mois pour le Conseil constitutionnel donc avant la fin de l'année.
Je lisais justement sur ces cours départementales, il y avait quand même une bronca dans le milieu judiciaire de manière très générale. J'ai lu qu'un avocat qui disait que c'est un danger pour la démocratie. En quoi c'est un danger pour la démocratie ?
En fait, cette nouvelle loi a repensé complètement le système judiciaire au niveau du jugement des crimes. Le comité d'expérimentation des cours criminelles départementales, qui avait été institué dans d'autres cours d'appels depuis quelques années, avait indiqué que nous avons quasiment, allez, 60% des crimes qui sont jugés sans le jury populaire. 60% des crimes. La difficulté c'est que le jury populaire est parfois absent pour certaines infractions, par exemple le procès des attentats du Bataclan ou du Stade de France. En matière de terrorisme, le jury populaire est absent. Mais avec cette loi, on en revient à dire que pour tous les crimes même les moins graves 15 et 20 ans, finalement, le jury populaire est exclu. Ce n'est pas envisageable. Le jury populaire est installé depuis de nombreux siècles et c'est lui qui a la pleine capacité de juger les crimes comme nous avons une tradition républicaine judiciaire qui a été mise en place depuis très longtemps.
Alors ce qui a été dit dans les objectifs de ces cours départementales, il y a trois objectifs. Il y avait un les délais d'audiencement qui sont compris aujourd'hui entre un an et 18 mois. Il y avait la justification de faire des économies puisque les jurés, dans un jury populaire, représentent une charge à hauteur de 90 euros par jury par jour. Et puis il y avait la dé-correctionnalisation c'est-à-dire qu'il y a certaines affaires notamment on pense aux viols qui peuvent être requalifiées en agressions sexuelles pour gagner du temps. Ces trois objectifs de cette loi ,qu'est-ce que vous reprochez à ces trois objectifs ?
Le retour du comité d'expérimentation qui a étudié la manière dont ces trois objectifs ont été mis en place et dont ils ont été traités est finalement assez décevant sur les délais, sur la question des jurés. On s'aperçoit qu'au final on est quasiment sur un même fonctionnement d'une d'une cour d'assise classique et qu'il n'y a pas de différence véritablement. Donc, aujourd'hui, ce qui est important c'est de se dire le jury populaire il est présent pour connaître des crimes et il est présent bien évidemment pour juger parce que c'est aussi au nom du peuple français que l'on rend justice. Et puis, il y avait un deuxième point sur le QPC qui est de dire qu'on ne jugeait pas de la même manière au niveau de la déclaration de culpabilité. Mais ça il y a une rupture d'égalité selon que vous êtes devant la cour criminelle ou devant la cour d'assises. Mais les trois critères que vous avez énoncés, finalement, on s'aperçoit qu'avec le recul on ne donne pas satisfaction.
Et malgré ça malgré effectivement ce rapport ce comité d'évaluation le garde des Sceaux a continué à défendre la réforme.
Ça a été généralisé, un peu à l'étonnement général, puisque l'idée du rapport d'évaluation était de dire qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui ne fonctionne pas, regardons ensemble. Et le 22 décembre 2021, ça a été une généralisation absolue complète sans véritablement un travail et une étude sur ce retour-là. D'accord donc on attend dans trois mois on aura la décision du conseil constitutionnel. Petite question d'actualité quand même. Un avocat lyonnais récemment a été condamné à 10 mois de prison pour des dégraçations de vidrines lors des émeutes. Est-ce qu'il peut être sanctionné par le barreau ou pas ?
Bien évidemment, quand vous avez une faute pénale qui induit une condamnation pénale, c'est nécessairement une sanction disciplinaire, une faute disciplinaire qui est prise en compte. Donc, lorsque nous avons la transmission des décisions de justice, le conseil régional de discipline, le bâtonnier, décident de renvoyer le confrère devant le conseil régional de discipline parce que c'est un manquement à ses obligations déontologiques.
Merci beaucoup Jean-François Barre d'avoir accepté l'invitation de 6 minutes chrono. Et si vous voulez avoir plus d'informations sur ces nouvelles cours et ces QPC, ces questions prioritaires de constitutionnalité, c'est www.lyoncapitale.fr. A très bientôt merci beaucoup.