Raphaël Debu, conseiller métropolitain et secrétaire fédéral du Parti Communiste, est l'invité de 6 minutes chrono.
Le résistant arménien Missak Manouchian entrera ce mercredi 21 février au Panthéon lors d'une cérémonie présidée par Emmanuel Macron. A 15h30, à Lyon, le Parti communiste et d'autres organismes de gauche organisent un rassemblement devant le Veilleur de Pierre, place Bellecour, pour rendre hommage à ce résistant encarté au PCF et exécuté il y a 80 ans par les nazis. "Il représente l'engagement de résistants qui sont à la fois des résistants politiques qui se sont engagés pour défendre la démocratie contre le fascisme, mais de militants politiques parce qu'ils sont communistes et ils cherchent à construire un avenir plus juste socialement, un avenir de paix et s'émanciper des dominations du capital, du racisme. Et ce qu'il y a de particulier, c'est qu'ils appartiennent à une organisation de la main-d'œuvre immigrée, c'est-à-dire qu'ils sont tous étrangers et qu'ils se sont pourtant battus pour la France. Et donc ils représentent ce qu'il y a de plus noble dans l'engagement de la résistance parce qu'ils se battent pour une patrie d'adoption, pour la France qu'ils ont choisi. Et ça, à mon avis, c'est quelque chose qu'il faut vraiment mettre en avant aujourd'hui", pointe Raphaël Debu.
La retranscription intégrale de l'entretien avec Raphaël Debu
Bonjour à tous et bienvenue, vous regardez 6 minutes chrono le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale et aujourd'hui nous sommes avec Raphaël Debu. Vous êtes le patron du Parti communiste du Rhône, on vous a invité pour revenir sur l'entrée aujourd'hui au panthéon de Missak Manouchian, un résistant d'origine arménienne. Vous, vous allez lui rendre hommage ce mercredi à Lyon, le Parti communiste, avec d'autres partis de gauche et d'autres organisations, notamment syndicales, un hommage qui aura lieu à 15h30 au Veilleur de Pierre, place Bellecour, pour ceux qui connaîtraient pas vraiment encore le parcours de Missak Manouchian, en quoi est-ce un homme d'exception ?
C'est un homme d'exception parce qu'il représente l'engagement de résistants qui sont à la fois des résistants politiques qui se sont engagés pour défendre la démocratie contre le fascisme, mais de militants politiques parce qu'ils sont communistes et ils cherchent à construire un avenir plus juste socialement, un avenir de paix et s'émanciper des dominations du capital, du racisme. Et ce qu'il y a de particulier, c'est qu'ils appartiennent à une organisation de la main-d'œuvre immigrée, c'est-à-dire qu'ils sont tous étrangers et qu'ils se sont pourtant battus pour la France. Et donc ils représentent ce qu'il y a de plus noble dans l'engagement de la résistance parce qu'ils se battent pour une patrie d'adoption, pour la France qu'ils ont choisi. Et ça, à mon avis, c'est quelque chose qu'il faut vraiment mettre en avant aujourd'hui.
Et Missak Manouchian était encarté au Parti communiste en région parisienne.
Oui, et l'ensemble du groupe, l'armée du crime, les fameux de l'affiche rouge sont tous des communistes étrangers, on retrouve des Polonais, on retrouve des Allemands.
Il y avait des Français aussi...
Il y avait des Français aussi, mais le principe de la FTP-MEI, c'est que c'est des résistants qui sont particulièrement recherchés parce qu'ils sont recherchés en premier lieu par la police française, plus que par les Allemands. Ils sont étrangers. Beaucoup d'ailleurs avaient un engagement préalable. Ils venaient des brigades internationales. Il y avait un engagement politique de long terme.
Justement ces 23 de l'affiche rouge, qui avaient notamment été utilisés par la propagande nazie, il y avait des voix qui s'élevaient pour que ce soit les 23 qui rentrent au Panthéon avec Missak Manochian et son épouse Mélinée. Est-ce que vous auriez compris, vous, qu'on les fasse rentrer, les 23, ou est-ce que vous comprenez qu'il n'y ait que Missak Manochian ?
Je pense que c'est avant tout le symbole qui est important parce qu'on a mis beaucoup trop longtemps à honorer ces résistants-là. À travers les figures de Missak et de Mélinée, on honore l'ensemble, pas simplement les 23 de l'affiche rouge, mais l'ensemble des résistants étrangers qui se sont battus pour la France. On reconnaît le rôle de la résistance communiste et des communistes étrangers dans ce combat pour notre patrie.
Pourquoi ça a été si long ? Il a fallu 80 ans, puisqu'il est exécuté le 21 février 1944, et à 15h30, il rentrera au Panthéon ce mercredi 21 février. Pourquoi 80 ans ?
Il y a toujours une bataille de mémoire sur l'orientation politique. Si vous regardez dans ces dernières années, c'est quelque chose que je regrette et que je dénonce, on a une certaine neutralisation de l'histoire. On tend à présenter les résistants comme s'ils n'avaient pas d'engagement politique, comme s'ils n'avaient pas d'engagement philosophique, que c'était juste des Français qui se seraient battus contre des envahisseurs allemands. La vérité, c'est que leur engagement politique est le socle sur lequel se construit leur engagement dans la résistance. Et reconnaître que les communistes ont eu un rôle important dans la résistance, c'est évidemment un sujet politique après-guerre et puis toutes ces années, parce que c'est reconnaître que le communisme a sa place dans le champ politique et dans le débat politique.
Après-guerre, la question ne se posait pas, le CNR, c'était les gaullistes et les communistes...
Mais c'est une question de mémoire. Si vous voulez, dans les années qui ont suivi, évidemment, il y a eu beaucoup de commémorations et de moments importants autour de figures de la résistance, on commence à rentrer dans le Panthéon plusieurs années plus tard. On est aujourd'hui dans la société du clic et de l'instantané, c'est-à-dire Robert Baninter est mort il y a quelques jours et déjà on parle de sa panthéonisation. C'est très bien parce que c'est la reconnaissance d'un homme qui a beaucoup apporté à la politique française. Mais le devoir de mémoire qu'on prenne un peu de temps, ça ne me choque pas particulièrement. Par contre, qu'on prenne plus d'un demi-siècle pour reconnaître la place de ces résistants-là dans le Panthéon français, ça, c'est beaucoup plus inquiétant.
Qu'est-ce que vous voyez d'universel dans le parcours, dans le combat de Missak Manouchian qui peut être encore d'actualité si je puis dire aujourd'hui ?
Dans un monde qui se fracasse et qui se divise, c'est quand même quelqu'un qui portait des idéaux qui étaient universalistes. Pour lui, tous les hommes et toutes les femmes étaient ses frères et ses sœurs et ils se battaient pour des idéaux universels, celle de la justice sociale, celle de la paix, celle de l'émancipation, des grandes dominations, que ce soit celle de l'argent, du racisme ou du patriarcat. Ça, c'est universel. Ça, que l'on soit arménien, qu'on soit français, qu'on soit allemand, tout le monde peut se battre et doit se battre pour ces idéaux-là. Et donc, c'est un message, j'espère, parce qu'on est dans un monde où chacun se replie. On le sent dans les débats qu'il y a en France ou en Europe, mais on le sent aussi au Moyen-Orient, que chacun se replie un peu sur son identité nationale et ne voit plus son voisin comme un ami, mais le voit comme un ennemi. Et le message de Manouchian, c'est qu'on est tous frères, on est tous sœurs sur cette terre et qu'on peut se battre pour des idéaux communs. C'est ça l'internationalisme communiste qu'il animait et c'est des idées qu'on doit porter aujourd'hui.
Vous parliez de ces polémiques de se replier sur soi, de tout qui devient finalement source de querelles politiques. Il y en a une aussi qui commence un petit peu à poindre sur la panthéonisation de Missal Manouchian. Emmanuel Macron a dit que le FN serait avisé, le Rassemblement national serait avisé de ne pas venir à cette commémoration. Vous êtes plutôt d'accord avec lui ?
C'est de l'hypocrisie de sa part, c'est quand même de la duplicité à l'état parfait. Je veux dire, à la fin de l'année dernière, il permet une loi qui est une victoire idéologique majeure pour l'extrême droite française, cette extrême droite qui est quand même issue des collabos et des pétainistes de la seconde guerre mondiale. Et après, ils se posent en rempart contre l'extrême droite, en demandant au FN de ne pas être présent à cette cérémonie. Évidemment qu'on ne veut pas que les héritiers politiques de l'idéologie la plus contraire à la nôtre puissent être présents à cet hommage. Mais c'est quand même le président qui se défausse là de ses propres responsabilités. C'est quelqu'un qui n'a pas de colonnes vertébrales au niveau des valeurs puisqu'il est prêt d'une part à faire voter une loi qui va avoir des effets très concrets. Avec une loi comme celle-ci, un Manouchian, il n'aurait même pas été en France à l'époque, donc il n'aurait pas pu participer à la résistance. Et derrière, oui, il doit, il essaie de se présenter comme ça en rempart. C'est scandaleux.