Pascal Isoard Thomas
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Pascal Isoard Thomas : "ce n'est pas l'hiver qui tue, c'est la rue qui tue"

Pascal Isoard Thomas, directeur d'Alynea et du Samu social du Rhône, est l'invité de 6 minutes chrono pour évoquer le sans-abrisme à Lyon.

Directeur du Samu social du Rhône, Pascal Isoard Thomas dresse un état des lieux inquiétant du sans-abrisme dans la Métropole de Lyon : "14 000, effectivement, c'est le chiffre officiel du nombre de personnes en demande d'hébergement, c'est-à-dire des gens qui sont sans solution le soir, qui contactent le 115 ou qui sont vus par des travailleurs sociaux et qui sont dans l'attente d'une solution d'urgence pour répondre à leurs besoins de mise à l'abri, de mise en sécurité. Ce chiffre est en constante évolution, il a doublé en cinq ans et effectivement, depuis les maraudes du Samu social, nous constatons cette augmentation puisque l'année 2023 qui vient de s'achever, nous avons rencontré près de 60 % de plus de personnes qu'en 2022 et 2022 était déjà une année de progression par rapport à 2021".

Le directeur du Samu social dresse aussi un portrait-robot des SDF légèrement différent aujourd'hui : "c'est toujours les jeunes hommes isolés ou les hommes isolés qui sont très majoritaires dans nos rues, mais on voit de plus en plus de femmes. Là où il y avait 2% de femmes il y a dix ans encore dans les statistiques, par exemple du Samu Social de Paris, aujourd'hui on est à 14%, nous aussi, on est sur les mêmes tendances. Donc le nombre de femmes isolées augmente, des femmes qui s'invisibilisent beaucoup, donc on ne voit pas dans l'espace public, mais qui sont beaucoup dans des cages d'immeubles notamment, les familles évidemment dont on parle beaucoup avec cette mobilisation des écoles. Et puis il y a malheureusement un phénomène qui n'existait plus depuis les années 70 et qui réémerge les personnes âgées, les personnes en situation de handicap. Tout ça c'était le profil du clochard comme on disait à l'époque et qui est en train de revenir dans nos rues"

La retranscription intégrale de l'entretien avec Pascal Isoard Thomas

Bonjour à tous et bienvenue, vous regardez 6 minutes chrono le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale et aujourd'hui nous accueillons Pascal Isoard Thomas. Vous êtes directeur d'Alynéa du Samu Social du Rhône, on voulait revenir avec vous sur cet épisode de grand froid qui a marqué l'agglomération de Lyon ces derniers jours, on estime qu'il y aurait 14 000 personnes mal logées ou dans des logements précaires dans la métropole de Lyon. Vous, qu'est-ce que vous avez constaté sur le terrain ces derniers jours pendant ces épisodes de grand froid  ?


Beaucoup trop, c'est à toute saison puisque ce n'est pas l'hiver qui tue, c'est la rue qui tue, donc il faut sortir aussi des logiques saisonnières par rapport à la violence qu'est la rue. Ce chiffre de 14 000, effectivement, c'est le chiffre officiel du nombre de personnes en demande d'hébergement, c'est-à-dire des gens qui sont sans solution le soir, qui contactent le 115 ou qui sont vus par des travailleurs sociaux et qui sont dans l'attente d'une solution d'urgence pour répondre à leurs besoins de mise à l'abri, de mise en sécurité. Ce chiffre est en constante évolution, il a doublé en cinq ans et effectivement, depuis les maraudes du Samu social, nous constatons cette augmentation puisque l'année 2023 qui vient de s'achever, nous avons rencontré près de 60 % de plus de personnes qu'en 2022 et 2022 était déjà une année de progression par rapport à 2021.


Comment vous l'expliquez cette hausse spectaculaire ?


Elle est spectaculaire et elle est terrible. Elle est surtout synonyme d'un cri d'alerte parce qu'il ne faut pas s'habituer à avoir des gens dormant dans la rue. Il y a eu un décès cette semaine dans les rues de notre agglomération et c'est terrible pour ce que ça signifie d'abord pour notre société, pour la personne, bien évidemment, et puis pour les travailleurs sociaux qui vont à la rencontre de ces personnes. Pour nous, tout est dit quand on parle de sans domicile fixe. C'est intéressant de voir dans l'histoire comment on a appelé les personnes qui étaient en errance et qui sont en difficulté. Aujourd'hui, on appelle ça des sans domicile fixe et ça veut bien dire que le blocage est dans l'accès au logement. Tout est aujourd'hui pour nous lié au blocage dans l'accès au logement.


Ce n'est pas une question d'hébergement d'urgence parce qu'on a vu, par exemple, la ville de Lyon, la préfecture du Rhône, un peu s'écharper ces derniers jours sur la question de l'hébergement d'urgence. Il faut absolument ouvrir des places. Pour vous, ce n'est pas là que se situe l'enjeu majeur ?


L'enjeu n'est pas là, même si l'hébergement d'urgence ne devrait pas se discuter. Imaginer laisser des enfants dormir à la rue, des personnes âgées, des femmes âgées, voir cette misère qui s'installe dans nos rues, ça devrait être intolérable pour chacun d'entre nous. Et c'est d'ailleurs admirable de voir de plus en plus d'initiatives citoyennes réagir, comme par exemple tous ces réseaux de parents d'élèves qui se mobilisent. Mais effectivement, créer de l'hébergement d'urgence ne suffit pas, c'est nécessaire, mais ce n'est absolument pas suffisant pour pouvoir résoudre cette problématique du sans-abrisme qui se développe parce que la solution de l'hébergement n'est qu'un sas pour pouvoir accéder au logement. Et dès lors qu'on crée des places d'hébergement sans prévoir ce qui est en aval, c'est-à-dire le logement, on s'en sortira pas. Et aujourd'hui, tous les chiffres du logement, tous, tous, tous, sont dans le rouge. Je crois que l'année dernière aura été l'année la plus calamiteuse en termes de production de logements et notamment de logements sociaux dans notre agglomération. Le déficit aujourd'hui est considérable. On parle de 80 000 demandes de logements sociaux en souffrance, ça n'a jamais été atteint. Et le taux de rotation dans le logement social, des gens qui sortent du logement social pour aller, par exemple, dans du logement privé, du fait de l'évolution des prix du logement privé, aujourd'hui, il est presque à 3 %. C'est le plus bas historique. Donc tout est dans le rouge et l'urgence, c'est un plan d'urgence sur le logement.


Quand vous regardez les chiffres de construction du logement, vous vous dites l'an prochain, ça va être encore pire ? Ça fait des années qu'on dit que ça va, on va dans le mur et là, on y est. Avec aucune perspective, parce que effectivement, le marché de la construction, en plus de la promotion immobilière, est quasiment à l'arrêt dans la métropole de Lyon, avec même des programmes qui sont en stand-by voire annulés


Alors les solutions, elles existent. Je ne suis pas en train de dire que rien n'existe qu'en termes de solutions. Notamment, je pense, du point de vue des pouvoirs publics, essayer vraiment d'interpeller les propriétaires de logements vacants. Je signale juste que les indicateurs de logements vacants, c'est-à-dire de logements non utilisés par des habitants, est à 54 000 actuellement sur notre agglomération. C'est considérable. C'est un chiffre qui est peut-être pas fiable, parce que quelquefois, les données qui sont transmises par les impôts s'avèrent infondées. Il peut y avoir des logements qui sont divacants, alors qu'ils ne sont pas. Mais selon tous les experts, notamment ceux de l'INSEE, si on considère qu'il y a seulement 10% de cette liste qui est exacte, ça voudrait dire qu'il y a 5 400 logements vides sur ce territoire qui pourraient être utilisés par des personnes sans logement. Donc, il faudrait une vraie réaction des pouvoirs publics pour inciter les propriétaires et aussi les rémunérer, évidemment, afin de mettre leur logement vide à disposition des associations comme Alynéa et comme bien d'autres sur le territoire qui pourront garantir aux propriétaires un loyer, l'entretien, les problématiques de voisinage, par exemple, si en l'occurrence, il y en a rarement. En tout cas, je tiens à souligner vraiment que dans le chiffre de 14 000 qu'on a évoqué tout à l'heure, dans ce chiffre des personnes qu'on rencontre à la rue depuis le samedi social, ce dont je peux témoigner et je veux témoigner avec force, c'est que beaucoup, l'immense majorité ont droit au logement. Et par rapport à l'obsession migratoire que nos décideurs politiques développent dans leurs discours, je tiens vraiment à leur dire avec force, n'oubliez pas qu'aujourd'hui, l'immense majorité des gens à la rue ont droit au logement. Ce n'est pas un problème de régularité du séjour, c'est un problème de disponibilité du logement.

Est-ce qu'il y a un profil type des personnes qui dorment à la rue ou maintenant on peut croiser tout le monde ?


Alors cette image d’Épinal, elle est toujours avérée, c'est toujours les jeunes hommes isolés ou les hommes isolés qui sont très majoritaires dans nos rues, mais on voit de plus en plus de femmes. Là où il y avait 2% de femmes il y a dix ans encore dans les statistiques, par exemple du Samu Social de Paris, aujourd'hui on est à 14%, nous aussi, on est sur les mêmes tendances. Donc le nombre de femmes isolées augmente, des femmes qui s'invisibilisent beaucoup, donc on ne voit pas dans l'espace public, mais qui sont beaucoup dans des cages d'immeubles notamment, les familles évidemment dont on parle beaucoup avec cette mobilisation des écoles. Et puis il y a malheureusement un phénomène qui n'existait plus depuis les années 70 et qui réémerge les personnes âgées, les personnes en situation de handicap. Tout ça c'était le profil du clochard comme on disait à l'époque et qui est en train de revenir dans nos rues.

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