Juliette Murtin est professeure de français à Lyon et porte-parole de Jamais Sans Toit. Le collectif lyonnais, rassemblant des parents d’élèves, des enseignants et des habitants, se mobilise pour aider les enfants à la rue ainsi que leurs familles. En cette fin d’année 2024, plus de trois cent soixante-quinze enfants n’ont pas de logement dans la métropole de Lyon, dont trente-neuf bébés. Une situation intolérable malgré les promesses des élus de tous niveaux ces dernières années.
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Juliette Murtin : Pas spécialement, je suis plutôt timide. Cependant, je ne crains pas de l’ouvrir pour tirer la sonnette d’alarme sur les situations que l’on rencontre. C’est plus un besoin instinctif que véritablement un trait de caractère. Concrètement, pousser un cri peut aussi signifier mettre des banderoles, alerter la presse, essayer de trouver une solution politique pour ces familles laissées-pour-compte.
Quelle est la genèse de votre engagement ?
Je suis entrée dans Jamais Sans Toit en tant que parent d’élève. Quand mon enfant était en maternelle, j’étais parent déléguée de l’école. La directrice m’a alertée sur le fait qu’il y avait un enfant dans la classe de mon fils qui dormait dehors, ainsi que ses parents et sa petite sœur de 2 ans. On était en plein mois de décembre, il neigeait. Mon premier réflexe a été de les mettre à l’abri chez moi. Au début, nous les accueillions en alternance avec une autre maman. Mais au bout de quelques jours, nous avons compris que ça ne pouvait pas durer, non pas parce que ce n’était pas confortable pour nous, mais parce qu’aucune solution durable ne leur serait proposée ainsi. Nous avons donc décidé d’occuper la maternelle le lendemain. C’est là que je me suis rapprochée de Jamais Sans Toit.
Comment présentez-vous Jamais Sans Toit ?
C’est un collectif qui s’est monté il y a 10 ans à Lyon. Chaque action est structurée autour d’établissements scolaires qui vont essayer de mettre à l’abri les enfants qui y sont élèves et qui sont à la rue. Cela passe par le financement de nuits d’hôtel ou, ce qui est le plus spectaculaire mais aussi le plus efficace, les occupations d’écoles, le temps que les familles intègrent le circuit légal de l’hébergement d’urgence. Parents d’élèves, instituteurs, voisins du quartier sont alors appelés à délaisser leur propre foyer pour un temps et accompagner les familles à l’intérieur de l’établissement scolaire. Progressivement, quand les familles avec lesquelles nous sommes en confiance sont autonomes, on les laisse seules la nuit dans l’établissement. Ce n’est pas toujours facile parce qu’il y a des établissements scolaires où la communauté de soutien va être principalement les parents d’élèves, sans l’implication active des professeurs. Il faut à chaque fois mettre le pied dans la porte à 18 h 30, quand les derniers enfants quittent la garderie, pour pouvoir rentrer. Tout est plus simple quand les personnels sont parties prenantes.
Combien y a-t-il d’enfants dans la rue en ce moment en ce début d’hiver ?
Au moment où je vous parle, nous recensons trois cent soixante-quinze enfants sans solution d’hébergement officielle dans la métropole lyonnaise. La moitié est à Lyon. C’est 15 % de plus que l’année dernière, et trois fois plus qu’il y a trois ans. Trente-neuf ont moins de 3 ans. Sur ces trois cent soixante-quinze enfants, la moitié d’entre eux sont pris en charge par la mobilisation citoyenne. Sans cela, ni l’État ni les communes ne les aideraient. Le principe de générosité citoyenne se substitue au principe de solidarité qui est pourtant inscrit dans la loi.
Quels sont les profils des gens que vous aidez ?
Il n’y a pas de profil type. On essaie de ne pas faire attention à cela. La loi est assez claire là-dessus : l’hébergement d’urgence est un droit inconditionnel. Juridiquement, quelle que soit la situation administrative de la personne, c’est sa situation de détresse qui doit être prise en compte. Ensuite, il y a le principe de continuité, de moins en moins respecté. À partir du moment où une personne est hébergée dans le circuit de droit commun, elle ne peut pas être mise dehors. Il faut qu’il y ait une autre structure qui prenne le relais. C’est juste le Code de l’action sociale et des familles. On ne demande rien d’autre que d’appliquer ces principes. Après, on a de tout. Des familles migrantes, mais aussi beaucoup de familles qui sont en situation régulière. Elles sont en difficulté parce que l’hébergement coûte très cher. La loi Kasbarian-Bergé qui criminalise les personnes précaires au lieu de s’attaquer à la pauvreté fait beaucoup de dégâts. On a des personnes en impayé de loyer qui se retrouvent expulsées beaucoup plus facilement, même si ces profils se verront proposer une solution plus rapidement par rapport aux personnes qui sont en situation irrégulière.
Quelles solutions pour ces dernières selon vous ?
Il n’y a pas quinze mille solutions. Il faudrait des régularisations des personnes sans papiers. L’an dernier, la première mouture de la loi immigration prévoyait de régulariser par le travail. Il n’en a finalement rien été, c’est dommage. Tout le monde sait qu’une grande partie des places d’hébergement d’urgence est occupée par des personnes en situation irrégulière, qui travaillent. Elles ne demandent qu’à quitter les lieux. Elles aimeraient bien pouvoir accéder au parc privé ou à un logement social. C’est impossible pour elles. Il y a une grande hypocrisie là-dessus, parce que ce sont des personnes qui contribuent à la richesse du pays, qui payent des impôts ici.
N’avez-vous pas perçu de différences depuis l’engagement de 2022 du gouvernement, visant le zéro enfant à la rue, ou bien la signature par la Ville de Lyon de la Déclaration des droits des personnes sans abri, en 2021 ?
Ces promesses n’ont clairement pas été respectées. Nous avons un nombre d’enfants qui vivent dehors en nette hausse. Légalement, c’est une mission qui incombe à l’État. Or le gouvernement refuse d’augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence à la hauteur des besoins. La Cour des comptes a elle-même dénoncé la gestion court-termiste de l’État. Face à cet immobilisme, il faut que les collectivités territoriales qui portent des valeurs humanistes fassent plus, même si ce n’est pas leur compétence, qu’elles inventent des solutions alternatives pour pouvoir tenir, le temps qu’une politique nationale forte soit mise en place. Quel que soit le budget nécessaire, quels que soient les sacrifices en termes de projets, on ne doit pas laisser des enfants dehors.
Qu’attendez-vous des collectivités ?
Il vous reste 59 % de l'article à lire.
Article réservé à nos abonnés.