Grande gueule. Benoît Josserand est le patron du mythique Café du Jura, 155 ans au compteur, assurément l’un des plus anciens établissements de bouche de la ville.
Historien de formation, passionné de Lyon, il a été président de l’association Les Bouchons Lyonnais de 2018 à 2022 car, dit-il, "mieux vaut faire bouger les choses de l’intérieur plutôt que de les subir". Pas du genre à encaisser sans broncher, le "père Josserand" n’a pas sa langue dans sa poche. Mais il reconnaît "s’adapter", devenir parfois "consensuel", sous peine de se prendre "une avalanche de commentaires orduriers" sur les réseaux sociaux. Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ? Benoît Josserand : Non, je dis simplement ce que je pense, sans taper du poing sur la table, en préférant convaincre les gens plutôt que de m’opposer frontalement. Maintenant, est-ce que dire ce qu’on pense c’est être grande gueule ? On dit pourtant que les patrons de bouchons sont forts en gueule… Ils peuvent avoir un caractère bien trempé, c’est pas faux. Mais c’est fini l’époque où on sortait les clients mécontents ou dont la tête ne nous revenait pas. On va dire qu’on est anticonformistes aujourd’hui. Les réseaux sociaux jouent-ils un peu sur le caractère bien trempé des patrons de bouchons ? C’est sûr. Quand on publie quelque chose, il faut être consensuel sous peine de se prendre une avalanche de commentaires orduriers, et si on se justifie, c’est encore pire. Sur les réseaux sociaux, les gens sont à la fois juges et bourreaux. C’est terrible.
"C’est fini l’époque où on sortait les clients dont la tête ne nous revenait pas"
Vous êtes donc soumis à une charte précise ?
Oui, et pour obtenir le label Les Bouchons Lyonnais, le restaurateur doit en effet se soumettre à un audit réalisé par un cabinet indépendant et basé sur un cahier des charges rigoureux, celui de maître restaurateur [le seul titre délivré par l’État pour la restauration française, NdlR]. On a beau être tous différents, chaque Lyonnais ayant son bouchon de référence, on a tous ce point commun d’être des lieux de l’identité lyonnaise. Précurseurs de la mixité sociale. Par le passé, on accueillait aussi bien les canuts que les soyeux. Il y a des gens de tous les milieux, de toutes obédiences. Tous les maires de Lyon sont passés au Jura. Sauf l’actuel (rire).
Quelle est la différence avec l’association des Authentiques bouchons lyonnais ?
C’était une association de copains, et comme toute association de copains, ça manquait un peu de rigueur, il y a eu quelques dérives. Mon père, qui en était trésorier, a d’ailleurs rendu son tablier parce que ça devenait trop borderline. L’asso est tombée en désuétude. La chambre de commerce et l’office de tourisme ont alors voulu fédérer les bouchons lyonnais sous une nouvelle entité. On est une vingtaine de restaurants.
Le label Les Bouchons Lyonnais a donc servi à écrémer les vrais bouchons des attrape-touristes ?
Attention : tous les bons bouchons de Lyon ne sont pas forcément labellisés Bouchons Lyonnais mais tous les bouchons labellisés sont de bons bouchons. En France, on n’est pas en dictature à ce que je sache, chacun est libre d’adhérer à l’association qu’il souhaite. Maintenant, ça n’a pas écrémé mais ça a permis de gagner en visibilité. Disons qu’aujourd’hui les vrais Lyonnais, il n’y en a plus. Donc l’association permet aux gens de ne pas aller n’importe où. C’est surtout à destination des néo-Lyonnais et des visiteurs.
Véritable mémoire culinaire de la ville, voraces Gardiens du Temple, les bouchons peuvent-ils être considérés comme une exception culinaire et culturelle lyonnaise ?
Mais oui, c’est même surtout une affaire culturelle. C’est un art de vivre, aller dans un bouchon, c’est faire acte de lyonnitude. C’est la mémoire immatérielle de Lyon. Si on enlève les bouchons, Lyon ne sera plus vraiment Lyon. Dans la capitale, les "vins et charbon" des bougnats auvergnats, où le mari livrait le charbon et son épouse servait les clients, ça ne parle plus aux gens, ça s’est perdu. Paris a perdu un peu de son âme…
"Un militant et un excellent colleur d’affiches ne font pas forcément de bons adjoints"
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