Pascal Dureau est médecin généraliste à Vénissieux et délégué national de MG France, premier syndicat des médecins généralistes. Pour lui, “le médecin généraliste est le paillasson de service”.
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Pascal Dureau : Je suis quelqu’un qui dit les choses, franchement, et qui les assume. J’appelle un chat un chat et je déteste les faux-semblants, les réponses qui viennent simplement justifier une situation. On peut appeler cela parler cash, dans le sens où je délivre une réponse.
Aujourd’hui, tout le monde se met à “parler cash”, entre les politiques qui veulent retrouver le contact avec le peuple, les grandes gueules, influenceurs et youtubeurs médiatisés…
Non, il n’y a pas beaucoup de parler cash, de gens qui disent les choses telles qu’elles sont. Au contraire, on se noie sous le politiquement correct. C’est terrible, on en crève à petit feu. En médecine, c’est l’équivalent d’un mauvais diagnostic. Et vous aurez beau mettre tous les meilleurs traitements du monde derrière, il y aura toujours un mauvais traitement. Idem en politique. Il ne peut pas y avoir d’économies de diagnostic comme il ne peut pas y avoir, globalement, d’économies de la santé, ce qu’on nous serine au quotidien. Alors, oui, on peut faire en sorte de trouver la solution la moins onéreuse pour soigner le patient, encore que ce ne soit pas mon engagement. Mais quand un interne me dit : “Untel toussait donc j’ai fait une radio pulmonaire”, je lui réponds que les radios laissent passer les pneumopathies dans 15 % des cas. Or, le patient ne nous dit pas : “Vous me soignez à 85 %.”
“Vénissieux, c’est 60 % de plus de diabètes, 40 % de plus de maladies respiratoires, 20 % de plus de maladies psychiatriques que dans le reste de la métropole de Lyon”
Quel est votre dernier coup de gueule ?
Les gouvernements ont mis en place une politique d’incitation à l’installation dans les zones sous dotées. Cette politique s’appuie sur un postulat qui correspond à ne pas dépasser la capacité d’aide qu’a l’assurance maladie pour le faire. OK, je comprends mais les chiffres sont faux : on compte des médecins spécialisés en angiologie, des sophrologues, des médecins du sport, des urgentistes comme des généralistes traitants. Diagnostic faux, remède pire que le mal. Et pire encore : non seulement nos médecins du territoire de Vénissieux sont sanctionnés mais la formation des infirmières de pratique avancée est impactée par une aide minorée, avec un retentissement sur tout l’accès aux soins. On marche sur la tête.
Vous êtes praticien à Vénissieux, les soins sont-ils différents selon les territoires ?
Bien sûr. Vénissieux, c’est 60 % de plus de diabètes, 40 % de plus de maladies respiratoires, 20 % de plus de maladies psychiatriques que dans le reste de la métropole de Lyon. Moi, si j’ai choisi Vénissieux, c’est parce qu’on a besoin de moi ici en tant que médecin généraliste.
Peut-on parler de fracture sanitaire en France ?
Oui. Les 10 % les plus riches consomment 20 % des ressources en santé. Les pauvres, c’est l’inverse. Et Vénissieux fait partie des 100 villes les plus pauvres de France.
On dit qu’il manque plus de 6 000 généralistes dans les campagnes selon l’Association des maires ruraux de France. Les déserts médicaux, villes ou campagnes ?
Et selon cette même étude, les habitants ruraux consomment 20 % de moins de soins hospitaliers par rapport aux Français des villes, tout simplement parce qu’ils n’ont pas accès aux soins. Je connais un collègue qui travaillait dans l’enclave des papes, dans la Drôme. Là-bas, une IRM ou un scanner, c’est trois mois. Ici je téléphone, et avec mon réseau, j’ai un scanner dans les deux heures. Les déserts médicaux, ils sont en ville pas à la campagne. À la campagne, ce sont des déserts tout court. Il n’y a pas de Poste, plus de commerces, plus de transports, plus d’école. Et dans ces “déserts-tout-court” on voudrait qu’un médecin vienne s’installer avec son conjoint, ses enfants. Cerise sur le gâteau, autrefois le médecin suffisait seul aux revenus de la famille alors que désormais le conjoint ne peut pas trouver de boulot parce qu’il n’y a pas de boulot dans les déserts pour les conjoints de ces médecins – même si les choses évoluent, du moins pour certains secteurs, avec le télétravail. Mais où on va là ?! Le problème, aujourd’hui, c’est qu’il n’y a aucune réflexion sur le modèle de santé qu’on veut. Nos réponses sont court-termistes. “Attention, nos urgences sont dépassées. Vite, on va faire des centres de soins immédiats !” C’est le discours de Cyrille Isaac-Sibille, médecin et député de la 12e circonscription du Rhône. Je l’aime bien mais il est juste en train de déshabiller Pierre pour habiller Paul. La bonne réponse, c’est l’éducation de la population. J’ai été médecin régulateur pendant vingt ans au sein du Samu, lorsque vous appelez le 15 ou le 116-117. C’est moi qui ai remis en place la régulation généraliste à Lyon, donc je connais un peu. Les gens appellent à 2 h du matin pour vous dire qu’ils ont vomi. “Oui, vous avez vomi, et alors ? Vous avez mal au ventre ? Ah, ben non. Vous avez de la fièvre ? Ah ben non. Pourquoi m’appelez-vous alors ?” Il y a des personnes à qui il faut expliquer certaines situations qui ne sont pas graves. Par exemple, leur dire que si elles ne boivent pas d’eau, elles seront constipées, auront la peau sèche, des démangeaisons, des infections urinaires.
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