Les Invincibles
Nous, on va former une bande… C’est Jean-François qui a eu l’idée. Il nous a dit, à la récré, qu’il venait de lire un livre dans lequel des copains formaient une bande et, après, ils faisaient des choses terribles, ils défendaient les gens contre les méchants, ils aidaient les pauvres, attrapaient les bandits et les traquaient jusqu’au bout du monde, en Suisse, en Lydie et en Machinkistan, ils rigolaient drôlement.
- La bande s’appellera les Invicibles, comme dans le livre. Nous nous réunirons après la classe, dans le terrain vague, nous a dit Jean-François ; le mot de passe, ce sera : « PMU tous en tutu ! »
Quand je suis arrivé dans le terrain vague, Xavier, Brice, François, Jean-François et Zadig y étaient déjà. J’avais été un peu retenu en classe par la maîtresse, qui me disait que je m’étais trompé dans un devoir d’arithmétique : il faudra que je dise à papa de faire attention.
- Le mot de passe ? m’a demandé François en m’envoyant des petits bouts de pain au chocolat à la figure (il mange tout le temps, François). « PMU tous en tutu ! » j’ai dit. « Tu peux entrer », il m’a dit.
Le terrain vague, il est formidable. On va souvent y jouer ; il y a de l’herbe, des chats, des boîtes de conserve, des pneus et une vieille cabine téléphonique qui n’a plus de vitres, mais où on s’amuse bien, allo, allo, les carottes sont cuites, je répète, les carottes sont cuites ! « C’est dans la cabine que nous nous réunirons », a dit Jean-François. Jean-François, il m’a fait rigoler, il a sorti de son cartable un masque qu’il avait mis sur ses yeux, une cape noire avec un « Z » derrière, et un chapeau. Son papa est très riche et il lui achète toujours des jouets et des déguisements. « T’as l’air d’un zozo », j’ai dit à Jean-François, et ça, ça ne lui a pas plu.
- C’est une bande secrète, a dit Jean-François, et comme je suis le chef, personne ne doit voir ma figure.
- Le chef ? a dit François, tu rigoles non ? Pourquoi tu serais le chef, parce que t’as l’air d’un champignon avec ton chapeau ?
- Non, monsieur, a dit Jean-François, parce que c’est moi qui ai eu l’idée de la bande, voilà pourquoi !
Et puis, Nadine est arrivée. Nadine, elle sort toujours après les autres de l’école. Comme c’est la dernière de la classe, elle a souvent des histoires avec la maîtresse, et elle doit faire des lignes. « Le mot de passe », lui a demandé François. « UMP, tous en récré ! » a répondu Nadine.
- Non, a dit François, tu n’entres pas. C’est pas le mot de passe !
- Quoi, quoi, quoi, a dit Nadine, tu vas me laisser entrer, espèce de gros type.
- Non, madame, a dit Brice, tu entreras quand tu connaîtras le mot de passe, sans blague !
- Moi, a dit Zadig, je propose qu’on choisisse le chef, pic et pic et colegram…
- Pas question ! a dit Jean-François. Dans le livre, le chef c’était le plus brave et le mieux habillé, en plus il jouait de l’orgue Bontempi comme moi. Le chef, c’est moi !
Alors, Brice lui a donné un coup de poing sur le nez, il aime bien ça Brice et quand il s’énerve, il a plein de plaques rouges qui sortent sur sa figure et on voit plus ses petits yeux parce que ses joues sont toutes gonflées, ça le fait ressembler à un petit cochon. Jean-François est tombé par terre, le masque de travers et les mains sur le nez.
- Puisque c’est comme ça, a dit Jean-François, tu ne fais plus partie de la bande !
- Bah, a dit Brice, je préfère rentrer chez moi jouer à Poil de Carotte ! Et il est parti.
- UPM, tous on s’aime ? a dit Nadine, et François lui a répondu que non, ce n’était toujours pas le mot de passe, et qu’elle ne pouvait pas entrer, déjà qu’on acceptait une fille, il fallait au moins qu’elle fasse un effort.
- Bon, a dit Jean-François, il faut qu’on décide ce qu’on va faire. Dans le livre, les Invincibles prenaient l’avion pour aller en Amérique chercher l’oncle d’un pauvre petit orphelin à qui des méchants avaient volé son héritage.
- Moi je pourrai pas y aller en Amérique, avec l’avion, a dit Xavier. Ca fait pas si longtemps que maman me laisse traverser la rue tout seul.
- Nous ne voulons pas de lâches chez les Invicibles ! … a crié Jean-François.
Alors Xavier ça été terrible, il a dit que c’était trop fort, qu’il était le plus brave de tous, et que puisque c’était comme ça, il partait, mais qu’on allait bien le regretter. Et puis il est parti.
- PMU tout poilu ? a demandé Nadine. « Non ! », a répondu François en mangeant un croissant aux rillettes.
- Tous dans la cabine, a dit Jean-François, nous allons discuter de nos plans secrets.
Moi, j’étais drôlement content, j’aime bien aller dans la cabine, même si on se fait mal avec les bouts de métal qui dépassent.
- Je veux bien aller dans la cabine, a dit François, si c’est moi qui téléphone au commissaire de la police secrète.
- Non, c’est le rôle du chef, a répondu Jean-François.
- T’es pas plus chef que moi, a dit François, et Nicolas avait raison, t’as l’air d’un zozo avec ton déguisement !...
- T’es jaloux, voilà ce que tu es, a dit Jean-François.
- Eh bien ! puisque c’est comme ça, a dit François, je vais former une autre bande secrète, et on va démolir ta bande secrète, et ce sera nous qui irons en Amérique pour l’histoire de l’orphelin.
- Non, monsieur, a crié Jean-François, c’est notre orphelin, c’est pas le vôtre, vous n’avez qu’à vous en trouver un autre d’orphelin… non, mais sans blague !...
- On verra, a dit François, et il est parti.
- P MU-MU ! a crié Nadine, ça y est. P MU-MU !
- Attends, a dit Zadig, bouge pas… Et puis Zadig est venu vers nous. C’est quoi, le mot de passe, déjà ? il a demandé.
- Comment, a crié Jean-François, tu ne te souviens pas du mot de passe ?
- Ben non, quoi, a dit Zadig, avec cette imbécile de Nadine qui me dit tout le temps des choses, je ne m’en souviens plus…
Jean-François était furieux.
- Ah ! elle est belle, la bande des Invicibles, il a dit, vous n’êtes pas des Invicibles, vous êtes des incapables !...
- De quoi ? a demandé Zadig.
Nadine s’est rapprochée.
- Alors, je peux entrer, oui ou non ! elle a dit.
Jean-François a jeté son chapeau par terre.
- Tu n’as pas le droit d’entrer. Tu n’as pas dit le mot de passe ! Une bande secrète doit avoir un mot de passe, comme dans le livre ! Ceux qui n’ont pas le mot de passe, c’est des espions !...
- Et moi, a crié Zadig, tu crois que je vais rester tout le temps à écouter les bêtises que me raconte Nadine ?... Et il est parti.
- Je n’ai pas besoin de ta permission pour entrer ici, a dit Nadine à Jean-François. Le terrain vague n’est pas à toi !... Tout le monde peut y entrer, même les espions !
- J’en ai assez ! Puisque c’est comme ça, vous n’avez qu’à entrer tous !... a crié Jean-François en pleurant dans son masque. C’est vrai, vous savez pas jouer ! J’irai la former seul, ma bande des Invicibles. On ne se parle plus !...
Nous sommes restés tous les deux, Nadine et moi. Alors, je lui ai dit le mot de passe ; comme ça, ce n’était plus une espionne, et on a joué au docteur. C’était chouette, l’idée de Jean-François, de former une bande.
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A suivre …
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A lire aussi :
• 1er épisode — François a été renvoyé
• 2e épisode — On a répété pour le général
• 3e épisode — Le repas de famille