Pour Olivier Richomme, maître de conférences en civilisation américaine à l’université Lumière-Lyon 2, l’élection de Trump a marqué les États-Unis et le Parti républicain même s’il s’agit là, selon lui, du chant du cygne d’“une Amérique dépassée”.
Lyon Capitale : En tant que chercheur en civilisation américaine, quelle a été votre première réaction après la victoire de Donald Trump ?
Olivier Richomme : Je suis tombé de très haut, comme tout le monde. Je ne l'ai pas vue venir. Ma femme, qui est citoyenne américaine, m'avait dit que ça pouvait arriver. Moi, ça me paraissait tellement impossible. Les sondages, les gens que je connais, chez les républicains, les démocrates, personne n'y croyait. Même les sondages internes des partis disaient qu'il ne pouvait pas gagner. Les républicains faisaient déjà tous les préparatifs parce qu'ils savaient qu'ils allaient perdre la chambre et le Sénat.
Ce vote Trump, dont la ligne politique est différente de la ligne traditionnelle des Républicains, va-t-elle rebattre les cartes au sein du parti ?
Ça ne rebat pas les cartes. C'est une victoire Trump, mais pas du Parti républicain. Le Parti républicain continue sa mue et entre ici dans une nouvelle phase. La coalition conservatrice de Reagan, que Bush avait continuée, a explosé. Trump en a ramassé les miettes, mais sa ligne n’est pas tenable au sein du parti, parce qu'il a des positions sur le libre-échange par exemple qui sont à l'opposé de celle des républicains depuis des décennies. Maintenant, ou bien le Parti républicain devient un parti populiste et nationaliste, ou bien il va y avoir une scission, car on ne voit pas Trump travailler main dans la main avec ceux qu'il a insultés durant sa campagne.
“Il va y avoir une bataille au sein des républicains”
Est-ce la fin du bipartisme aux États-Unis ?
On n’a aucune idée de ce que ça va donner, mais ce n'est pas impossible, même si je pense que les institutions qui forcent au bipartisme vont s'imposer. De toute façon, il va y avoir une bataille au sein des républicains et l'une des deux lignes va phagocyter l'autre.
La ligne Trump peut-elle s'imposer ?
Il semble que l'électorat blanc déclassé et sans diplôme a décidé de voter comme un seul homme et de se déplacer pour Trump. Les gens proches des syndicats, les ouvriers des usines, qui votaient démocrate dans le passé, ont voté pour cet homme. L'élection de Trump est un message anti-système fort. Les gens sont passionnés par leur candidat, mais n'attendent rien de lui. Ils ont peu d'espoir de retrouver des niveaux d'emploi. Parce que Trump n'a pas de baguette magique et ne changera pas grand-chose. Mais, quand on regarde les forces démographiques, ces gens ne sont pas l'avenir du pays. L’électorat va être de plus en plus métropolitain et divers. Donc la xénophobie et la misogynie ne feront pas recette ad vitam æternam. Trump est la dernière colère, le dernier sursaut, d'une Amérique dépassée.
“Trump a très bien su utiliser les médias pour établir sa marque”
Comment se fait-il que le Parti démocrate n'ait pas réussi à mobiliser assez les populations qui seront majoritaires d'ici quelques années, à savoir les Afro-Américains et les Latinos ?
La mobilisation est une vraie question pour l'avenir du pays. Le vote latino est circonscrit dans certains Etats, et en général ils votent peu et sont peu inscrits. S'ils avaient le taux d'inscription et de participation des Afro-Américains, les démocrates seraient toujours au pouvoir. D'ailleurs, si le Parti républicain continue de tenir ses propos sur la population latino, alors ils vont se tirer une balle dans le pied sur le long terme.
Les médias, très majoritairement pro-Hillary Clinton se sont tous trompés. Quel a réellement été leur rôle dans l'élection de Donald Trump ?
Je ne sais pas si l'on peut blâmer les médias. D'ailleurs, beaucoup de journaux conservateurs n'ont pas pu se résoudre à soutenir Trump. Le New York Post, qui est détenu par Rupert Murdoch, ne l'a pas soutenu. Les gens votent avec leurs clics et leurs deniers quand ils achètent les journaux. S’ils vendent plus en mettant Trump en une, est-ce que l'on peut les blâmer ? Le chef de CBS avait dit : "Trump est mauvais pour l'Amérique, mais il est bon pour CBS." Cette phrase va lui coller longtemps à la peau. Mais il faut dire aussi que Trump a très bien su utiliser les médias pour établir sa marque.
“Les démocrates auront un pouvoir pour bloquer Trump au Sénat”
Donald Trump a très bien réussi à parler aux gens déclassés qui votaient pour les démocrates auparavant. À quel moment le parti d'Hillary Clinton a-t-il échoué ou renoncé à parler à ces gens ?
Ils ont échoué quand, durant la primaire, les candidats ont laissé la place à Clinton parce que c’était censé être "son tour". Alors que cette dernière était justement très impopulaire chez ces gens déclassés. En 2008, elle avait perdu contre Obama dans le Michigan et l'Ohio. Ils n'ont pas réussi à percevoir à quel point elle était impopulaire.
Les institutions vont-elles être un frein à la politique que va mener Donald Trump ?
L’élection de Donald Trump, on n'en est qu'au début et on va s'en taper quatre ans. Trump ne pensait pas être élu et personne ne sait ce qu'il va faire. Je crois que même lui ne le sait pas. Mais, aux États-Unis, le président ne fait pas ce qu'il veut. Au Sénat, les démocrates auront un pouvoir pour le bloquer parce que le Sénat a beaucoup de pouvoir et c'est difficile de faire contre le Sénat. Au sein du Parti républicain, il y aura aussi des difficultés dans la chambre [des représentants] parce qu'ils ne s'entendront pas sur tout, même s'ils auront des consensus sur certaines choses comme la suppression de la réforme de la santé de Barack Obama. C'est surtout sur la politique étrangère, où le président a plus de pouvoir, que l'on est dans un saut vers l'inconnu. Trump veut modifier le traité avec l'Iran, qui leur interdit les recherches sur la bombe nucléaire. Il veut aussi laisser les Russes tuer tout le monde en Syrie.
Trump se posant en anti-système, si les institutions le bloquent, il pourra aussi dire qu'encore une fois il ne peut pas faire ses réformes, à cause du système...
L'opinion publique aura un rôle important. On sait par exemple que sur les questions de terrorisme et d’immigration il y a un manque de rationalité assez fort aux États-Unis. Sur ce point, on peut s'inquiéter parce que Trump a parlé de déporter 11 millions de personnes et d’empêcher les musulmans de venir sur le territoire américain. Sur ces questions, s'il a l'opinion derrière lui, ça va poser problème. Si cela arrive, alors on va voir si les autres leaders politiques ont des principes ou s'ils se rangent derrière lui.