Mais la force de persuasion du candidat ne faisait pas oublier le rendez-vous raté de la Croix-Rousse ni surtout l'incohérence de certains propos.
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En fin de campagne, épuisés physiquement, les candidats sont dans un état de fragilité qui les rend plus transparents, plus faciles à l'analyse. A ce titre, le déplacement de Nicolas Sarkozy jeudi dernier à Lyon a souligné avec cruauté les contradictions d'un candidat pourtant coriace et consistant.
A Lyon, la machine Sarkozy a confirmé toute sa puissance et sa force d'attraction - il y avait près de 15 000 personnes à Eurexpo jeudi. Même en roue libre, Sarko reste une bête de scène, sorte de Johnny en bleu marine.
Mais la visite a révélé aussi le talon d'Achille, sous la forme d'un petit caillou rebelle qui a manqué de faire renverser le carrosse. Pour éviter de croiser 50 manifestants Croix-roussiens, plus goguenards qu'agressifs, Sarkozy a zappé les meilleurs macarons de Lyon et son rendez-vous chez Bouillet. Il a fait expliquer par le député Hamelin qu'il avait un retard d'avion, ce qui était faux.
Ce petit grain de sable croix-roussien a dû irriter Sarkozy, au point de lui faire multiplier les grands écarts lors de son meeting de fin de journée. Les images, les propos, les argumentaires, souvent servis sur un mode binaire assez enfermant, se sont montrés bien moins cohérents que ses propositions sur le travail sur lesquelles il a construit avec succès sa campagne.
Au rayon des incohérences, il y avait tout d'abord Bernadette Chirac, gri-gri présidentiel présenté comme "le symbole de l'unité de la famille". Quelques instants plus tard, Sarkozy s'adressait à la foule : "Je sais que vous vous dites qu'on vous a souvent menti par le passé. Oui, on vous a menti !" Madame Chirac, figée, n'a pas applaudi. Difficile pour Sarko de vouloir gérer la continuité, la rupture... et de rester bien élevé.
Le candidat UMP s'est aussi lancé dans un long développement sur l'Histoire de France qui pour lui est "une" et dont les différentes périodes doivent être appréhendées dans "une synthèse". C'était le côté Mitterrand 1988, très "France unie". Mais parlant d'éducation, Nicolas Sarkozy s'appuyait ensuite sur Jules Ferry pour démolir tout l'esprit de mai 68, avec un systématisme et un manque de nuance étonnants. Le candidat UMP, comme exemple ultime d'abération soixante-huitarde, citait un exercice donné à une classe : "celui d'imaginer une autre fin au Cid, vous rendez-vous compte ?"
En quelques minutes, le fameux "esprit de synthèse" volait en éclat ! Plus de "France éternelle", Nicolas Sarkozy donnait l'impression de vouloir rayer mai 68 des livres d'histoire, et de jeter sans ménagement le bébé avec l'eau du bain. Etrange impression d'un "synthétiseur" soudain pris par une passion revancharde.
Autre exemple de grand écart dialectique : l'amour proclamé du candidat pour l'Histoire de France... Mais sa détestation affichée parallèlement pour toute trace de "repentance", de regard critique sur le passé. Et dans le même souffle, Sarkozy exaltait le travail des colonisateurs.
Là non plus, madame Chirac n'a pas applaudi.