De « cruellement logique », l'hypothèse financière expliquant l'attentat de Karachi (11 Français tués en 2002) est devenue la « seule piste crédible ». Le juge Marc Trévidic l'a dit ce vendredi aux familles des victimes.
Pour en arriver là, il a fait comme le préconisait Elliot Ness : « Follow the money line. » En suivant l'odeur des dollars, le magistrat anti-terroriste Marc Trévidic est en train de pousser les ex-balladuriens à la faute. Edouard Balladur, Premier ministre entre 1993 et 1995, François Léotard et Nicolas Sarkozy vont en effet devoir s'expliquer sur les comptes du contrat Agosta.
Dans cette transaction, 826 millions d'euros avaient été versés pour trois sous-marins vendus au Pakistan en 1994. Et si les trois hommes sont dans la mire de la justice, c'est à cause d'un banal intermédiaire libanais.
« Rien ne vient confirmer la piste Al Qaeda »
En accueillant les familles des victimes et leurs avocats au palais de justice, pour faire un point sur l'enquête, Marc Trévidic a voulu solenniser un rendez-vous désagréable.
Si l'on en croit les propos rapportés par l'avocat des familles des victimes, l'hypothèse d'un règlement de comptes financiers autour des commissions (plus de 10%) versées en marge de ce contrat a pris de l'épaisseur. Olivier Morice :
« Rien ne vient confirmer la piste Al Qaeda. Au contraire, la seule piste crédible que le juge continue à examiner est la piste financière. (…)
Le juge Trévidic a confirmé l'existence de rétro-commissions illicites, notamment par les propres documents internes de DCNI qui, dans le cadre de ses échanges avec ses conseils, reconnaissait l'existence de ses rétrocommissions. » (Voir la vidéo)
Jeudi, le magistrat a reçu un contrat de consultant signé de la main de Ziad Takkiedine, intermédiaire libanais imposé en toute fin de négociation par l'équipe de François Léotard, alors ministre de la Défense.
Ce richissime homme d'affaires, proche de Saoudiens influents à la cour du roi Fahd d'Arabie, a toujours démenti un quelconque rôle dans ce dossier.
Problème : outre sa signature, ce document comporte aussi de nombreuses annotations manuscrites. Takkiedine devait, d'après ce contrat, toucher 4% du montant de l'opération. Pour qui ? Pour quoi ? Deux questions auxquelles il devra certainement répondre dans le cabinet du juge.
Faire sauter les « verrous » qui brident l'enquête
Pire : selon Olivier Morice, plusieurs courriers entre DCNI, la filiale internationale de la direction des constructions navales, et ses avocats, établissent sans ambiguïtés l'existence de rétro-commissions versées à « des hommes politiques français ».
Ce soupçon, qui plane depuis plus d'un an sur l'enquête, prend de l'épaisseur. Manifestement, la loyauté de certains cadres dirigeants de la DCN a atteint ses limites. Ils ne veulent pas cautionner des mensonges d'Etat aussi lourds à porter.
A l'appui de sa démonstration, le juge Trévidic a longuement évoqué les « verrous » à faire sauter pour que l'enquête progresse :
- pas assez de moyens mis à disposition du magistrat, notamment de la part de la DCRI
- une déclassification au compte-goutte des documents, en particulier ceux émanant du ministère de la Défense
- enfin -c'est rare-, un second magistrat codésigné qui ne veut plus travailler sur l'enquête parce qu'il ne « croit pas » à la piste financière
Le juge Yves Janier n'était d'ailleurs pas présent lors de ce rendez-vous. Magali Drouet, l'une des porte-parole des familles, est allée droit au but :
« Je pense que M. Janier doit être révoqué et remplacé. »
Obtenir la désignation d'un magistrat financier
Quant à Sandrine Leclerc, autre représentante des familles, elle met le gouvernement au pied du mur :
« Est-ce qu'on veut vraiment faire la lumière sur cette affaire qui a fait 11 morts, 11 veuves et 27 orphelins ?
Les parties civiles ne sont pas engagées dans une chasse aux sorcières contre Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur ou qui vous voulez… ce qu'on veut c'est la vérité, toute la vérité. »
Conséquence logique de ces nouvelles : le juge Trévidic demande au parquet de reconsidérer le périmètre de son enquête, en l'élargissant à la dimension financière. Et pour cela, il veut obtenir, comme les familles, la désignation d'un magistrat spécialisé du pôle financier.
Photo : des officiers pakistanais portent les cercueils des Français morts dans l'attentat de Karachi en 2002 (Zahid Hussein/Reuters)
A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89
- ► Karachi : Sarkozy et Balladur directement impliqués
- ► Tous nos articles sur l'attentat de Karachi
- ► Marc Trévidic : « Je suis un juge cow-boy qui s'intéresse aux Indiens »
Ailleurs sur le Web