Muguette Dini
Muguette Dini © Tim Douet

Auto-entrepreneurs : vers "une mise à mort économique" ?

INTERVIEW – En ce mois d’août, Grégoire Leclercq et les Poussins sont repartis en campagne contre la réforme Pinel du statut d’auto-entrepreneur. Et le président de la fédération des auto-entrepreneurs (FEDAE) ne compte pas prendre de vacances. Sa priorité : couvrir le terrain parlementaire avant la rentrée des ministres, le 21 août. Pour étouffer dans l’œuf, si possible, un projet qu’il perçoit comme "un non-sens absolu". Pour Lyon Capitale, il livre ses attentes et ses craintes à l’aune d’un été crucial pour l’avenir de l’auto-entreprise.

Lyon Capitale : Avant la reprise de votre travail de sape contre le projet Pinel, les sénateurs semblent déjà de votre côté, Muguette Dini sénatrice UDI du Rhône, en tête

Grégoire Leclercq : Ce soutien conforte notre position, et je retire ce que j’ai dit sur un soutien "étonnant" : il ne vient pas de là où nous l’attendions, mais il n’étonnera personne en vérité. Elus locaux, les sénateurs connaissent leurs territoires. Ils ont conscience que le statut d’auto-entrepreneur peut être une bouffée d’oxygène pour le pouvoir d’achat des Français. Muguette Dini le sait : cette réforme risque de leur envoyer un signal ultra-négatif, mais la ministre ne bougera pas d’un cil sur son texte tel qu’annoncé, et nous n’espérons rien avant cet automne. Notre seul espoir demeure qu’il soit recalé au Parlement.

Tout n'est pas à jeter dans ce projet pour Muguette Dini, pourtant. Elle n'est pas opposée à un meilleur suivi des auto-entreprises, par exemple. Autre point commun entre vous ?

Et comment ! A l’origine de notre conflit avec Sylvia Pinel, il y a l’idée que l’on se fait de la croissance. La ministre estime qu’en la décrétant, elle reviendra à un moment donné. Pour nous, elle ne s’attend pas : elle se génère. La générer par l'accompagnement des auto-entrepreneurs, pour leur proposer de changer de statut le moment venu ? Nous nous battons pour depuis 4 ans ! De même, plus de formation, d’évaluations statistiques, de contrôles des diplômes et assurances, nous applaudissons. Encore faut-il y mettre les moyens...

Mais ce décret anti-confiance limitant l’auto-entreprise dans le temps et le volume de chiffres d’affaires, non ! En plus d’être un non-sens absolu, il sera une épée de Damoclès planant au-dessus des auto-entrepreneurs dans le futur. Une guillotine prête à les découper en tranches pour les renvoyer vers leurs situations passées : travail au noir, Pôle Emploi, RSA…

Les artisans estiment que vous leur faites subir une concurrence déloyale. Des "régimes spéciaux" d'auto-entrepreneur selon les secteurs peuvent-ils être la solution ?

Non, nous ne sommes d'accord sur ce point avec Muguette Dini. Ce n’est qu’un élément de langage pour dire que l’on va sortir les artisans du régime sans le dire vraiment. En fait de "régimes spéciaux", il s’agirait d’un dénigrement conduisant à une discrimination positive des uns par rapport aux autres. Mais au nom de quoi les artisans n’auraient-ils pas le droit d’exercer sous le statut d’auto-entrepreneur ?

La boîte de Pandore serait ouverte pour faire sortir d’autres métiers du régime dès qu’un lobby criera plus fort… Du reste, la "concurrence déloyale" que dénoncent les artisans du bâtiment n’existe pas ! C’est une concurrence de marchés. Ce statut n’a donné lieu qu’à un seul vrai changement : avant 2009, certains faisaient le travail au noir ; désormais reconnus, ils mangent des parts de marchés aux autres, qui s’en plaignent.

Vous niez donc toute concurrence déloyale avec les artisans ?

Je ne nie pas le problème, mais il ne faut pas se leurrer : une réforme destinée aux secteurs dont les lobbies se fédèrent contre nous créera un précédent terrible. Nous défendons une autre voie : faire converger les régimes d’auto-entrepreneur et d’entrepreneur individuel. En s'attaquant au problème de base du système actuel : l'iniquité, via les charges forfaitaires. Nous proposons d’appliquer à l’ensemble des entrepreneurs le forfait microsocial simplifié. A l’inscription, personne ne paiera rien. Puis, chaque trimestre, chacun règle ses charges sociales à proportion du chiffre d’affaires qu'il aura généré. Ainsi, tout le monde serait content.

Si la réforme est votée telle quelle, comment envisagez-vous l’avenir de l’auto-entrepreneuriat en France ?

Cette réforme signera notre mise à mort économique, en trois temps. Une vague de radiations aura lieu, certains n'ayant pas le courage de franchir le nouveau seuil des 19 000 euros. Nous devrons ensuite faire face à une pénurie d’inscriptions, face à la limitation dans le temps qui rendra le régime caduc. Enfin, le chiffre d’affaires des auto-entrepreneurs va se casser la figure, de l’ordre de 500 millions à un milliard d’euros selon nos premiers calculs. Avec un effet pervers parallèle, que l'on peut prédire : une explosion phénoménale du travail au noir.

Imaginez : entre 19 000 et 32 000 euros de seuil, le chiffre d’affaires engendré par l’auto-entreprise correspond déjà à 1 milliard, sur les 7 milliards d’euros par an qu’elle produit au total. Ce milliard de chiffre d’affaires sera fait au noir. Point-barre. L’Etat perdra ainsi, à la louche, 200 millions de cotisation sociale et 50 millions de recette fiscale. A nous de lui éviter ce manque à gagner…

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