Lundi 5 octobre, sur le plateau de de « Mots croisés » sur France 2, l'eurodéputé verte Corinne Lepage, le député PS André Vallini, le porte-parole de l'UMP Frédéric Lefebvre et la Frontiste Marine Le Pen débattent des crimes sexuels et de leur récidive.
Et soudain, elle s'énerve, déplorant que le ministre de la Culture ait écrit une apologie du tourisme sexuel dans son roman d'inspiration autobiographique et appelant à sa démission :
"Et cet homme-là est ministre de la culture ! Mais qu'est-ce qu'on va dire aux délinquants sexuels, quand Mitterrand est ministre de la Culture et pose une tache indélébile sur le gouvernement ?" (Voir la vidéo.)
Les passages lus par Marine Le Pen sont effectivement issus de "La mauvaise vie", publié en 2005, mais le résumé et les conclusions qu'en tire la responsable frontiste sont "pour le moins rapides", comme le relève Yves Calvi.
"La mauvaise vie" n'est pas un roman faisant l'apologie du tourisme sexuel. Ça n'en est ni le propos, ni le thème principal. Dans ce texte, Frédéric Mitterrand met en scène les confidences d'un homme fatigué de mentir. Il livre alors ses parts d'ombre : son enfance, son homosexualité, ses amours déçues, sa mélancolie maladive, ses relations sexuelles tarifées…
Les « gosses » ne sont pas des enfants, mais des étudiants
C'est du chapitre « Bird », le surnom d'un garçon rencontré en Thaïlande, que sont extraits les passages incriminés. De quoi est-il question ? Des ses voyages en Asie. Le chapitre s'ouvre sur sa rencontre avec un "garçon". Le mot est répété tout le long du chapitre. "Les garçons" ou "les gosses". Ils sont ainsi décrits :
"J'imaginais Tony Leung à 20 ans (Tony Leung est un acteur hongkongais né en 1958. Dans cette phrase, il faut comprendre “il ressemble à Tony Leung à 20 ans”, ndlr)
La plupart d'entre eux sont jeunes, beaux, apparemment épargnés par la dévastation qu'on pourrait attendre de leur activité. J'apprendrai plus tard qu'ils ne viennent pas tous les soirs, ont une petite amie, sont souvent étudiants et vivent parfois même avec leur famille qui prétend ignorer l'origine de leur gagne-pain."
Il ne s'agit donc pas d'enfants, mais d'étudiants. D'ailleurs, lorsqu'un rabatteur lui propose « young boys, no trouble, very safe", il décline et se fait cette réflexion :
"Je mesure le chemin parcouru par la réputation des Français, depuis le french-lover hollywoodien des années 30 au pédophile planqué des années 2000."
Ce que décrit Frédéric Mitterrand dans ce chapitre, ce sont des errances éthyliques. Tristes. Sordides. Il sait ce que la fréquentation de bars à prostitués a de peu glorieux et l'écrit :
"Contrairement à une assertion généralement colportée il y a peu de ruines sexuelles occidentales parmi le public, la clientèle est en majorité locale, d'âge moyen, bien convenable et sort en bande légèrement arrosée au whisky-coca.
Évidemment j'ai lu ce qu'on a pu écrire sur le commerce des garçons d'ici et vu quantité de films et de reportages ; malgré ma méfiance à l'égard de la duplicité des médias je sais ce qu'il y a de vrai dans leurs enquêtes à sensation ; l'inconscience ou l'âpreté de la plupart des familles, la misère ambiante, le maquereautage généralisé ou crapahutent la pègre et les ripoux, les montagnes de dollars que cela rapporte quand les gosses n'en retirent que des miettes, la drogue qui fait des ravages et les enchaîne, les maladies, les détails sordides de tout ce trafic.
Je m'arrange avec une bonne dose de lâcheté ordinaire, je casse le marché pour étouffer mes scrupules, je me fais des romans, je mets du sentiment partout, je n'arrête pas d'y penser mais cela ne m'empêche pas d'y retourner. Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m'excitent énormément. La lumière est moche, la musique tape sur les nerfs, les shows sont sinistres et on pourrait juger qu'un tel spectacle, abominable d'un point de vue moral, est aussi d'une vulgarité repoussante.
Mais il me plaît au-delà du raisonnable. La profusion de garçons très attrayants, et immédiatement disponibles, me met dans un état de désir que je n'ai plus besoin de refréner ou d'occulter. L'argent et le sexe je suis au coeur de mon système, celui qui fonctionne enfin car je sais qu'on ne me refusera pas (…) La morale occidentale, la culpabilité de toujours, la honte que je traîne volent en éclat ; et que le monde aille à sa perte, comme dirait l'autre (…).
Je sais aussi très bien que tout cela n'est qu'une sinistre farce que je me raconte à moi-même. J'ai beau résister, le mensonge se délite quand je prends l'avion du retour, le réel me remet le nez dans ma merde dès que j'arrive à Paris, le remords m'attrape et ne me lâche plus d'une semelle, rendu furieux par la peur d'avoir failli perdre ma trace."
S'ensuit le récit de sa nuit avec Bird, dont il dit tomber amoureux. Le long du chapitre, il ne sera question que de le retrouver :
"A-t-il deviné que je l'ai vraiment aimé le temps d'un éclair et que j'ai eu tant pitié de lui, de moi, de toute cette histoire qu'il ne m'était pas possible de continuer et de le laisser comme ça dans un tel abandon."
Frédéric Mitterrand a donc bien été un touriste sexuel parmi d'autres à Bangkok. Il raconte aussi d'autres bars, d'autres amours tarifées dans d'autres villes, dont Paris. La prostitution, il en dit qu'elle est "comme une autre sorte d'amour qui circule entre les êtres, malgré tout".
Interrogé à plusieurs reprises dès 2005
Déjà interrogé à ce sujet en 2005, lors de la sortie de son livre, il s'était défendu d'avoir eu des relations avec des petits garçons et s'il reconnaissait des passages "glauques" et "moches", le ministre de la Culture disait avoir voulu un récit de vérité.
Sur les plateaux télés, il admet avoir eu recours au prostitués. A Franz-Olivier Giebert qui lui demande s'il a mauvaise conscience à Bangkok, il répond :
"Ça dépend, c'est pour ça que je ne pouvais pas faire l'économie de ce chapitre, parce que je ne sais pas, et ne sachant pas encore maintenant je pense qu'il est plus honnête de le dire. (…) Si je n'avais pas écrit ce chapitre, j'aurais menti. Et le but de ce livre était de ne pas mentir et de ne pas mentir à moi-même."
Aujourd'hui attaqué par le FN mais aussi par le Parti socialiste - Benoît Hamon s'est dit « choqué » - Frédéric Mitterrand a déclaré que "se faire traîner dans la boue par le Front national est un honneur".
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