Le repas de famille
Aujourd’hui, c’est un chouette jour ! C’est l’anniversaire de mémé, qui est la maman de ma maman, et tous les ans, pour l’anniversaire de mémé, la famille se réunit dans un restaurant pour déjeuner et on rigole bien.
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Quand papa, maman et moi sommes arrivés au restaurant « Le Veau Girard, Aux Amis Réunis », tout le
monde était déjà là. Il y avait une grande table au milieu du restaurant, avec des chrysanthèmes dessus et la famille autour qui criait, riait et nous disait bonjour. Les autres clients du restaurant ne criaient pas, mais ils riaient. Nous sommes allés embrasser mémé, qui était assise au bout de la table, et papa lui a dit :
- Chaque année qui passe vous rajeunit, belle-mère.
Et mémé lui a répondu :
- Vous par contre, gendre, vous avez l’air fatigué, vous devriez faire attention. Et puis cette vilaine barbe d’une semaine, ça fait négligé, on dirait un socialiste.
Et puis il y avait la tante Roselyne, la sœur de papa, qui est grosse, rouge et qui rit tout le temps en faisant bouger son cou.
- Comment vas-tu… yau de poêle ? elle a dit à papa et ça m’a fait rigoler parce que je ne la connaissais pas, celle-là, et je la répèterai aux copains.
J’aime bien la tante Roselyne : elle est très drôle, elle raconte toujours des blagues. Ce qui est dommage, c’est que, quand elle commence à les raconter, on me fait sortir. Il y avait aussi la tante Nathalie, qui ne dit jamais grand-chose mais qui cligne des yeux très vite et se regarde toujours dans la glace, et l’oncle Harry, qui parle tout le temps et qui a une grosse voix ; l’oncle Jean-Claude de Marseille, qui est le plus vieux et qui gronde tout le monde ; Rachida, qui est la cousine éloignée de maman et qui est drôlement jolie, et papa le lui a dit et maman a dit à papa que c’était vrai mais qu’elle devrait aller chez le dentiste, parce que ses dents étaient vraiment en avant et que cette béance ça fait quand même un peu vulgaire. Il y avait aussi l’oncle Patrick et la tante Michèle, qui est souvent malade et qui fait tout le temps des cures à Biarritz et en Tunisie ; elle a eu des tas d’opérations et elle les raconte tout le temps. Elle a raison de les raconter, parce que les opérations ont drôlement réussi : tante Michèle a vraiment bonne mine.
Et puis il y avait mes cousins à moi, que je ne vois pas souvent parce qu’ils habitent très loin. Il y a Jean-Marie et Bruno, qui sont un peu plus petits que moi et qui sont tout pareils parce qu’ils sont nés le même jour ; leur sœur Marine qui a mon âge et une robe bleue, et le cousin Silvio, qui est un peu plus grand que moi, mais pas beaucoup. Tous les grands ont caressé la tête à Jean-Marie, Bruno, Silvio, Marine et moi. Ils nous ont dit qu’on avait beaucoup grandi, ils ont demandé si on travaillait bien à l’école, combien ça faisait 8 fois 12 et la tante Roselyne m’a demandé si j’avais une fiancée et maman a dit :
- Roselyne, vous ne changerez jamais.
- Bon, a dit mémé, si on s’asseyait, il se fait tard.
Alors, chacun a commencé à chercher où s’asseoir. Roselyne a dit qu’elle allait placer tout le monde, qu’elle avait l’habitude.
- Rachida, elle a dit, vous vous mettrez à côté de moi, Jean-Claude à côté de mon frère…
Mais papa l’a interrompue en disant que ce n’était pas la bonne façon, que lui il pensait… Alors l’oncle Jean-Claude n’a pas laissé finir papa, il lui a dit qu’on n’était pas plus aimable et qu’on ne se voyait pas souvent et qu’on pourrait faire un effort pour être poli. Rachida s’est mise à rigoler, mais papa ne rigolait pas ; il a dit à la tante Roselyne qu’il fallait toujours qu’elle se fasse remarquer, avec ses robes roses, sa grosse voix de Castafiore et sa manie de glousser ; mémé a dit que ça commençait bien et un garçon qui paraissait plus important que les autres s’est approché de mémé et il a dit qu’il se faisait tard et mémé a dit que le maître d’hôtel avait raison et que tout le monde se place n’importe comment et tout le monde s’est assis, la cousine Rachida à côté de la tante Roselyne et l’oncle Jean-Claude à côté de papa.
- J’ai pensé, a dit le maître d’hôtel, que nous pourrions mettre les enfants ensemble au bout de la table.
- Très bonne idée, a dit maman.
Mais Marine, alors, s’est mise à hurler qu’elle voulait rester avec les grands et avec son papa et qu’il fallait qu’on lui coupe sa viande et que ce n’était pas juste et qu’elle allait être malade. Tous les autres clients du restaurant avaient cessé de manger et nous regardaient. Le maître d’hôtel est venu en courant, il avait l’air assez embêté.
- Je vous en prie, il a dit, je vous en prie.
Alors, tout le monde s’est levé pour laisser une place pour Marine à côte de son papa. Quand ils se sont rassis, tout le monde avait changé de place, sauf la tante Roselyne qui était toujours à côté de Rachida et papa qui était entre l’oncle Jean-Claude et la tante Michèle, qui a commencé à lui raconter une opération terrible. J’étais assis au bout de la table avec Jean-Marie, Bruno et Silvio. Les garçons ont commencé à apporter des huîtres.
- Pour les enfants, a dit l’oncle Harry, pas d’huîtres, un peu de charcuterie.
- Pourquoi est-ce que je n’aurais pas d’huîtres ? a crié Silvio.
- Parce que tu n’aimes pas ça, a répondu l’oncle Harry avec sa voix grave et ses yeux ronds.
- Si, j’aime ça ! a crié Silvio. Je veux des huîtres !
Le maître d’hôtel s’est approché, très embêté, et l’oncle Harry a dit :
- Donnez quelques huîtres au petit.
- Drôle de système d’éducation, a dit l’oncle Jean-Claude.
Ca, ça n’a pas plus à l’oncle Harry.
- Mon cher Jean-Claude, il a dit, laissez-moi élever mon enfant comme je l’entends. De toute façon, comme célibataire, vous n’y connaissez rien, à l’éducation des enfants.
L’oncle Jean-Claude s’est mis à chevroter, il a dit que personne ne l’aimait et qu’il était très malheureux, un peu comme fait Alain à l’école quand on lui dit que c’est le chouchou de la maîtresse, sauf qu’Alain il n’a pas l’accent de Marseille. Tout le monde s’est levé pour réconforter l’oncle Jean-Claude et puis le maître d’hôtel est arrivé avec des garçons qui portaient des tas d’huîtres.
- Assis ! a crié le maître d’hôtel.
La famille s’est assise et j’ai vu que papa avait essayé de changer de place, mais il n’a pas réussi.
- T’as vu ? m’a dit Silvio, moi j’ai des huîtres.
Je n’ai rien dit et je me suis mis à manger mon saucisson. Silvio, il regardait ses huîtres, mais il ne les mangeait pas.
- Alors, a demandé l’oncle Harry, tu ne les manges pas, tes huîtres ?
- Non, a dit Silvio.
- Tu vois que papa avait raison, a dit l’oncle Harry, tu ne les aimes pas, les huîtres.
- Je les aime, a crié Silvio, mais elles sont pas fraîches ! Elles sont trop vieilles !
- Belle excuse, a dit l’oncle Jean-Claude.
- Ce n’est pas une excuse, a crié l’oncle Harry. Si le petit dit qu’elles ne sont pas fraîches, c’est qu’elles ne sont pas fraîches. D’ailleurs, moi aussi je leur trouve un drôle de goût, ce ne sont pas des fines de claire et encore moins des Ruby, ça c’est sûr !
Le maître d’hôtel est arrivé, l’air drôlement nerveux.
- Je vous en prie, il a dit, je vous en prie !
- Vos huîtres ne sont pas fraîches, a dit l’oncle Harry, n’est-ce pas Nathalie ?
- Oui, a dit tante Nathalie, en clignant des yeux drôlement vite et en tournant sa tête sur le côté.
- Ah ! Vous voyez ! Je ne lui fais pas dire ! a dit l’oncle Harry.
Le maître d’hôtel a poussé un gros soupir et il a fait enlever les huîtres, sauf celles de l’oncle Jean-Claude, qui a même demandé du rab. Après, on a apporté « le rôti de veau Girard », la spécialité du restaurant ; il était drôlement bon. La tante Roselyne racontait des blagues, mais à voix très basse et en gloussant avec son gros cou, et la tante Rachida riait tout le temps. La tante Michèle, en coupant sa viande, parlait à papa et papa a cessé de manger et puis tante Michèle a dû partir en courant parce que Jean-Marie et Bruno ont été malades.
- Bien sûr, a dit l’oncle Jean-Claude, à force de gaver les enfants…
Le maître d’hôtel était assis à côté de notre table, il n’avait pas bonne mine et il s’essuyait la figure avec une serviette en papier où il y avait écrit Jeunes Populaires dessus, mais ça devait pas être de la bonne qualité parce que ça a déteint et le maître d’hôtel il a fini par avoir le visage tout bleu.
Silvio, au dessert (un gâteau !), a commencé à me raconter que, dans son école, ses copains étaient terribles et que lui, il était le chef de la bande. Moi, ça m’a fait rigoler, parce que mes copains sont meilleurs que les siens, François, Jean-François, Brice, Zadig et les autres, ça n’a rien à voir avec les copains de Silvio.
- Tes copains, c’est des minables, j’ai dit à Silvio, et puis, moi aussi, je suis chef de la bande et toi tu es bête.
Alors, on s’est battus. Papa, maman et l’oncle Harry sont venus nous séparer et puis ils se sont disputés entre eux ; Marine s’est mise à hurler, tout le monde s’est levé et criait, même les autres clients et le maître d’hôtel. Quand nous sommes rentrés chez nous, papa et maman n’avaient pas l’air content. Je les comprends ! C’est triste de penser qu’il va falloir attendre un an maintenant, jusqu’au prochain repas de famille…
A suivre …
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