A Maxime Tandonnet, « l'immigration choisie », à Patrick Buisson, le vote FN. Portrait des inspirateurs du discours de Grenoble.
Opération réussie : deux semaines après les derniers développements de l'affaire Bettencourt-Woerth, on n'en parle plus. Deux faits divers ont suffi à Nicolas Sarkozy pour marteler à nouveau le discours sécuritaire qui a fait son succès.
Relayées par l'entourage du Président, les propositions de loi faites dans la foulée ont été « validées » par un très douteux sondage de l'Ifop pour Le Figaro. Désormais, les rubriques politiques des médias sont dominées par la sécurité. Tant pis si l'ONU s'en indigne, ou si un sondage basé sur des questions moins biaisées vient contredire celui du Figaro. En lançant cette offensive médiatique, Nicolas Sarkozy n'a fait que recycler des thématiques que son conseiller en opinion, le très droitier Patrick Buisson, lui susurre depuis cinq ans. Le recyclage a été assuré par deux de ses proches collaborateurs à l'Elysée, son conseiller immigration Maxime Tandonnet et son chef de cabinet Cédric Goubet, qui ont rédigé le fameux discours du 30 juillet en toute discrétion. Même Brice Hortefeux l'ignorait.
Si Goubet, un préfet proche de Claude Guéant, semble être un technicien dénué d'engagements dans le cadre de ses fonctions, c'est loin d'être le cas de Tandonnet et de Buisson. Tous deux sont des tenants du rapprochement entre délinquance et immigration. Ils résument presque une décennie de politique sarkozyste vis-à-vis des immigrés ou Français d'origine étrangère, dont le discours de Grenoble n'est que la dernière illustration.
Maxime Tandonnet, l'immigration choisie
Des deux rédacteurs du discours de Grenoble, cet homme est le seul spécialiste des questions d'immigration. Enarque de 52 ans, Maxime Tandonnet est depuis le début le conseiller de l'Elysée en charge de ce dossier. Proche de Claude Guéant, Tandonnet été quelques temps diplomate avant de rejoindre la préfectorale et d'atterrir au ministère de l'Intérieur dès 1996. Parfois présenté comme chercheur, il est donc en fait haut fonctionnaire, même s'il a écrit cinq ouvrages sur son sujet de prédilection.
Voici ce qu'on lisait en 2007 dans L'Expansion sur « Immigration : sortir du chaos », sorti en 2007 chez Flammarion, sous la plume du journaliste Bernard Poulet : "Excellent livre. […] Fourmillant de faits précis, de chiffres souvent inédits, il pose clairement les données du problème dans un domaine où l'idéologie tient souvent lieu d'argument 'scientifique'." Début 2009, une enquête de l'historien de l'immigration Patrick Weil dans Le Monde racontait comment Nicolas Sarkozy avait « viré de bord » entre 2002 et 2008 sur les questions d'immigration : d'abord partisan des mécanismes de régularisation automatique entérinés par les majorités de gauche ou de droite depuis plusieurs décennies, il change en 2005, en déclarant vouloir passer d'une "immigration subie à une immigration choisie".
C'est Maxime Tandonnet qui est derrière cette idée, reprise d'une tradition anglo-saxonne et développée dans un rapport qu'il a écrit en 2004, puis dans la loi adoptée en 2006. Une fois à l'Elysée, le conseiller immigration racontait -dans La Croix, en août 2007- sa crainte que "l'école ne devienne une filière d'immigration clandestine incontrôlable".
Inconnu du grand public, Maxime Tandonnet est pourtant à l'origine d'une des décisions les plus fracassantes de la présidence Sarkozy : la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. A quelques semaines de l'élection de 2007, il publiait dans Le Figaro une tribune titrée "L'immigration et l'identité nationale, deux questions inséparables".
Extraits : "La notion d'identité nationale s'oppose justement au repli identitaire et au communautarisme. […] Faut-il s'interdire en France de soulever la question “Qui sommes-nous ? ” ? La création d'un “ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale” est la réponse à ce grand défi de l'avenir, dans la continuité de l'action menée depuis 2003. […] Le poncif habituel des milieux bien pensants ('Cela rappelle Vichy') n'a aucun sens : le combat pour l'identité nationale se rattache bien entendu à l'action de la Résistance, pas à la collaboration… Mais si les mots effarouchent, on peut réfléchir à des synonymes, par exemple 'ministère de l'Immigration et de l'Unité nationale'." Cette dernière proposition de Tandonnet n'a pas été retenue par Nicolas Sarkozy. Peut-être pour mieux séduire l'électorat du FN.
Patrick Buisson, la drague des lepénistes
S'il n'est pas directement impliqué dans la rédaction du discours de Grenoble, ses idées y ont présidé. Conseiller officieux de Nicolas Sarkozy pour les questions d'opinion et de sondages, Patrick Buisson n'est plus du tout "occulte" depuis qu'un rapport de la Cour des comptes a révélé l'an dernier l'importance des sommes allouées par l'Elysée à sa société Publifact : 1,5 million d'euros pour 2008. Un scandale a suivi, ainsi qu'une salve de portraits de Patrick Buisson dans la presse. Jusque-là inconnu du public, ce Parisien de 61 ans a été nommé en juillet président d'Histoire, une chaîne de télé du groupe TF1 dont il était déjà directeur général.
Historien de formation, Buisson a grandi dans un foyer pétri d'anticommunisme et de maurassisme. Il s'est vite tourné vers un journalisme militant, enchaînant les postes dans des journaux d'extrême droite ou de droite conservatrice : Le Crapouillot, Minute et Valeurs Actuelles. Il a d'ailleurs dirigé les rédactions des deux derniers. Patrick Buisson est ensuite entré à LCI. Durant la campagne de 2007, il participait à l'émission de Michel Field Politiquement show, en occultant le fait qu'il conseillait le candidat Sarkozy. C'est pourtant le cas depuis 2005, quand le patron de l'UMP a été bluffé par sa prédiction de la victoire du "non" par 55% au référendum sur la Constitution européenne.
Dans un très intéressant portrait de Buisson paru en 2009 dans Télérama, l'ex-trotskyste Michel Field, qui collabore à la chaîne Histoire, reconnaît sur cette antenne "une sur-représentativité d'historiens conservateurs", monarchistes et anticommunistes. Toujours dans Télérama, deux autres anciens trotskystes, Jean-Luc Mélenchon et Jean-Christophe Cambadélis, font part de leur "estime" pour Patrick Buisson, qui les conseille. Théoricien d'une réunion de "toutes les droites", Buisson confiait à nos confrères : "Il n'y a pas d'électorat FN. Il y a un électorat populaire qui vote parfois Front national, mais aussi communiste et socialiste. Ces électeurs-là pensent à peu près la même chose".
Le plus bel éloge venait de Jean-Marie Le Pen : "C'est le meilleur observateur politique. […] Le plus intelligent, le plus sérieux. […] C'est vrai, il a donné à Sarkozy les mots, les codes, le langage qu'il faut employer vis-à-vis des électeurs du Front national. […] Au fond de son cœur, [Buisson] partage probablement plus mes idées que celles de Sarkozy".
Ce dernier n'en a cure : il est tellement convaincu de la prescience de Buisson qu'il applique ses recettes même en son absence. Selon Le Monde, Patrick Buisson était « en vacances » au moment du discours de Grenoble. Mais Le Figaro a reconnu ses « conseils » derrière le repositionnement sécuritaire du Président.
Augustin Scalbert
Article très interessant sur le systeme sarko.
Normal, lorqu'on veut recupérer les électeurs du FN, il faut faire une politique de FN