“Et si on expérimentait un nouveau mode de scrutin ?” C’est le pari qu'ont fait plusieurs équipes de chercheurs coordonnées par le CNRS. Pendant l’élection présidentielle, scientifiques et universitaires proposent des expérimentations pour sensibiliser les électeurs au fonctionnement des institutions démocratiques et aux méthodes de communication politique sur les réseaux sociaux.
“Comment on fait pour prendre une décision ensemble, qui soit la plus juste et la plus représentative possible ?” s’interroge Antoinette Baujard. Selon la chercheuse au CNRS, le mode de scrutin actuel possède de multiples carences : “La diversité des candidatures au premier tour n’a plus vraiment de sens. On a plutôt intérêt à se concentrer pour savoir pour qui voter utile au premier tour afin de prévoir le second tour.” De plus, les résultats seraient très sensibles à la liste des candidats : “À l'élection présidentielle de 2002, Lionel Jospin a fait face à Christiane Taubira. Les électeurs de gauche ont été obligés de choisir, et Lionel Jospin a perdu des voix qui ne lui étaient pas défavorables.”
Partant de ce constat, des équipes du CNRS travaillent depuis 2002 à tester de nouvelles méthodes d’élection, à la recherche de celle qui sera la plus juste et représentatif de l’opinion de la population. “Nous nous sommes interrogés pour trouver les qualités et les défauts de ces modes de scrutin”, précise la chercheuse, "aujourd’hui, nous avons besoin de les confronter aux comportements de vrais électeurs, d’expérimenter pour que nos créations soient comprises par les citoyens”.
Quatre modes de scrutins expérimentés sur 17 000 électeurs
En cette année électorale, le CNRS a donc mis en place plusieurs projets pour tester ces nouveaux outils démocratiques. La première expérimentation, nommée “Voter autrement 2017”, est menée dans cinq communes à travers la France : Strasbourg (Bas-Rhin), Hérouville Saint-Clair (Calvados), Grenoble (Isère), et à Crolles et Allevard-les-Bains (Isère). Ce sont 17 000 électeurs inscrits dans 16 bureaux de vote qui vont pouvoir essayer quatre méthodes de scrutin différentes.
Les chercheurs et universitaires du CNRS en charge de l’expérience vont proposer aux habitants de ces communes quatre types de vote : un vote par note, où chaque candidat sera évalué. Un vote par approbation, où le citoyen approuve ou non le candidat. Un vote par classement, suivi d’éliminations successives, et un classement par la méthode Borda 4, où chaque électeur dresse une liste de ses candidats par ordre d’appréciation, et dont la position de chacun lui attribue une notation.
Ces méthodes font partie d’une “famille de vote de scrutin à un tour qui consiste à évaluer chaque candidat l’un après l’autre”, explique Antoinette Boujard. Grâce à ces tests, les citoyens peuvent se prononcer sur chacun des candidats, et les élections obtiendraient des résultats “bien plus représentatifs” selon la chercheuse.
L’expérience en ligne du Jugement Majoritaire
Seconde expérimentation, le Jugement Majoritaire est un vote via une plateforme Internet accessible à tous. Entre le 11 et le 23 avril, les internautes peuvent “juger” les onze candidats à la présidentielle, en cochant pour chacun une des six appréciations qui vont de “À Rejeter” à “Très Bien”.
Le scrutin s’effectue en un seul tour. L’internaute est prié de s’inscrire via Facebook, où une conversation Messenger le guide à travers les différentes étapes du vote. L’enjeu est de “tester les avancées du vote électronique” selon ses créateurs, et “d’initier les électeurs à un nouveau mode de scrutin”. Plus de 17 500 personnes ont déjà essayé cette méthode.
Le Politoscope passe au crible les manœuvres politiques sur Twitter
Autre initiative du CNRS mise au point par David Chavalarias, le Politoscope est un dispositif d’analyse des communautés politiques et de la circulation de l’information sur Twitter. “Grâce à lui, nous sommes en mesure d’examiner des centaines de milliers d’usagers pour identifier le cœur des comptes de militants”, vante le scientifique.
L’objectif ? “Montrer comment on peut avoir une vision globale du paysage politique français, et de la manière dont il évolue et se recompose au fur et à mesure de la campagne présidentielle”, répond le chercheur. Avec le Politoscope, il espère également “donner à tous un outil pour contextualiser une information sur les réseaux sociaux, mais aussi la façon dont elle se diffuse”.
“On a vu l’importance des médias sociaux dans des phénomènes de campagnes en ligne très rapides de déstabilisation”, explique David Chavalarias. Pour expliciter son propos, le scientifique prend pour exemple de l’annulation du concert de Black M à Verdun. “Il y avait eu une campagne éclair de l’extrême-droite pour demander à l’annuler. En trois jours, les autorités ont fait marche arrière, on avait l’impression que c’était un tollé alors que ce n’était qu’un sous-groupe de Twitter. Sur les réseaux sociaux, on a la possibilité de faire des actions politiques synchronisées, ou de se démultiplier. Ce sont des techniques qui donnent l’illusion qu’il y a un phénomène important qui se passe alors que c’est artificiel. Le Politoscope peut aider à détecter ces campagnes-là.”