A l'occasion de la journée de la femme, Ségolène Royal a choisi d'aller à Vaulx-en-Velin et de répondre aux questions de Lyon Capitale. Chahutée dans l'électorat socialiste traditionnel, ouvriers, profs et bobos, elle espère trouver de nouveaux réservoirs de voix dans les banlieues.
Lyon Capitale : Quel est le sens de votre visite à Vaulx-en-Velin cette semaine ?
Ségolène Royal : Je viens pour dire aux habitants de Vaulx-en-Velin comme je l'ai dit aux habitants de Clichy qu'ensemble nous pouvons changer les choses, grâce à leur énergie, leur volonté, leurs talents et que je sais pouvoir compter sur eux. Cette visite a volontairement lieu un 8 mars, journée internationale des femmes, à l'invitation du " Collectif du 8 mars " et d'Hélène Geoffroy : je suis en effet convaincue que les femmes sont le pivot de la reconquête du lien social, les artisans du vivre ensemble dans les banlieues et qu'avec leur créativité, leur engagement, leur dynamisme, elles pourront contribuer à remettre debout la maison France.
Vous venez le 8 mars, lors de la Journée internationale de la femme. Les femmes sont-elles particulièrement maltraitées en banlieue ?
Les violences faites aux femmes sont une effroyable réalité dans tous les milieux sociaux. Le combat pour l'égalité des sexes et pour la liberté doit être mené partout. Je connais le problème des mariages forcés, celui de la persistance de l'excision des petites filles : c'est insupportable et je me battrai pour que la loi soit respectée. Les jeunes filles sont particulièrement victimes d'agressions de tous ordres, comme le montrent des enquêtes récentes. Je salue le combat féministe qu'ont engagé de nombreuses associations et je pense en particulier à l'action de " Ni putes Ni soumises " dont j'avais signé la pétition. Aucun territoire de la République ne doit échapper à ce combat contre les violences faites aux femmes.
Mais en la matière, les lois existent déjà...
Il faut aller au delà de la loi du 4 avril 2006 votée à la suite de deux propositions de loi de sénateurs socialistes et communistes. Il faut de façon urgente rendre effectives ces dispositions en prenant sans attendre les décrets d'application qui s'imposent, car pour l'instant il reste extrêmement difficile d'éloigner le conjoint violent. Dans la plupart des situations, ce sont les victimes qui restent contraintes de quitter leur foyer. Je crois ensuite qu'il faut aller au delà, en votant une grande loi cadre, comme l'a fait le gouvernement espagnol, dotée de véritables moyens répressifs et préventifs, tant policiers que judiciaires. Il faut en outre s'attaquer aux racines du mal en menant dès l'école une politique de prévention. J'en ai pris l'engagement : c'est la première loi que je demanderai au gouvernement de présenter.
Le collège musulman de Décines ouvre ces jours-ci. Les jeunes filles pourront y être voilées. Est-ce que ça vous choque ?
La liberté de l'enseignement est garantie constitutionnellement. Le fait qu'à la déjà longue liste des établissements sous contrats à caractère religieux existant en France s'ajoute un lycée musulman ne me choque pas a priori. Ces établissements sont autorisés au terme d'une procédure clairement établie et doivent respecter des règles, notamment dans le contenu des programmes. Comme tout établissement privé d'enseignement, le lycée musulman de Décines devra respecter ces obligations. Je ne confonds pas lycée musulman et lycée islamiste.
Le fait que, dans un établissement de cette nature, les élèves, dès lors qu'ils en ont fait librement le choix, portent des signes extérieurs de leur appartenance à cette religion ne me choque pas non plus. Mais j'insiste sur cette question du libre choix. Il ne faut pas que le port du voile, comme l'inscription dans un établissement scolaire à caractère religieux, se fasse contre la volonté et la liberté de conscience des enfants. Il faudra être extrêmement vigilant là dessus.
Je suis pour ma part très attachée à l'enseignement public, laïc et gratuit, qui est pour moi l'outil incontournable de l'égalité des chances, et mon engagement pour l'école va prioritairement dans ce sens. L'école, et j'entends par là toutes les écoles de notre pays sans aucune exception, a pour vocation l'émancipation des élèves et la formation de citoyens libres et autonomes dans leur choix.
Vous voulez faire de la réussite des quartiers votre "grand chantier présidentiel"...
En effet, je considère que la réponse apportée par le gouvernement après les émeutes de novembre 2005 n'a pas été à la hauteur et que rien n'est réglé. Je me refuse à stigmatiser les banlieues. Il y a bien sûr des difficultés immenses, en terme de logement, d'éducation, de sécurité ou d'emploi, mais il y a aussi une énergie incroyable, des talents, une créativité et surtout une profonde envie d'avancer qu'il faut savoir utiliser. Je crois qu'on peut non seulement sortir les quartiers de la difficulté, mais s'appuyer sur eux pour relancer la croissance. Il faut les y aider.
D'autres s'y sont cassé les dents. En cinq ans, que réaliserez-vous de façon prioritaire ?
Un service public de la petite enfance sera mis en place pour permettre aux parents et notamment aux femmes sans emploi de chercher et de trouver du travail. La scolarité à 3 ans sera rendue obligatoire parce que le taux de redoublement au CP montre que l'échec scolaire touche plus les enfants issus des milieux populaires. Je pense aussi à la réduction à 17 du nombre d'élèves en CP et CE1 dans les écoles primaires de ZEP, ou à la gratuité du soutien scolaire. Le redressement des quartiers passe d'abord par un effort soutenu en matière d'éducation. Cet effort, je le ferai.
Le logement est la condition d'une vie digne. Les allocations logement seront augmentées de manière à limiter à 25% le montant des dépenses de logement pour les ménages modestes. 120.000 logements sociaux seront construits par an. Un service public de la caution sera institué.
Il faut évidemment aussi aider les jeunes à rentrer dans la vie active. C'est pour cela que je prends l'engagement qu'aucun jeune ne reste au chômage au-delà de six mois sans avoir un accès à une formation, un emploi aidé ou un tutorat rémunéré et que j'ai décidé d'ouvrir 500 000 emplois tremplins aux jeunes, en généralisant la mesure prise par les régions de gauche.
Enfin, je l'ai dit, il faut donner à chaque jeune porteur d'une ambition, d'un projet la possibilité de le réaliser, c'est le sens du plan à taux zéro de 10 000 euros en faveur de chaque jeune qui veut bâtir un projet.
Avec quels moyens le ferez vous ?
Le pacte présidentiel a été chiffré. Il sera financé sans hausse des impôts, par redéploiement des dépenses inutiles et grâce à la croissance. Mais ce que je voudrais dire, c'est que ce qui coûte cher, c'est que 150 000 jeunes sortent chaque année sans qualification du système scolaire ; ce qui coûte cher, c'est de ne pas investir dans les quartiers, c'est de ne pas investir dans l'éducation et dans les services publics. Nous payons aujourd'hui le recul de l'Etat et le désinvestissement dans les banlieues, je veux inverser la tendance.
Pourquoi avez-vous choisi la lyonnaise Najat Belkacem comme porte-parole ?
Pour ses qualités personnelles, pour son parcours et aussi pour tout ce qu'elle peut incarner aux yeux de ceux qui croient à la République du mérite. La gauche ne manque pas de talents et notamment de jeunes femmes, qu'elles soient issues de l'immigration ou non. Si j'ai voulu que Najat fasse partie de mon équipe, c'est d'abord parce que sa force de caractère, sa détermination et son courage dans l'adversité m'ont impressionnée. Je sais que nous aurons besoin de cette énergie dans la campagne. Je crois qu'on ne peut pas plaider sérieusement pour le renouvellement politique si on n'est pas capable de faire confiance à la jeunesse. Elle est candidate aux législatives face à Dominique Perben à Lyon : nous aurons besoin demain de députés comme elle qui représentent notre pays avec envie, enthousiasme, conviction et qui surtout gardent la conscience d'être au service des autres.
Jean-Jack Queyranne, Gérard Collomb et Jean-Paul Bret vous soutiennent. Qu'est-ce que chacun vous apporte ?
Tous les trois incarnent une forme de réussite dans la gestion d'une grande collectivité locale. C'est ce que j'ai appelé la politique par la preuve. Le bilan de leur action est de nature à redonner confiance dans la politique et à lutter contre le fatalisme qui s'est installé dans les esprits. On ne rendra pas l'espoir aux Français avec des promesses de changement mais on peut leur montrer que des élus travaillent tous les jours avec succès au développement de leur territoire, avec réalisme, ambition, et dans l'écoute permanente des habitants. Je sais que l'ensemble de ces élus de la gauche aujourd'hui aux responsabilités dans les régions portent mon projet et font connaître la réalité de leur expérience.
Propos recueillis par Philippe Chaslot et Raphaël Ruffier-Fossoul
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