Présentée comme la petite sœur de la loi sur le secret des affaires, celle sur les fake news est vécue par les médias comme une entrave supplémentaire à la liberté de la presse. La promesse du Gouvernement de les exclure du périmètre d’une loi, focalisée sur les plateformes en ligne, peine à convaincre. Quant à l’efficacité même du texte, elle laisse dubitatif à l’heure où les États ont du mal à tordre le bras des réseaux sociaux.
Dans la France d’Emmanuel Macron, tout va très vite. En janvier, lors de ses vœux à la presse, le président annonçait une loi pour empêcher la propagation de fake news. Trois mois plus tard, début avril, une proposition de loi allant dans ce sens était déposée à l’Assemblée nationale par les députés de La République en Marche. Comme la loi sur le secret des affaires, en cours d’adoption par le Parlement, ce texte cristallise les inquiétudes des journalistes, qui l’envisagent comme une manière de contourner la plus protectrice loi sur la liberté d’informer de 1881. Les pistes évoquées par le président de la République se concrétisent autour de trois nouveautés qui englobent la seule période des campagnes électorales. Désormais, les plateformes en ligne devront donner une information claire sur la personne qui leur verse une rémunération pour mettre en avant des contenus sponsorisés et aussi en rendre public le montant. Il sera aussi possible de déréférencer des contenus reconnus comme des fake news ou faire fermer des sites les relayant. La loi permettra aussi au CSA de couper la diffusion de médias étrangers qui propageraient de fausses nouvelles. “La campagne d’Emmanuel Macron a été polluée sur les réseaux sociaux par des fake news venant soit de la fachosphère soit de Russie. Le gouvernement russe ne les pilotait pas, mais nous nous sommes rendu compte que les rumeurs venaient de sites hébergés dans des pays slaves. L’idée de cette loi est de contrôler la valeur des informations qui circulent sur les réseaux sociaux et de s’attaquer à ceux qui propagent des fake news”, avance Bruno Bonnell, député LREM de Villeurbanne. Le climat délétère sur fond d’intervention russe de la campagne présidentielle américaine a aussi illustré la nécessité de lutter contre les fake news.
Une loi “fondée sur l’émotion”…
Le troisième axe de la loi à venir cristallise les inquiétudes des journalistes. Il prévoit qu’un juge pourra être saisi en référé et avec un délai de 48 heures pour déterminer si une information est fake ou pas. “C’est une loi qui vise à faire peur à la presse, à la pousser à l’autocensure. Surtout que, depuis que nous discutons avec les parlementaires, nous n’avons pas de réponses sur ce qu’ils considèrent comme étant une fake news”, s’inquiète Dominique Pradalié, la secrétaire générale du SNJ. “C’est une loi fondée sur l’émotion pour éviter à Emmanuel Macron de se faire hacker ses mails de campagne ou pour pouvoir judiciariser notre travail. Surtout qu’aujourd’hui tous les députés ou les analystes de la vie politique n’ont que ce mot de fake news à la bouche ”, s’emporte le journaliste Nicolas Vescovacci, secrétaire du collectif “Informer n’est pas un délit”. Le Gouvernement rétorque à ces craintes qu’il faudra aussi que l’information en question fasse l’objet d’une diffusion massive et artificielle avec le recours à des contenus sponsorisés.
… et inutile
Dans la novlangue politique, l’expression fake news remplace les vocables “boule puante” ou “intox”. La nouveauté que constitue le recours à un juge en référé laisse aussi sceptique. “Je ne vois pas quel vide juridique cette loi souhaite combler. En diffamation, il existe des procédures en référé dans lesquelles la diffusion de fausses nouvelles est réprimée. Surtout je ne vois pas comment un juge pourra déterminer en 48 heures sans moyens d’investigation”, s’interroge Katia Dubreuil, la présidente du Syndicat de la magistrature.
Les réseaux sociaux iront toujours plus vite
Des exemples pris dans les deux dernières campagnes présidentielles mettent en exergue les limites de la future loi. Saisi par François Fillon après les révélations du Canard enchaîné sur l’embauche de son épouse comme assistante parlementaire, qu’aurait décidé un juge ? Un an après, la justice n’a pas tranché“Si la loi sur les fake news avait existé, des gens auraient dit, quelle que soit la décision du juge, que l’élection en a été faussée. Et puis, en quarante-huit heures, l’information aura eu le temps de faire le tour du monde sur les réseaux sociaux. Si un site est fermé, celui d’à côté ressortira l’information”, pointe Dominique Pradalié. Un épisode de la campagne présidentielle de 2012 aurait aussi pu se jouer devant le juge. Durant l’entre-deux tours, Mediapart publie un document affirmant que la Libye a financé à hauteur de 50 millions d’euros la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. “Cette loi d’exception qu’est celle sur les fake news aurait été utilisée pour bâillonner cette information”, rejoue Edwy Plenel. Aujourd’hui, l’affaire est en Cassation. En première instance puis en appel, les juges ont considéré que le document produit par Mediapart était authentique. En revanche, la justice n’a pas tranché sur la véracité du contenu de la pièce incriminée. Dans ces conditions, le rôle du juge en référé en quarante-huit heures ne sera pas simple.
Des députés LREM pas convaincants
Les députés de La République en Marche que nous avons contactés ont eu du mal à répondre à une question essentielle : à qui profitera le doute, aux médias ou aux plaignants ? “Je pense que si le juge n’arrive pas à déterminer s’il s’agit d’une fake news la loi sur la liberté s’appliquera”, estime Anne Brugnera, députée LREM de la 4e circonscription du Rhône
membre de la commission des affaires culturelles qui porte, avec celle des lois, le projet de modification du Code électoral. Son collègue du groupe LREM François-Michel Lambert propose sur son compte Twitter une vision moins optimiste : “La publication du document libyen entre les deux tours de la présidentielle 2012 serait considérée comme une fake news selon la loi “anti-fake news” qui nous a été présentée. Et si Mediapart n’était pas français, le site aurait été immédiatement bloqué par la justice…” Lors des Assises du journalisme à Tours en mars 2018, Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, qui porte la loi, a assuré que l’affaire Fillon ou le document libyen n’auraient pas été considérés comme des fake news. L’essence du texte est, pour elle, de responsabiliser les géants du net que sont Facebook, Google ou Twitter. “Cette loi n’est pas un instrument de censure pour des raisons idéologiques. Elle permet simplement de supprimer des informations fausses qui passeraient dans le système d’amplification que sont les médias”, avance Bruno Bonnell. Le député villeurbannais prend aussi exemple sur sa campagne des législatives pour démontrer l’intérêt futur de ce complément de législation : “J’ai été victime d’une fake news créée par La France Insoumise. Ils ont détourné le sens d’un extrait de mon contrat de divorce pour dire que je trichais avec le fisc. L’information a été relayée sur les réseaux sociaux sans que personne en soit responsable.” Pour Dominique Pradalié, la secrétaire générale du SNJ, le meilleur exemple de l’inutilité de cette loi réside dans sa genèse : “Avec les Macron Leaks [une fuite de documents en provenance des mails de membres de l’équipe de campagne d’En Marche dans laquelle des hackers de pays de l’Est avaient inséré des faux grossiers, ndlr], les journalistes ont apporté la preuve qu’ils savaient démonter les fausses informations.”