Financement des partis par les mairies : Chirac n'a rien inventé

L'ancien président aimerait bien que l'on oublie sa période mairie de Paris, pour ne s'intéresser qu'à l'homme d'Etat. Ce serait dommage. Heureusement, la Justice a décidé de ne pas avoir la mémoire courte.

Du point de vue de l'exemplarité des procédures - pour celle de la peine, attendons de voir s'il y en aura une -, il est préférable que l'excuse de l'ancienneté des faits ou celle de la qualité du suspect n'aient pas été retenues par la juge d'instruction Xavière Simeoni. Dans le cas contraire, le sentiment se serait insinué que, à la longue, la République finit par passer par pertes et profits des faits comme ceux qui sont reprochés à son ancien président.

Pas d'amnistie préventive

Fermer les yeux, en prononçant le non-lieu requis par le parquet, aurait été amnistier d'avance de futurs contrevenants. Car si les procédures de contrôle des élus par les chambres régionales des comptes se sont perfectionnées depuis les années 1980, rien ne garantit que certains d'entre eux n'essaient pas encore d'imputer au budget de la collectivité qu'ils dirigent des dépenses dont la seule finalité est de servir leur ambition personnelle.

A Paris, Jacques Chirac a vraiment innové. Jusqu'à la réforme voulue par Valéry Giscard d'Estaing en 1975, la capitale n'avait pas de maire et était gérée directement par le préfet. Il y avait un Conseil de Paris - cumulant les fonctions de conseil municipal et de conseil général puisque la ville était, depuis 1964, à la fois commune et département -, avec un président du Conseil et des maires d'arrondissement dont le rôle était très limité.

La tutelle étatique empêchait les élus de jouer avec l'argent des contribuables. Un des problèmes de Chirac fut d'ailleurs, après son élection comme maire de Paris en 1977, le partage du pouvoir entre l'Hôtel de Ville et les barons des arrondissements, gaullistes ou assimilés, qui l'avaient soutenu dans sa conquête, mais entendaient profiter du nouveau statut pour faire enfin ce qu'ils voulaient dans leur coin.

Mairies et partis, une vieille histoire

A la décharge de Chirac, on pourrait dire qu'il n'a pas inventé l'utilisation des collectivités locales, principalement des communes, au service d'un parti. C'est un usage qui date de fin du XIXe siècle, plus répandu à gauche qu'à droite.

La conquête des mairies fut pour les socialistes, à partir de la loi de 1884, un moyen de lutter contre la domination des partis « bourgeois ». Il exista même un courant municipaliste, qui considérait que le renversement du capitalisme passerait par l'organisation autonome de la classe ouvrière et du peuple dans les communes.

A partir des années 1920, le Parti communiste a poursuivi cette tradition pour son compte et avec le genre d'organisation qui faisait son charme. Les mairies des banlieues rouges, autour de Paris et d'autres grandes villes, sont devenues des bastions, où le maire était soumis au contrôle du responsable du parti, chef du « rayon » ou plus tard du « comité de ville ».

Le contre-exemple d'un maire communiste tenant lui-même l'organisation du parti dans sa ville fut Jacques Doriot, à Saint-Denis, avec les suites que l'on sait.
Les mairies ont occupé une place essentielle dans ce que l'historienne Annie Kriegel, elle-même ancienne responsable du parti, a appelé la « contre-société » communiste. Elles ont été un levier important d'influence chez les ouvriers et employés, mais aussi auprès d'architectes, d'urbanistes, de gens de théâtre, d'écrivains, d'artistes, de musiciens bénéficiant des commandes ou des engagements des villes communistes et des structures qu'elles contrôlaient ou subventionnaient.

Plus portés à l'individualisme que leurs collègues communistes, les maires socialistes avaient tendance à privilégier leurs propres intérêts. Après la conquête du PS par François Mitterrand, une des tâches confiées à Pierre Joxe fut d'organiser la remontée vers les caisses nationales des commissions occultes sur les marchés publics des communes.

A une époque où la droite bénéficiait des largesses du patronat, il ne paraissait pas immoral de prendre les moyens de lui faire face. Ce souci fut à l'origine de la création du fameux bureau d'études Urba-Gracco, dont le fonctionnement allait permettre plus tard aux juges d'instruction de découvrir les circuits de financement illicites du PS.

Paris-Chirac, un système sans précédent

Il est peu probable que Jacques Chirac invoque les exemples communiste et socialiste pour justifier son utilisation de la mairie de Paris. Ce serait difficile tant les ressources que lui offraient la municipalité parisienne avec son énorme budget (7 milliards d'euros en 2009), ses 40 000 fonctionnaires, ses grands travaux d'aménagement, étaient sans commune mesure avec celles d'autres grandes villes.
Surtout, les moyens utilisés pour s'attirer les bonnes volontés - prébendes diverses, confort des élus avec une questure soustraite au contrôle de la Cour des comptes, location généreuse des appartements du « domaine privé » y compris à des journalistes, répartition soignée des marchés publics aux entreprises - n'ont pas d'équivalent ailleurs.

Ah ! les années Hôtel de Ville de Jacques Chirac ! L'immense bureau qui avait à lui seul la taille d'un appartement ! L'immense appartement aussi vaste qu'un château en Corrèze ! Les grandes réceptions dans les somptueux salons ! La troupe de chauffeurs toujours prêts à raccompagner le visiteur dans un véhicule officiel !

François Mitterrand pouvait dire, à propos des affiches du RPR pour la présidentielle de 1988 : « L'argent ruisselle sur les murs. » De quoi donner aux socialistes une bonne conscience en béton armé.
C'est de cela, en réalité, que l'homme qui fut, pendant très de vingt ans, à la fois maire de Paris et président du RPR, est appelé à rendre compte devant un tribunal. Il n'est poursuivi que pour les contrats de chargé de mission distribués à des personnes qui ne travaillaient aucunement pour la Ville de Paris. Mais ce petit bout de la lorgnette fait apercevoir toute une entreprise de conquête du pouvoir, dont la République n'a pas lieu d'être fière.

Photo : un manifestant contre le sommet France-Afrique de Cannes en février 2007 (Jean-Paul Pelissier/Reuters).

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