Gérault, préfet de la République, serviteur de la Sarkozie

BILAN - Il est resté trois ans le représentant de l'Etat dans le Rhône et dans la Région. Très affable en public, il a affiché une certaine insensibilité à l'égard des "indésirables" pour expulser les sans-papiers ou les prostituées. Il est toutefois salué pour ses actions en faveur des PME et de l'égalité des chances. Bilan d'un préfet très politique, proche de Nicolas Sarkozy, avant l'arrivée de son successeur, sans doute cette semaine.

C'est une personnalité controversée qui vient de quitter Lyon. Le préfet Jacques Gérault est resté un peu plus de trois ans entre Rhône et Saône. Après le Républicain Jean-Pierre Lacroix connu pour son sens de l'Etat et sa mesure, arrive à l'été 2007 un homme qui passe pour être un proche de Nicolas Sarkozy. Il vient alors du ministère de l'Intérieur où il a été son directeur de cabinet.

Le mime de Sarkozy

"Il est resté le directeur de cabinet de Sarkozy dans la région", résume un maire de l'agglomération. Il a par exemple stigmatisé l'absence d'engagement municipal à Villeurbanne en faveur de la vidéo-surveillance - il a alors parlé de "zone blanche". L'argument a été ensuite repris par l'opposition municipale. Sa proximité avec Nicolas Sarkozy a même valeur de mimétisme : petit homme, d'apparence calme, on l'a déjà vu saisi de tics, à la façon du président et en a adopté le débit verbal. Cette proximité avec l'exécutif lui a permis d'avoir un accès direct à certains ministres. Il a ainsi eu aucun mal à faire venir Christine Lagarde ou Laurent Wauquiez, et naturellement Brice Hortefeux, son ministre de tutelle. "Je ne vois pas un seul dossier où il ait fait preuve d'un esprit courtisan", corrige Denis Broliquier, maire du 2e arrondissement. Comme son mentor, Gérault est apparu obsédé par l'efficacité. En témoigne le dernier dossier qu'il a tenu à boucler avant son départ : le devenir des prisons de Perrache. Favorable à une démolition, il s'est rangé à l'avis de citoyens "éclairés" et a organisé un appel à projets. Sur de nombreux dossiers, il a voulu des résultats. Rapides et visibles.

Il a vidé Perrache des camionnettes de prostituées

Dès son arrivée, en juillet 2007, il donne un grand "coup de pied dans la fourmilière" comme il le dira plus tard. Précédemment en poste à Bordeaux, il a été marqué par "la traite des femmes organisée par les réseaux mafieux" selon ses dires. Aussitôt en poste, il ordonne donc l'enlèvement des camionnettes des prostituées à Perrache. La police municipale verbalise à tours de bras, suivie de près par la fourrière qui embarque les véhicules des filles. "Il est parvenu à désorganiser les réseaux, à faire éclater le noyau dur du proxénétisme et à faire sortir la prostitution des quartiers habités", se félicite Denis Broliquier, maire de l'arrondissement, politiquement proche de lui.

Selon Jean-Louis Touraine, adjoint au maire de Lyon en charge de la sécurité, ces "opérations commando" ont au contraire ruiné le contact établi entre les services de la Ville et les filles. Pourtant, la mairie a bien accompagné cette politique, en adoptant plusieurs arrêtés anti-stationnement (lire ici).

Il a expulsé plus de 2000 étrangers

Durant le mandat Gérault, près de 2000 étrangers ont été également reconduits à la frontière. 642 en 2009, 549 en 2008, 795 en 2007. En 2010, leur nombre ne devrait pas baisser. Tous visés par une obligation de quitter le territoire (OQTF) signées de la main du préfet. Des personnes arrêtées à l'occasion de contrôles d'identité, bien souvent enfermées au centre de rétention administrative près de l'aéroport dans l'attente d'un vol en direction de leur pays d'origine. En 2010, les services de la préfecture du Rhône se sont notamment distingués en renvoyant au Kosovo contre son gré une mère de famille kosovare, sans son mari ni son fils âgé de 10 ans, scolarisé à Lyon. A plusieurs reprises, il s'est efforcé de renvoyer Guilherme, père de quatre enfants, mais a reculé devant la mobilisation citoyenne. Jean-Louis Touraine dénonce l'inhumanité de certaines reconduites. "J'ai eu énormément de peine à lui faire entendre les impératifs humanitaires", lâche-t-il.

Il a expulsé les Roms…

A partir du mois d'août 2007, Jacques Gérault s'attaque aux Roms. Il fait d'abord vider le bidonville de la Soie, le plus important de l'agglomération, ce qui ne l'empêche pas de signer quelques semaines plus tard une maîtrise d'oeuvre sociale et urbaine (Mous) avec l'Alpil, association de lutte contre le mal logement. Le projet prévoit de résorber l'habitat précaire par des méthodes plus "sociales". Mais le préfet y met un terme quatre mois plus tard, faute "de résultats probants". En réalité, ce projet était celui de son prédécesseur, Jean-Pierre Lacroix. A partir de là, s'en suit une politique d'expulsion des terrains et des squats occupés par les Roms à Lyon. Parallèlement, dès 2007, il met en place l'aide au retour. Une prime individuelle de 300 euros est offerte à ceux qui rentrent en Roumanie. Beaucoup l'acceptent mais reviennent, leur nombre est toujours estimé entre 500 et 600 personnes dans le Grand Lyon (lire ici).

Il a maintenu les SDF au chaud l'hiver

Depuis 2007 et l'adoption de la loi Dalo "toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y demeurer". Voilà pour la théorie, mais dans la pratique le préfet du Rhône a eu bien du mal à faire respecter la loi. Devant le manque criant de structures d'accueil d'urgence dans le Rhône, Jacques Gérault s'est enfin décidé à payer des nuits d'Hôtel aux SDF pendant la durée du plan froid l'hiver dernier, sous la pression des associations et à la suite d'une grève historique des professionnels du Samu social (lire ici). Environ 600 euros ont été dépensés chaque soir par l'Etat jusqu'au retour des températures positives. Avant cela, le 115 ne pouvait répondre à la demande quotidienne de tous les SDF. Il manque toujours une prise en charge pérenne.

Il a développé une politique concertée de sécurité

A l'heure de son bilan, Jean-Louis Touraine évoque l'affaire du braquage en plein jour du bureau de change rue de la République le 24 septembre, où les forces de l'ordre ont eu la prudence d'interpeller les malfrats après leur forfait et pas dans le feu de l'action, évitant un drame. Il pense aussi aux émeutes lycéennes qui ont été contenues "en moins d'une semaine, sans dérapage ni blessé grave", même si "la garde à vue à ciel ouvert" de Bellecour, le 21 octobre fait polémique. Les polices nationales et municipales ont travaillé de concert, comme pour améliorer la situation sur les berges, les Pentes ou Guillotière.

Le préfet Gérault a rarement montré des réticences à appliquer des décisions gouvernementales. Il a toutefois pris langue avec l'exécutif municipal pour l'alerter de la baisse des effectifs des fonctionnaires nationaux. "N'augmentez pas trop le nombre d'agents municipaux, sinon ça va inciter le ministre à diminuer encore le nombre de policiers", leur a-t-il dit en substance. Gérault s'est par exemple battu pour que le commissariat du 8e, faiblement doté, soit renforcé. Sans trop de résultats.

Il a poussé à l'apprentissage du français, mais en squeezant les associations

En octobre 2007, le préfet du Rhône estime à 5050 personnes dans le Rhône, le nombre de personnes étrangères, principalement des femmes, n'ayant pas le niveau minimum de français. Il décide alors de mettre en œuvre un plan d'apprentissage de notre langue visant à l'obtention du DILF. Un diplôme qui permet d'apprendre 300 mots de vocabulaire. 2000 personnes en ont bénéficié entre novembre 2007 et juin 2010. Des cours dispensés par des bénévoles (retraités de l'éducation nationale, étudiants en FLE) volontaires et néanmoins rémunérés, au grand damne des associations. "Les associations en ont gros sur la patate", souffle un observateur (lire ici). "Le préfet avait estimé que ces associations n'avaient pas réussi et qu'il fallait une nouvelle impulsion", répond un collaborateur.

Il a donné une nouvelle impulsion à l'égalité des chances

"Jacques Gérault a pris des initiatives sans attendre des directives de Paris", souligne Ali Kismoune, président du club Rhône-Alpes diversité. Jacques Gérault a fait de l'égalité des chances une priorité. En témoignent ses initiatives pour mobiliser les décideurs économiques en faveur de l'embauche de jeunes issus des quartiers. 2000 diplômés auraient bénéficié de stages ou de postes en 2007. Le préfet a aussi obtenu des classes prépa qu'elles intègrent plus d'élèves boursiers : en trois ans, leur taux est passé de 5/10 % à près de 30%. Il s'est aussi employé à ce que certaines personnes issues de la diversité accèdent à une certaine visibilité, comme Zohra Abderrahmane, expert-comptable, promue au conseil économique et social régional et décorée de la Légion d'Honneur.

Il a aidé les PME pendant la crise

Le monde économique regrettera cet homme qui compte plusieurs commerçants dans sa famille et qui ne manquait pas de le rappeler. Jacques Gérault s'est montré réactif pendant la crise, voire "pro-actif", selon Guy Mathiolon, président de la chambre de commerce et d'industrie. Il a fait vivre les cellules de veille, chargées notamment de soutenir le crédit aux PME. Mathiolon retient aussi son implication pour soutenir les pôles de compétitivité. "Il a poussé les candidatures régionales. Lorsqu'un point d'étape a été fait, il a contribué à ce que nos pôles conservent leur label". MathioIon se passe pour être un proche de Gérault, qui participe à des parties de chasse avec Jean-Paul Mauduy, Medef et adversaire du président de la CCI. Pourtant, Mathiolon reconnaît le travail accompli et se félicite que le préfet se soit aussi employé à convaincre les élus locaux de ne pas s'opposer à l'A45, l'A89 ou le contournement ouest de Lyon.

Gérault derrière son masque

Comme tout haut fonctionnaire, Gérault était un serviteur de l'Etat, affichant une neutralité et une retenue dans l'expression. Quel est cet homme derrière le masque de la fonction ? Jean-Louis Touraine pense que le préfet "a plus de sensibilité qu'il ne veut le montrer". "C'est une personnalité complexe. En réunion publique, je l'ai vu touché par certains témoignages. Il doit vivre un conflit interne entre sa fermeté affichée et son for intérieur".

"Même s'il est affable en public et qu'il a une voix douce, il met une pression terrible sur ses collaborateurs", raconte un observateur. Le suicide de son directeur de cabinet, en avril 2008, avait relancé les rumeurs d'un patron tyrannique qui terrorise ses équipes. Aurélie Bellemin qui a travaillé à ses côtés dépeint à l'inverse un homme ouvert qui sait faire confiance. "Il m'a très vite demandé de ne pas hésiter à lui dire quand je trouvais que ses actions, en matière de communication, n'allaient pas. Parce que les personnes n'osaient pas le faire. Il a très bien pris mes remarques et est capable de se ranger à un autre avis que le sien", témoigne-t-elle.

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