Entretien avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherches au CNRS et au Cevipof – Pour lui, les Gilets jaunes mettent en avant une fracture plus territoriale qu’économique, entre une France métropolitaine et une France plus rurale où la voiture joue un rôle central, ce mouvement spontané illustrant les frictions liées au basculement de la révolution industrielle vers celle du numérique. Ce proche d’Emmanuel Macron (il a été candidat LREM aux législatives) pose aussi un regard très critique sur la politique trop technocratique du Gouvernement.
Lyon Capitale : Quelle est la plus grande fracture française mise en lumière par les Gilets jaunes, selon vous : économique, territoriale, politique ? Jean Viard : Dans tous les grands pays occidentaux, nous assistons au conflit entre les métiers du corps et ceux de la Toile, du numérique. Lors de la révolution industrielle, la classe ouvrière vivait en ville. Depuis cinquante ans, elle s’est installée dans les zones périurbaines, dans une maison individuelle avec un jardin. Ces gens qui travaillent souvent avec leurs mains avaient le sentiment d’avoir réussi leur vie. Ils sont propriétaires de leur logement, ils ont deux voitures qui roulent au diesel. C’est le symbole de la liberté, à leurs yeux. Leur bagnole leur permet d’aller au travail ou au supermarché, qui est leur lieu privilégié. Symboliquement, les Gilets jaunes ont d’ailleurs bloqué des lieux qui font sens pour eux : les ronds-points et les centres commerciaux. En France, nous avons 40 % des giratoires d’Europe. Ils en ont fait leur lieu, même si cet objet est absurde : on tourne en rond.
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