Veni, vedi, vici : tel devait être le triptyque néoconservateur de Nicolas Sarkozy. Caporal-chef ayant battu en retraite après sa défaite à la présidentielle de 2012, il avait assuré, à l’instar de Lionel Jospin un certain 21 avril, quitter définitivement l’arène politique. Mais il trépignait dans le paddock sur ses jambes de cycliste, en dépit des conférences qu’il donnait çà et là à prix d’or. Avant de ressortir du peloton grands plateaux et petits pignons.
On se demande d’ailleurs quels conseils il pouvait bien prodiguer : n’ayant jamais dirigé une entreprise ni créé le moindre emploi dans le privé et ne s’étant jamais trompé que sur l’essentiel dans les affaires publiques, tant nationales qu’internationales, il continuait pourtant – tel un jouet à la mécanique folle remontée à bloc pour choquer des cymbales – à donner des leçons sur le ton péremptoire et grinçant de celui qui sait, qui avait magistralement tout prévu avant tout le monde, l’omniscient génial que personne n’écoute tant il était en avance sur une époque décidément trop étriquée pour son ego. No cogito ego est…
L’UMP se déchirait-elle ? Il revenait la sauver et faire don de son auguste personne “en rassemblant sa famille politique au-delà des querelles”, seulement mû par “le devoir” et “l’amour de la France”, ce pays qui lui avait “tout donné”.
“L’UMPS” posait-elle problème, tant cette expression piège passée dans le langage commun était ressentie avec acuité par un nombre grandissant de Français ? Il lui suffisait de repeindre la devanture en lettres républicaines tricolores et l’affaire était dans le sac !
Le Front national apportait-il “de mauvaises réponses aux bonnes questions”, pour reprendre une vieille formule de Laurent Fabius, que cependant ce mouvement avait le mérite de mettre au menu ? Nicolas Sarkozy pensait a contrario que, comme dans le cochon, tout était bon, les questions comme les solutions, et qu’il lui suffisait de paraître, lui, dans toute sa majesté, pour une fois encore “siphonner” les voix du FN.
“J’ai entendu l’inquiétude et l’exaspération des électeurs”
Dimanche 6 décembre, après ce premier tour historiquement calamiteux, le président de LR prétendait une fois de plus avoir “entendu l’exaspération” et “l’inquiétude” des électeurs, se félicitant même pour notre “démocratie vivante”. Puis, après avoir bruyamment tancé “le silence du peuple dans les urnes” (comprendre : ces salauds d’abstentionnistes qui n’ont pas voté pour ses candidats), il indiquait rester “fidèle à ses convictions”. Car, qu’on se le dise une fois pour toutes, cet homme-là a des convictions, et même “des valeurs”.
Invité ce lundi matin de l’émission Territoires d’infos sur Public Sénat et Sud Radio, le député (LR) Hervé Mariton n’a pas manié la langue de bois vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. “C'est clairement, par les Français, deux messages : la gauche a échoué et la droite avait échoué auparavant, a lancé le député de la Drôme. C'est l'échec de Nicolas Sarkozy qui, d'évidence, n'est pas crédible comme représentant d'alternance après avoir lui-même échoué, les Français le lui avaient déjà signifié en 2012.”
On ne saurait mieux dire. Le vrai problème de la stratégie de Nicolas Sarkozy (qui était en fait la stratégie de Patrick Buisson)… c’est qu’elle était ab initio celle du Front national ! Il s’agissait en effet dans un premier temps de valider tous les thèmes et toutes les “solutions” du FN, pudiquement abrités derrière la formule hypocrite : “Les Français souffrent, il faut les comprendre, les cajoler et arrêter de les insulter.”
Il s’agissait ensuite de mettre en œuvre la tactique Canada Dry : ça a la couleur du FN, ça a le goût du FN, mais ce n’est pas le FN. Non, pas du tout… et d’ailleurs c’est écrit dessus : “Les Républicains”. Alors, quoi ? Vous ne savez pas lire les labels ?
Il s’agissait enfin, une fois cette “victoire des idées” aspirée tel un avion renifleur par le grand stratège Sarkozy, de remporter haut la main la primaire de son camp et de prendre une légitime revanche le soir du deuxième tour de la présidentielle en 2017. La victoire du courage contre le laxisme, corrigé des excès de l’extrémisme, en quelque sorte.
Le sacrifice du retrait
Sauf que, comme l’écrivait le grand Alessandro Manzoni, “les peuples apprennent plus d’une défaite que les rois de la victoire”. On ne les y reprendra plus, Sarkozy leur a déjà fait le coup, Hollande s’engouffre d’ailleurs dans la même brèche et, jour après jour, année après année, élection après élection, le diagnostic du Front national se voit renforcé et légitimé par ceux qui prétendent le combattre.
Fusions, retraits, savants calculs d’apothicaires, misérables petites additions et autres soustractions théoriques, le spectacle offert par les partis dits “de gouvernement” est affligeant. On a entendu, en se pinçant, la plupart des cadres du Parti socialiste (parti d’élus sans militants) affirmer qu’il était très difficile pour leurs candidats de se retirer et que c’est bien “la mort dans l’âme, il faut les comprendre”, qu’ils abandonneraient leur bureau et tous les avantages liés à leur fonction, “durant six longues années”.
Chez “Les Républicains”, on n’a pas ces pudeurs de bo-bos et l’on préfère se maintenir coûte que coûte en prétendant capter les voix de gauche au second tour, tout en indiquant que l’on ferait peu ou prou la même politique que celle préconisée par le FN. Vous avez dit confusion mentale ? Car, si l’on suit bien le raisonnement du “barrage absolu à l’extrême droite”, quelles que soient ses variantes (maintien ou retrait des listes arrivées en troisième position), il s’agit à la fois :
1°) de déclarer que le FN est un parti extrêmement dangereux pour la démocratie ;
2°) d’affirmer que les Français qui votent pour un parti extrêmement dangereux ne sont pas eux-mêmes extrêmement dangereux mais extrêmement “exaspérés” et qu’ils vont revenir “vers le vote vraiment républicain” ;
3°) de démontrer parallèlement que le programme du FN est irréaliste et grotesque, que ce n’est certes “pas un problème de degré mais de valeurs” et qu’on ne peut précisément s’allier au FN pour ces raisons, sans y perdre définitivement son âme ;
4°) de faire cependant accepter aux Français, via une troisième parallèle, qu’en reprenant “raisonnablement” l’essentiel du diagnostic et du programme du FN, le bonheur serait de nouveau au rendez-vous…
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Le début d’un processus de délitement général
Nous avons assisté ce dimanche à l’irruption éclatante du tripartisme. Sans jouer les Cassandre, gageons que nous ne sommes qu’au début de ce lent processus de délitement général. En effet, après avoir fait la démonstration de leur échec (alterné) depuis presque quarante ans, les partis s’étant succédé au pouvoir ne sont plus vraiment crédibles. Par conséquent, il se pourrait bien que, dans un avenir proche, ce soit le FN contre “tout le reste” : une nouvelle forme de bipartisme verrait ainsi le jour : “bloc système” contre “bloc anti-système”, union républico-socio-démocrate par défaut contre “rassemblement du peuple” qui, forcément, “ne saurait mentir”.
Voilà le piège dans lequel nous a conduits la social-démocratie molle, qui depuis des décennies a eu pour seul projet politique de se succéder à elle-même, après de courtes traversées du désert théorisées et acceptées comme une alternance nécessaire et bienfaitrice, “pouls démocratique de notre société, encore vivifiée par le quinquennat”.
On a même créé quantité d’autorités administratives, comités théodule et autre Conseil économique, social et environnemental, quand ce ne sont pas des postes fictifs dans les syndicats et les entreprises publiques et parapubliques, pour recaser les élus défaits, le temps que ces derniers se refassent une santé aux frais des contribuables.
De slogans creux en gimmicks tendance, de formules sonnantes en expressions trébuchantes, rien n’a changé en profondeur dans la société française. Ou plutôt si : la pauvreté a explosé, des pans entiers du territoire ont été abandonnés et, après avoir été en panne, “l’ascenseur social” ne semble plus qu’un lointain souvenir.
À l’occasion de chaque élection, depuis les années 1980, les communicants communiquent et les politiques ânonnent tel Monsieur Jourdain. “Touche pas à mon pote”, et le pote devient une cible. “Trop d’impôt tue l’impôt”, et la fiscalité explose. “Mon véritable adversaire c’est la finance”, et la finance, qui a des visages, parfois poupins, gouverne partout.
La courbe du chômage n’en finit pas de commencer à augmenter moins vite, comme Poutine et el-Assad de devenir nos amis. Quant à Cyril Hanouna, il le jure en se fâchant tout rouge et de nombreux magazines en font leurs choux gras : tout ce qui est arrivé “c’est la faute aux méchants journalistes”.
L’ère du vide
C’est bien tout le problème de cette pseudo-pensée qui ne produit que du vide, dans une ère bien décrite par Gilles Lipovetski dès 1989. Nous sommes arrivés aujourd’hui au paroxysme de l’individualisme, qui est avant tout une paresse contemporaine, et notre territoire (mental et géographique) n’en finit plus de se réduire.
Enfin… en tout cas pour ceux qui ont les moyens de construire de confortables barricades. Car, pour tous les autres, c’est un peu plus compliqué : le terrain reste vaste, mais il faut continuer à y vivre au quotidien, sans plus vraiment en comprendre le sens. Nous sommes ainsi passés de la fraternité à la “promiscuité”, de l’égalité à l'“identité nationale” et de la liberté à la “parole décomplexée”, jusqu’à “la race blanche”.
Si ce processus est de temps long – sa manifestation le dimanche 6 décembre au soir du premier tour n’en était qu’une modeste station – il a été accéléré de façon fulgurante par le champion incontesté du vide, Nicolas Sarkozy. Comme nous l’avions écrit en 2010 à propos de la Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, de Patrick Rambaud :
“Au final, quand on referme le livre, on se surprend à penser : Giscard était l’aristo condescendant, Mitterrand l’intelligent retors, Chirac, le bon bougre qu’on n’arrivait pas à détester, et Jospin, l’honnête homme ennuyeux. Ces poncifs ressassés, on se dit pourtant que l'on ne pouvait dénier à chacun de ces hommes d'Etat une réelle légitimité, une certaine faculté à incarner la République, à faire rayonner une image de la France, qui, même si elle n’était pas tout à fait la nôtre (voire pas du tout), ne nous agressait pas dans notre conscience collective et ne mettait pas en pièces ce sentiment si particulier qu’Ernest Renan a parfaitement défini dans Qu’est-ce qu’une nation ?”
En étant plus agité et moins cultivé que ses prédécesseurs, en mettant de surcroît tout au même niveau (souvent celui des caniveaux, plus rarement cellui des pâquerettes), en expliquant par exemple que l’on naît pédophile, que l’homme africain n’est pas “assez entré dans l’histoire”, sorte d’esclave éternel de lui-même ne pouvant concevoir l’idée même de progrès, en invitant les plus grands dictateurs de la planète au banquet de la France pour ensuite aller les faire assassiner (parfois dans un lynchage public d’un autre siècle, cf. Kadhafi), en faisant de Bernard-Henri Lévy (faussaire botulien de la philosophie mais expert en chaos libyen, sur lequel prospère Daech) et de Bernard Kouchner l’alpha et l’oméga de la politique internationale de la France, en crachant sur Madame de Lafayette, sur les “pov’ cons” et sur “la racaille” de banlieue juste bonne à être kärcherisée, en étant fasciné par l’argent facile, les retraites spirituelles sur les yachts et les escapades chez les sultans, en mettant en scène sa vie privée jusqu’à l’obscénité, en répétant enfin que l’instituteur ne remplacerait jamais le prêtre ou le pasteur, M. Sarkozy a accrédité l’idée d’un déterminisme – sorte de bricolage a-religieux et non mystique – contre lequel tous les efforts collectifs et individuels seraient définitivement vains.
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C’est qui, Darwin ?
Il ne s’agit même pas d’un “choc de civilisations”, une idée à propos de laquelle on pourrait au moins débattre, mais bien des lois de Mendel revisitées façon petits pois, c’est-à-dire via des discours qui généralisent et/ou simplifient jusqu’à l’outrance – “Quand on regarde des images djihadistes, on devient djihadiste, c’est comme pour les pédophiles”. À la manière des créationnistes fondamentalistes nord-américains, en prenant la lettre pour l’esprit et le clinquant pour le brillant, M. Sarkozy a été le meilleur agent électoral de Marine Le Pen, sans même s’en apercevoir.
Loin d’avoir “siphonné” les voix du FN, il a totalement légitimé ce mouvement attrape-tout, pour lequel les Français votent désormais de façon “décomplexée”, “sans tabou” et sans doute pour longtemps. Quelques mois après son bannissement, nous assistons ainsi au triomphe par contumace de Patrick Buisson, qui, lui, avait un véritable projet de société – et des références bien ancrées dans la Seconde Guerre mondiale (entre autres) – et qui savait pertinemment que les tabous sont nécessaires à toute société organisée, ne serait-ce que pour en protéger les mythes fondateurs, donc en assurer la survie.
Que se passera-t-il demain ? Objectivement, on voit mal ce qui pourrait empêcher la progression du Front national. Comme l’écrivait déjà il y a quelques années le professeur-chercheur Virginie Martin, “la France est dans une attirance-répulsion vis-à-vis du FN”.
Après avoir constaté que le Parti socialiste n’avait guère “changé la vie” et que l’“ici” et le “maintenant” étaient toujours reportés ailleurs et à plus tard, après avoir déploré que “la France pour tous” n’était au final que pour quelques-uns et que “la France forte” n’était qu’une cuillère de moutarde en voie de déshydratation pour militants du quatrième âge, après, enfin, s’être rassurés en marchant pour Charlie dans un éphémère œcuménisme émotionnel qui n’a même pas passé l’hiver, les électeurs sont en train, sinon d’adhérer aux propositions du Front national, du moins de structurer avec méthode, scrutin après scrutin, leur colère et leur dégoût.
60 millions de prétendants ?
Colère et dégoût qui là encore ne sont pas près de s’éteindre : il suffisait, ce dimanche soir, d’entendre les cadres socialistes taper sur Les Républicains et vice-versa, se rejetant mutuellement la faute à propos d’un échec pourtant équitablement partagé. Et, comme d’habitude, chaque camp avait un peu gagné l’élection…
Souvenons-nous pour conclure de la chanson de Renaud intitulée Hexagone :
Ils s'embrassent au mois de janvier,
car une nouvelle année commence,
mais depuis des éternités
l'a pas tell'ment changé la France.
Passent les jours et les semaines,
y a qu'le décor qui évolue,
la mentalité est la même,
tous des tocards, tous des faux-culs.
En décembre, c'est l'apothéose,
la grande bouffe et les p'tits cadeaux,
ils sont toujours aussi moroses,
mais y a d'la joie dans les ghettos.
La Terre peut s'arrêter d'tourner,
ils rat'ront pas leur réveillon,
moi j'voudrais tous les voir crever,
étouffés de dinde aux marrons.
La lettre sans l’esprit ou : fais tout c’que tu veux, mais touche pas à mon poste.
voila, voila. c'est joliment écrit en tout cas. Mais en dehors du constat TOUJOURS facile a posteriori ('j'vous l'avais dit' lancé affalé sur le zinc, tel Renaud , ultra dépressif et pessimiste maladif dont on ne peut surement pas citer les paroles lorsqu'il s'agit d'envisager les choix d'avenir) , je serais curieux de vous lire sur ce qui nous intéresse tous: Alors, qu'est ce qu'on fait pour que ça aille mieux? D'ailleurs, est ce que vous vous êtes seulement posé cette question? Pas sur, peut être car elle est autrement plus ardue et vertigineuse dans un monde de 2015 ultra connecté, que dans celui de Mitterrand, De Gaulle ou Chirac, époque totalement révolue ou pas même le millionième des informations que chaque citoyen peut avoir aujourd'hui n’était disponible. Ça change tout...
@boby Qu'est-ce qu'on fait pour que ça aille mieux ? C'est une question que l'on me pose souvent. Et que je me pose encore plus souvent ! Je déclinerai bientôt toute une série de propositions, n'étant candidat à rien. La question n'est pas tant de savoir ce qu'il faudrait faire (on peut trouver un consensus très large) mais 'simplement' de le faire. Just do it, comme disait la pub. Par conséquent, je ne crois pas que les solutions viendront de la classe politique. Hier soir, après le 2e tour des Régionales, tous voulaient le renouvellement... mais derrière eux. Comment résoudre les problèmes avec ceux qui les créent, essentiellement parce qu'ils n'ont jamais travaillé ? C'est toute la question. Je tenterai d'y répondre, je mettrai des idées en débat. Merci de nous lire en tout cas !