LyonBiopôle, Minalogic, Minatec, Nano 2012... Rhône-Alpes compte plusieurs centres de recherche sur les nanosciences qui constituent un axe important de la politique industrielle de la région. Or c'est le point de divergence entre socialistes et écologistes. Comment Queyranne pourra-t-il surmonter ces oppositions ?
En étant réélu, Jean-Jack Queyranne a fait l'essentiel. Mais le plus dur est sans doute à venir. Les âpres négociations d'entre deux tours avec Europe Ecologie préfigurent peut-être d'une cohabitation au sommet de la Région. C'est dans le secret que se sont tenues les discussions entre écologistes et socialistes. Si la répartition des vice-présidences et le mode de gouvernance ont abouti sans trop de douleur, il en fut autrement de la plate-forme programmatique. Le texte qui aurait dû être rendu public le mardi 16 ou le mercredi 17 mars n'a finalement été envoyé aux rédactions que le vendredi soir, à 21h. In extremis avant le second tour.
"Ce n'est pas grave d'avoir des points de désaccord, pourvu qu'on en convienne dès le départ et pas en cours de mandat, relativise Philippe Meirieu, tête de liste Europe Ecologie et 2e vice-président. Je suis contre les dessous de table". Il n'empêche, les négociateurs se sont écharpés sur trois points. "Un seul pose vraiment problème", assure un proche collaborateur de Queyranne. Si une convergence future semble possible sur les aides aux entreprises et la construction de la gare TGV d'Allan (Drôme), sur les nanotechnologies, chacun campe sur ses positions.
Le soutien de la puissance publique aux nanosciences
Pour l'exécutif socialiste, c'est un enjeu majeur de réindustialisation, d'attractivité du territoire et d'emplois hautement qualifiés. C'est en 2002 à Grenoble qu'a été officiellement lancé Minatec, prototype des pôles de compétitivité dédiée aux nanotechnologies. Les collectivités locales avaient déjà mis au pot, apportant 76 millions d'euros sur les 152. Les grands investissements dans ce domaine se sont depuis poursuivis, à chaque fois soutenus par le conseil régional qui y a vu un axe central de sa politique industrielle. Et inversement, sans argent public, ces projets n'auraient pu aboutir.
Minalogic, rapprochement des nanos et du logiciel, a été reconnu en 2005 comme pôle de compétitivité mondial, tout comme Lyonbiopole qui consacre la collaboration entre Lyon et Grenoble, la santé et les micro et nanotechnologies. Et Nano 2012, prolongement de feu Crolles 2, est un centre de recherche privé largement subventionné par la puissance publique. L'investissement, d'un montant total de 2,4 milliards d'euros, a bénéficié de 600 millions d'euros de financement public, dont 32 millions accordés par la Région. Ce serait difficile pour le conseil régional de faire tout à coup marche arrière.
"Des effets similaires aux fibres d'amiante"
Comme pour les OGM, les écologistes sont pourtant très réservés sur les nanosciences. Lors du dernier conseil communautaire au Grand Lyon le 22 mars dernier, Béatrice Vessiller a fait une intervention résumant la position des Verts. "Aux questions de biodégradabilité, de nocivité à long terme, aucune réponse n'est apportée aujourd'hui, a-t-elle développé. Les nanoparticules peuvent passer à travers toutes les barrières corporelles et c'est d'ailleurs pour cela qu'il est envisagé de les utiliser en médecine. Certaines études montrent un effet inflammatoire sur les systèmes pulmonaires et cardio-vasculaires. Les nanotubes de carbone pourraient produire dans le poumon des effets similaires aux fibres d'amiante".
"Nous sommes d'accord pour financer les technologies dont on connaît l'impact sur la santé et l'environnement. D'ici là, nous demandons un moratoire", précise Emeline Baume, élue municipale dans le 1er arrondissement. "Nous réorienterons les aides régionales à la recherche en nanotechnologie, chimie, énergie vers l'éco-toxicologie et la prévention des risques pour l'homme et la nature, et supprimerons les subventions à la fabrication de produits potentiellement dangereux", est-il mentionné dans leur projet. "J'espère bien faire évoluer les socialistes, comme ils ont évolué grâce aux Verts sur le nucléaire en 2004", affirme Philippe Meirieu.
Cette position met-elle en péril le soutien régional aux pôles de compétitivité ? On imagine que le maire de Grenoble, Michel Destot, a frémi pendant que socialistes et écologistes négociaient leur accord. L'économie grenobloise mise en effet beaucoup sur les nanotechnologies, qui prennent pour elle le relais de la houille blanche et des microtechnologies. Députée et adjointe à la ville de Grenoble en charge de la recherche et de l'économie, Geneviève Fioraso assure que les structures de recherche ont désormais une assise solide. Minatec, fortement subventionnée par le conseil général de l'Isère au départ, est à présent autonome financièrement. "La Région n'est même pas représentée au conseil d'administration de la SEM", relève-t-elle.
Pour Lyonbiopôle, comme pour Minalogic, le conseil régional apporte des financements aux projets. Sans argent de la région, les structures ne seraient pas atteintes, mais certains travaux seraient tout de même menacés. "Nous avons eu l'assurance que Jean-Jack Queyranne ne cèderait pas sur ces dossiers", balaie-t-elle.
40 000 emplois en cause
Les élus socialistes ne comptent en effet pas lâcher les nanos. Gérard Collomb a vertement réagi à l'intervention de Béatrice Vessiller. Il voit dans cette recherche un levier pour combler le retard français : "le poids de l'industrie dans le PIB allemand est de 32%, il est de 19% en France", a-t-il souligné.
"Il y a un principe de réalité à prendre en compte, surtout quand ce sont autant d'emplois qui sont en cause", souligne Roger Fougères qui fut vice-président du conseil régional en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche jusqu'à ces dernières semaines. D'après ses calculs, 40 000 emplois directs et indirects en dépendent. "Il faut être vigilant sur la toxicité des nanoparticules, reconnaît celui qui avait en charge les nanosciences au conseil régional. Mais l'électricité aussi est dangereuse et on a bien réussi à trouver des systèmes de protection".
"Les nanos comportent des dangers, mais aussi des espoirs, corrige Thierry Philip, conseiller régional en charge de la recherche. En tant que cancérologue, je sais de quoi je parle. On parvient aujourd'hui expérimentalement à viser une tumeur au cerveau ou cibler l'action de chimiothérapie sur une tumeur". Vice-président en charge des relations internationales, Bernard Soulage évoque une autre application prometteuse : de faux arbres qui pourraient capter le CO2 de l'atmosphère.
Une majorité de circonstance UMP/PS ?
Les conseillers régionaux socialistes devraient faire bloc derrière les nanos mais cela ne suffira pas. Ils pèsent en effet 53 sièges sur 157. Insuffisant pour constituer une majorité. Thierry Philip est pourtant confiant. "On a fait des choses plus difficiles lors du 1er mandat", glisse-t-il. "Les Verts n'ont jamais été d'accord pour encourager Minatec et les biotechnologies mais ça ne nous a pas empêchés de le faire", soutient Bernadette Laclais, 1ere vice-présidente. C'est finalement un collaborateur de Philippe Meirieu qui nous donne la solution. "Nous nous abstiendrons ou voterons contre, mais l'UMP votera pour", nous a-t-il confié.
Première option : arracher l'abstention des élus d'Europe Ecologie. "J'ai réussi à les amener à évoluer. Ils se sont abstenus sur Nano 2012, relève Roger Fougères. Ils abordent les problèmes de façon idéologique mais quand on entre dans les dossiers, on peut trouver des solutions". Un consensus pourrait être dégagé grâce au financement d'études sur les effets des nanosciences. Or un centre nano de sécurité est justement prévu dans le cadre de Nano 2012. De quoi tempérer l'opposition des écolos ? Il est possible que cette initiative suffise à convaincre certains élus Europe Ecologie de s'abstenir, d'autant que tous ne se retrouveraient pas dans cette opposition de principe à la recherche. Deuxième option : compter sur le vote favorable des élus de droite, composant une majorité de circonstance. Un problème politique ? "Ce ne serait pas la première fois", souffle Thierry Philip. "95 à 98% des dossiers sont votés à l'unanimité", relativise Bernard Soulage.
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