Lobbying : que les députés rendent leurs cadeaux !

Etrangement, de droite comme de gauche, les députés se font discrets sur les cadeaux reçus. Enquête.

Une bouteille d'eau JPG, une console de jeux, des invitations à Cannes...

lienL'idée peut sembler farfelue, mais elle met le doigt sur des pratiques de plus en plus envahissantes dans le mécanisme de la décision publique. Anticor, association de lutte contre la corruption bien connue des riverains de Rue89, propose de collecter les cadeaux reçus par les députés. Une initiative dont les parlementaires vont prendre connaissance par une lettre ouverte envoyés par courriel.

Des cadeaux, de plus en plus nombreux, offerts par les lobbyistes de tous horizons. Fini les enveloppes de billets (interdites depuis les lois sur le financement de la vie politique), bienvenue aux week-ends à Londres, dîners aux meilleures tables parisiennes, invitations au festival de Cannes ou à Roland-Garros... Sans compter les innombrables présents qui arrivent dans les 577 bureaux des députés siégeant au Palais Bourbon.

Les viticulteurs sont des spécialistes des petits cadeaux qui entretiennent l'amitié : seau à vin, bonnes bouteilles au moment des fêtes... Mais Evian a aussi envoyé une bouteille collector, habillée par Jean-Paul Gaultier. Le lobby anti-OGM s'est fendu d'un mini pot de miel, les industriels de l'horlogerie d'un réveil anti-contrefaçon. Pendant les débats sur le projet de loi Hadopi, un parlementaire en pointe sur le sujet a même reçu une console Wii de la part du représentant des éditeurs de jeux vidéo !

Un phénomène en pleine croissance qui a donné l'idée à Anticor d'organiser une grande vente aux enchères. Objectif : collecter ces cadeaux, les vendre sur Internet et enfin reverser le produit de cette vente directement au Trésor Public. Histoire de ne pas banaliser le lobbying.

De droite comme de gauche, silence radio

Visiblement, ils se sont passés le mot. Des cadeaux ?

" Non, non, je ne reçois pas de cadeaux, dit le député socialiste Pierre Moscovici assis à son bureau, je ne suis pas un homme à cadeau ! "

Un peu plus loin, même écho de Jean-Louis Bianco, croisé dans un couloir du Palais Bourbon : " Des cadeaux ? Non, c'est comme pour l'ouverture, Sarkozy ne m'a pas appelé ", sourit le député proche de Ségolène Royal.

Même discours à droite, comme si l'attitude des lobbies étaient équitablement assumée par les deux bords. Visiblement, les parlementaires ont du mal à se défaire de ces petits passe-droits bien agréables au quotidien. Pourtant, certains ont beaucoup travaillé sur le sujet. L'UMP Patrick Beaudoin a fait de nombreuses propositions.

Il s'est particulièrement agacé de l'intervention du président de l'Association française des conseils en lobbying (AFCL). Jean-Christophe Adler a pris position. Pas comme président de l'AFCL, mais comme dirigeant du cabinet Affaires publiques consultants, en diffusant un document baptisé " Nouveaux pouvoirs du Parlement : Quelles opportunités de lobbying pour les entreprises ? " Une véritable provocation aux yeux des parlementaires.

Un député UMP prêt à s'inspirer des pratiques de Bruxelles

Du coup, Patrick Beaudoin est (re-)monté au créneau, pour rappeler les propositions faites avec l'UMP Arlette Grosskost :

  • Création d'un registre pour savoir qui est qui et qui fait quoi.
  • Création de badges spécifiques pour les lobbyistes
  • Code de bonne conduite inspiré des chartes existantes
  • Création d'un organisme d'auto-régulation de la profession
  • Création d'un base de données pour enregistrer tous les documents apportés aux parlementaires

En guise de réponse, le président de l'Assemblée, Bernard Accoyer, s'est contenté de ranimer le groupe de réflexion créé fin 2007, qui devait faire des propositions. Ce groupe, dirigé par l'UMP Marc le Fur, a un mois pour conclure ses travaux, de façon à modifier les règles en octobre prochain. Le cabinet d'Accoyer le promet :

" Bien entendu, l'énorme travail de Patrick Beaudoin et Arlette Grosskost sera pris en compte. "

Iront-ils jusqu'à adopter les pratiques en vigueur à Bruxelles ? Depuis l'an dernier, les lobbies ont l'obligation de s'enregistrer et de déclarer l'identité de leurs clients. Quant aux parlementaires européens, ils sont obligés de faire une déclaration publique de tous les cadeaux reçus. Patrick Beaudoin y est favorable :

" Je ne cherche pas à laver plus blanc que blanc, mais les rayons du soleil, c'est le meilleur désinfectant. "

Photo : Séverine Tessier, d'Anticor (Audrey Cerdan/Rue89)

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