Par Pierre Haski | Rue89
Faut-il vraiment que nous subissions tout cela ? Le spectacle de la vie politique française donne la nausée, et fournit aux populistes et aux anti-démocrates tous les prétextes pour engranger quelques points. Un spectacle dans lequel une valeur fondamentale a disparu : l'éthique.
Jeudi, j'ai eu le malheur d'acheter l'hebdomadaire L'Express, qui nous a livré les bonnes feuilles du livre de l'ex-femme d'Eric Besson : dans son « Manuel de guerilla à l'usage des femmes » (Grasset), Sylvie Brunel habille le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale pour plusieurs hivers dans le rôle du beauf-séducteur-queutard-mais-néanmoins-généreux, avec quelques anecdotes qui ont vite fait le tour des dîners en ville.
Je m'en suis voulu d'avoir lu ces pages, et, même si le propos était, paraît-il, de défendre la femme délaissée de 50 ans, cette vengeance publique, publiée de surcroit avec la bénédiction ambiguë de l'intéressé, m'a affligé. Je n'ai pas demandé à entrer dans la chambre à coucher de M. et Mme Besson : j'ai connu Sylvie Brunel mieux inspirée dans l'humanitaire, il y a bien longtemps.
Le même jour, nous avons eu droit au déballage de l'interview de Frédéric Mitterrand au journal de TF1, avec en invité surprise le « boxeur thai de 40 ans » qui remplacera désormais le plombier polonais dans l'imaginaire collectif des Français. Avec un ministre qui s'enfonçait en pensant avoir des accents de sincérité. Et des questions directes dont on se disait, en les écoutant, qu'on n'avait pas soupçonné une telle pugnacité lors d'entretiens similaires avec, disons, Nicolas Sarkozy…
Ces deux « affaires » font évidemment la « une » : le voyeurisme politico-peopolisé a le vent en poupe. Dans le Journal du dimanche, ce week-end, on a encore droit à une interview de Sylvie Brunel, qui restera dans la (petite) histoire « Mme ex-Besson » et non « Mme ex-Action contre la faim » ; et une autre de Frédéric Mitterrand défendant son honneur perdu largement par sa faute, pour une déclaration arrogante et maladroite sur Polanski qui a ouvert la boîte de Pandore. Besson et Mitterrand squattaient aussi les écrans de télé dimanche.
Népotisme à La Défense
Mais sur un autre registre, l'indécence ne s'arrête pas là. Elle prend une autre forme avec la nomination de Jean Sarkozy, fils de qui vous savez, à la tête de l'EPAD, l'établissement public d'aménagement de La Défense, qui gère le gigantesque et juteux quartier d'affaires près de la capitale. C'est sans précédent pour un homme de son age (23 ans) et de son inexpérience, à peine quelques mois après sa première élection comme conseiller général. Le népotisme règne en maître dans ce fief sarkozyste.
Allez après ça critiquer la Chine ou d'autres pays qui pratiquent le népotisme ! Pékin se fait d'ailleurs les gorges chaudes de la nomination du fils du président « qui n'a même pas fini ses études », comme le montre ce reportage de la télé d'Etat CCTV. (Voir la vidéo repérée par BetaPolitique.fr)
Quel est le point commun entre toutes ces affaires ? Le manque d'éthique individuelle dans l'exercice du pouvoir, qui caractérise la période actuelle.
Au cœur de la crise économique et sociale que traverse le pays, on rêverait d'autre chose que (la liste est loin d'être exhaustive…) :
- d'un ministre qui fait la chasse aux immigrés pour montrer qu'il a des « couilles », puisque c'est, selon son ex-femme, le mot favori de son vocabulaire ;
- d'un autre qui se délecte aux blagues racistes quand il doit donner l'exemple à une police dont il a la responsabilité et qui est en première ligne dans les questions de racisme et de coexistence dans les quartiers ;
- d'un troisième qui incarne l'élitisme parisien au point de dire haut et fort à la télévision que « tout le monde » a un jour ou l'autre « fauté » comme lui dans un bordel thaï…
- Ou encore d'un quatrième qui cautionne hâtivement l'élection d'un fils à la place d'un père qui l'a naguère employé, dans une république africaine où la transparence démocratique et affairiste n'est pas la norme.
Un sursaut éthique ?
D'où viendra un sursaut éthique dans la gestion des affaires publiques ? La crise et ses « plus rien ne sera comme avant » n'ont pas généré de nouveaux comportements. La nomination de Jean Sarkozy, de ce point de vue, constitue une incontestable régression politique et peut-être surtout mentale.
Cette question peut sembler anodine, la république n'est pas en danger… Mais ça faisait longtemps qu'une déclaration provenant de la famille Le Pen n'avait pas à ce point fait mouche. Les turpitudes de l'élite n'ont jamais généré de l'harmonie sociale et du civisme, mais font le lit, au contraire, du cynisme et de l'égoisme. Attention au retour de bâton.
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