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Michèle Alliot-Marie, une ministre si étrangère aux Affaires

Gaza, Tunisie : la ministre des Affaires étrangères vient de se prendre les pieds dans le tapis de la diplomatie. Des incidents qui révèlent qu'on peut avoir un parcours ministériel sans faute et échouer au Quai d'Orsay. Pourra-t-elle tenir jusqu'à la présidentielle ?

C'est entendu, on ne doit pas tirer sur les ambulances, mais dans les erreurs de casting du dernier remaniement ministériel, le choix de Michèle Alliot-Marie pour les Affaires étrangères vient assurément en tête. A deux reprises en quelques jours, la ministre, qui prétendait il y a encore peu viser Matignon, s'est pris les pieds dans le tapis diplomatique en faisant la démonstration qu'il ne suffit pas d'être une personnalité politique de premier plan, issue du cœur du sérail gaulliste, pour être omnicompétente. Elle a révélé au grand jour, au passage, les impasses et les graves limites de l'appareil diplomatique qu'elle dirige.

Fiasco tunisien

Le premier piège que s'est tendu à elle-même la ministre est évidemment la révolution tunisienne, sujet stratégique s'il en est pour la diplomatie française, à la fois par le voisinage, l'ambition (la prétention, devrait-on dire après un tel fiasco) de leadership français dans les rapports euro-méditerranéens, et bien sûr la présence de près d'un million de Tunisiens en France.

Non seulement la ministre a lourdement fauté avec son offre calamiteuse d'aide sécuritaire au régime de Ben Ali et son manque d'empathie pour les victimes de la répression – n'y revenons pas, tout a été dit sur cette gaffe –, mais surtout, Michèle Alliot-Marie et ses services ont montré comment une diplomatie coupée des sociétés conduit à des aveuglements catastrophiques. En Afrique, au nord comme au sud du Sahara, la France n'a quasiment plus de capteurs dans les sociétés susceptibles, dans des pays où la majorité de la population est très jeune, de comprendre les transformations et d'anticiper les mutations. Elle est enfermée dans des tête-à-tête stériles avec des élites vieillissantes imposées et coupées des réalités, dans un rapport de clientélisme périmé. Il y a heureusement des exceptions, qui tiennent plus à des individus qu'à une politique.

Vers l'Orient compliqué…

Autre terrain miné où Michèle Alliot-Marie a raté son entrée : le Proche-Orient, terrain complexe s'il en est, comme l'ont vécu à leurs dépens d'autres visiteurs français, comme Lionel Jospin accueilli en 2000 par des jets de pierre à l'université palestinienne de Bir Zeit pour une parole malheureuse sur le Hezbollah, comme le rappelle justement Gilles Paris sur son blog. Ou à leur avantage comme Jacques Chirac, adulé par les foules arabes en 1995 pour s'être vaillamment opposé à la sécurité israélienne lors de sa visite de la vieille ville de Jérusalem.

A Gaza, la ministre, qui effectuait sa première visite officielle, a été accueillie par des manifestants hostiles qui s'en sont pris à sa voiture, en raison de propos qui lui ont été attribués – et qu'elle dément avoir tenus – qualifiant la capture du soldat israélien (et français) Gilad Shalit par des islamistes de « crime de guerre ». Manifestation sans doute organisée par le Hamas, qui contrôle politiquement et militairement la bande de Gaza, et vraisemblablement destinée à envoyer un message à la France, considérée aujourd'hui comme l'alliée d'Israël et plus, comme à l'époque de Jacques Chirac, mentor de Michèle Alliot-Marie en politique, comme l'amie des Palestiniens ou en tout cas suffisamment équilibrée pour jouer un rôle.

L'affaire Shalit fait partie du brouillage d'image : juste avant de se rendre à Gaza, Mme Alliot-Marie était allée rendre visite à la famille israélienne du soldat otage des islamistes qui, s'il est aussi de nationalité française, a été kidnappé alors qu'il portait l'uniforme de l'armée israélienne. Quel est le message dont est aujourd'hui porteuse la France au Proche-Orient ? Une récompense à celui ou celle qui serait en mesure de m'en donner une vision claire. Difficile à voir de Paris, plus difficile encore vu de Gaza ou de Tel Aviv.

Gaulliste mais alignée sur Washington

Michèle Alliot-Marie symbolise malgré elle cette période confuse. Héritière d'une tradition gaulliste, elle préside la diplomatie française (enfin, il ne faut pas oublier le poids de la cellule diplomatique de l'Elysée…) au moment où elle a fait un virage radical, sous Nicolas Sarkozy, qui la met sagement au côté des Etats-Unis, pour le meilleur et pour le pire.

Cette femme a une longévité politique remarquable : elle a présidé le RPR, et est ministre sans discontinuer depuis 2002, occupant plusieurs postes régaliens – Défense, Justice, Intérieur, Affaires étrangères. Et pourtant, elle ne laisse guère de traces durables. Elle demeure, comme l'a bien résumé le titre d'un ouvrage qui lui est consacré par le journaliste Michaël Darmon, « la grande muette ».

Alors à quoi sert Michèle Alliot-Marie ? Elle incarne, dit-on pour la défendre, une des « sensibilités » de l'UMP. Mais à quoi bon si on ne fait que de la figuration ? Et à quoi bon si, en virevoltant d'un portefeuille ministériel à l'autre en emmenant dans son sillage des conseillers tout aussi éclectiques, on flirte en permanence, même en « étant bosseuse » comme disent ses amis, avec son seuil de compétence ?

Heureusement, il y a Le Figaro

Le feu est si grave dans la vieille maison des Affaires étrangères que le cabinet de la ministre a diligenté un magnifique portrait hagiographique de Michèle Alliot-Marie dans Le Figaro, éloquemment titré « Le style de MAM s'impose au Quai d'Orsay ». Article daté du… 14 janvier, le jour où Ben Ali a quitté la Tunisie en prenant le Quai d'Orsay et sa titulaire par surprise. On y apprend au passage que « le conseiller pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Erwan Davoux, n'est pas passé par l'ANMO, l'influente direction du Quai chargée de ces régions. Une façon sans doute pour le nouveau ministre de prendre quelque distance avec la “machine” pour mieux la maîtriser. » Ou mieux se planter.

Le paradoxe de cette autodestruction en temps réel de la ministre des Affaires étrangères, est qu'elle survient à un moment où la France préside le G8 et le G20, période pendant laquelle Nicolas Sarkozy veut montrer qu'il est le « maître du monde » avant de redescendre sur Terre et redemander aux Français de le confirmer comme « maître de la France ».

La ministre des Affaires étrangères survivra-t-elle dix-huit mois au Quai d'Orsay à ce rythme de « bombes » qui explosent sur son passage quasiment chaque semaine ? A défaut d'être intéressant diplomatiquement, le feuilleton le sera politiquement.

Illustration : dessin de Baudry

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