Nathalie Arthaud : "Le Parlement Européen n'est qu'un moulin à parole"

(article paru dans l'édition de mars 2009 de Lyon Capitale)

Nathalie Arthaud est la nouvelle porte-parole de Lutte Ouvrière (LO). Il incombe à cette Lyonnaise, élue à Vaulx-en-Velin, la difficile tâche de remplacer Arlette Laguiller. Aussi indignée que son aînée, Nathalie Arthaud place peu d'espoirs pour son parti dans ces élections européennes. Selon elle, ce ne sont pas les élections qui permettront de changer la société.

Lyon Capitale : Désormais vous êtes la voix et la figure de Lutte Ouvrière. Quelle est l'origine de votre engagement à LO ?
Nathalie Arthaud : Je me sentais concernée par le problème de la faim et de la misère dans le monde. Je me souviens des images de la famine en Ethiopie. C'est quelque chose qui a frappé ma génération. Un temps, j'ai d'ailleurs pensé faire de l'humanitaire. Puis j'ai rencontré de jeunes militants communistes qui m'ont convaincue que ce problème était lié au système capitaliste qui pillait les pays pauvres. Si on n'attaquait pas à ce niveau-là le problème, on n'arriverait jamais à le résoudre. J'ai été convaincue par cette idée de transformer la société pour réaliser une société communiste où l'on pourrait enfin satisfaire les besoins de tous.

L'analyse marxiste du capitalisme est-elle toujours d'actualité ?
Bien sûr ! Nous pouvons produire deux fois ce dont la population de la planète a besoin pour subvenir à ses besoins. Il s'agit d'un problème d'organisation sociale et économique. Nous avons des ressources en abondance et des bras que l'on fait crever au chômage et que l'on condamne à la misère. Ce système est un gâchis sans nom. Il faut passer à une société supérieure : mettre au service de tous la machine économique que le capitalisme a construit, mais qui dysfonctionne parce qu'on ne coordonne rien et qu'on ne contrôle rien. D'ailleurs tout le monde parle aujourd'hui de l'insuffisance de contrôles. Le communisme représente cette société supérieure. Au fond, nous faisons face à une crise de "surproduction". Nous sommes en crise parce que trop de richesses sont produites, c'est quand même une aberration quand on voit tous les besoins non satisfaits !

Vous refusez la solution proposée par la social-démocratie qui consiste à redistribuer les richesses en régulant le capitalisme...
Nous n'avons rien contre la redistribution des richesses, mais elle ne se fera pas si c'est encore une minorité qui les contrôle et qui décide de ce qu'elle en fait. Il y a une dictature de la bourgeoisie, des grands trusts et des grandes banques qui imposent à la population ses quatre volontés. Les grandes entreprises de l'automobile font vivre des myriades de PME plus ou moins grandes et les milliers de travailleurs qui y sont salariés. Lorsqu'ils décident de fermer un atelier ou d'arrêter la production, c'est un bouleversement pour la vie de milliers de gens qui n'ont rien demandé. C'est aussi contraignant qu'une dictature politique.

Il y a une reconfiguration à gauche avec la création du Parti de Gauche et du Nouveau Parti Anticapitaliste. Alors que vous êtes d'accord sur l'essentiel, on ne voit toujours pas naître ce grand parti d'extrême gauche ?
A l'inverse de la majorité des gens, nous ne pensons pas qu'il faille forcément se rassembler. Les capitalistes et la bourgeoisie ont eux aussi une multitude de partis qui sont à leur service et qui ont des visions différentes. Que les travailleurs aient plusieurs partis qui les représentent et qui s'expriment avec des sensibilités différentes n'est pas un problème. Ceux qui disent que c'est un problème sont électoralistes. Ils se disent que les meilleurs scores électoraux sont réalisés par l'unité. Nous voulons combattre l'illusion que l'on peut peser sur la situation par des scores électoraux.

Dire que les élections sont une illusion n'est-ce pas un déni de démocratie ?
Mais la démocratie est largement factice aujourd'hui. Le véritable pouvoir est économique. Combien de fois le pouvoir politique s'est aplati face au mur de l'argent. Ces politiciens qui sont élus se transforment en grands VRP pour les grands trusts du nucléaire et les grandes entreprises françaises. Le pouvoir n'est pas là où on le dit.

Les grandes mobilisations changent-elles réellement quelque chose ? Il y a eu une grande mobilisation en 1995 et, pourtant, les inégalités ont continué à s'accroître.
S'il n'y avait pas eu 1995, les inégalités auraient été plus rapides à se développer. 1995 a retardé le plan de remise en cause des retraites. Les grandes périodes où les travailleurs ont réussi à imposer le respect de leur droit sont assez rares. Il y a la grève générale de 1936 et mai 1968. La Révolution Française a permis également à une autre classe sociale de parvenir au pouvoir (la classe bourgeoise, ndlr). Cela a permis de faire avancer les choses, il ne faut pas le nier. Je n'oublie pas la Révolution Russe de 1917.

Le NPA vient d'abandonner la référence au trotskisme. N'est-ce pas là une forme de modernité ?
Voilà quelque chose qui va dans le sens de la mode. Nous ne pensons pas que ce soit moderne, c'est un renoncement plutôt. C'est l'abandon de la solidarité vis-à-vis de la seule révolution qui a été victorieuse. Il faut s'expliquer et ne pas céder à la facilité. C'est vrai que cette révolution a été confisquée par une bureaucratie stalinienne, mais nous l'avons toujours dit ! Il ne faut pas se sentir mal à l'aise par rapport à ça. La révolution n'est pas une utopie. Trotski nous a donné les clés pour comprendre pourquoi elle a dégénéré. Nous ne faisons pas comme le Parti Communiste qui le découvre en 1990. Notre parti l'a toujours dénoncé. Mais nous restons solidaires de cette révolution.

LO fait toujours figure d'un parti à part. Vous avez critiqué les Altermondialistes tels que Attac ou José Bové, alors que la LCR a immédiatement intégré ce mouvement. Vous apparaissez toujours à la marge de ce qui est nouveau...
Nous avons participé à des rassemblements inspirés et organisés par les Altermondialistes parce qu'il y a des combats que l'on partage en commun. Mais notre politique ne s'est jamais réduite à l'Altermondialisme. L'altermondialisme ne parlait pas de capitalisme, mais de libéralisme. N'empêche qu'aujourd'hui, tout le monde parle de capitalisme ! Nous avons eu raison de ne pas vouloir changer notre vocabulaire et nos analyses. Le problème n'est pas le libéralisme. C'est plutôt ce système qui fait réaliser des profits le plus vite possible. Si le secteur de la production n'en fait pas assez et bien la bourse permettra de faire fructifier l'argent quitte à ne plus investir et à ne plus développer la production. C'est à cette logique même du capitalisme qu'on en revient. Nous ne pensons pas qu'il y ait un méchant capitalisme financier et un gentil capitalisme industriel.

Ça c'est la rhétorique sarkozyste du moment...
Oui mais c'était aussi la rhétorique de certains Altermondialistes. C'est quoi le gentil capitalisme industriel ? C'est Peugeot-Citroën qui a viré 800 intérimaires à Belfort, qui fait bosser sur les chaînes de montage des anciens qui ont 58 ans et qui n'ont plus la santé ? C'est Michelin qui licencie quelqu'un parce qu'il a osé dire que son boulot est trop difficile ? C'est ça le gentil capitalisme industriel ? Ce sont les mêmes qui ont leur part de capitaux en bourse.

Continuez-vous à dire et à penser que la droite et la gauche, c'est la même chose ?
La gauche est soutenue et entretient des illusions chez une très grande majorité de la population travailleuse. Mais au pouvoir, ça ne fait pas de différences pour la vie des gens. S'il y avait eu une amélioration des conditions de vie des milieux populaires et bien la gauche aurait gagné les élections !

Allez-vous encore faire campagne sur le rejet de l'Europe ?
C'est marrant de présenter les choses comme ça parce qu'à Maastricht nous nous sommes abstenus en raison de l'euro. Dire non à une monnaie commune nous embêtait. Tout ce qui permet de rassembler les peuples, nous y sommes plutôt favorables. Nous étions contre la constitution puisqu'elle consacrait vraiment la domination des pays les plus puissants de l'Europe sur les autres. Il y avait des rapports de domination que l'on voulait dénoncer. Mais sur le fond nous sommes pour une Europe unie des travailleurs, la plus large, élargie même à la Turquie et au Maghreb.

Siégerez-vous au Parlement Européen ?
Je ne crois pas que nous aurons des élus, mais si je l'étais, oui ! Même si le Parlement n'est qu'un moulin à parole, nous avons notre parole à défendre nous aussi. Nos camarades qui y siégeaient ont passé des heures et des heures pour savoir combien il fallait de pourcentage de cacao pour avoir le nom de chocolat ! Voilà à quoi sert le Parlement Européen ! Mais quand il s'agit de distribuer l'argent, c'est ailleurs que ça se passe, c'est la Commission qui décide.

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