Pourquoi les déclarations d'intérêts n'ont servi à rien

Pour prévenir d'éventuelles affaires, le gouvernement avait demandé à ses ministres de déclarer leurs conflits d'intérêts financiers et humains. L'affaire Cahuzac a démontré la faible efficacité de cette démarche. Outre-Atlantique, avec le spectre du parjure, l'affaire Cahuzac n'aurait sans doute pas existé.

Initié en 2011 par le gouvernement Fillon qui cherchait à se dépêtrer des méandres de l'affaire Woerth, la déclaration des intérêts et donc des éventuels conflits qu'ils peuvent engendrer a montré son inutilité au travers de l'affaire Cahuzac. Dans ce document, disponible en ligne sur le portail du gouvernement, les membres du gouvernement ont listé, ce qui à leurs yeux, relève d'un conflit d'intérêts personnel ou familial. Dans les déclarations des actuels ministres, quelques oublis avaient été pointés sitôt les fiches individuelles rendues peu de temps après leur installation.

Des déclarations d'intérêts mal délimitées

Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des Femmes, n'estimait pas, par exemple pertinent d'annoncer que son mari officiait au cabinet d'Arnaud Montebourg. Jérôme Cahuzac ne signalait pas son compte en Suisse ni même une entreprise qu'il possédait mais inactive depuis une décennie. L'ancien ministre du Budget notait tout de même que son frère, Antoine, dirigeait une filiale d'EDF. De ses déclarations, il en ressortait des ministres vertueux. Tout juste pouvait-on s'amuser de voir Cécile Duflot nommée ministre du Logement alors qu'elle a occupé un poste chez Logeo, un entreprise spécialisée dans le logement social, jusqu'en mai 2012. Elle était toutefois en congé sans solde depuis le 31 décembre 2009. Comme tout ministre, Cécile Duflot dispose d'un contingent de légions d'honneur à distribuer le 14 juillet. Dominique Giry, directeur général de Logeo, fera partie des médaillés.

Des informations qui ne sont pas recoupées

Dans le même registre, Marisol Touraine déclarait que son frère Philippe était membre du comité de l'Autorisation de mise sur le marché, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAAPS) et de la commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments de l'AFSSAAPS. La ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, oubliait pour sa part de déclarer qu'elle avait œuvré dans les années 1990 au Centre de l'Énergie atomique. La ministre n'était d'ailleurs pas obligée de le mentionner. Les déclarations d'intérêts ne remontent, en effet, que trois ans en arrière. Purement déclarative et sans justificatifs à délivrer, cette déclaration s'avère bien insuffisante. "Tous les élus, nous faisons des déclarations d'intérêts ou de patrimoine mais elles ne servent à rien si elles ne sont pas vérifiées derrière", explique Jean-Luc Benahmias, eurodéputé et vice-président du Modem.

Présomption de bonne foi

La commission de réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique définissait ainsi ce document : "elle ne vise pas à connaître l’étendue et le contenu du patrimoine de la personne concernée, mais à identifier les intérêts qu’elle détient en relation avec les fonctions exercées ou susceptibles de l’être, qui pourraient susciter un doute raisonnable sur son impartialité et son objectivité". Or c'est par ce biais que le scandale fissure la République irréprochable de François Hollande. Le document n'est que purement déclaratif et ne fait l'objet d'aucun contrôle. Le modèle français en cela ne garantit en rien contre une affaire Cahuzac ou Woerth.

La démocratie américaine ou canadienne s'abrite, par exemple, derrière des contrôles bien plus draconiens pour éviter ce genre d’écueil. Au Canada, les ministres et même leurs responsables de cabinet sont contraints de déclarer au Commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique leurs éléments d'actif ou de passif. Durant la durée de leurs mandats, ces personnalités sont en outre interdits de détenir des sociétés ou ne serait-ce que des actions boursières. Dans le gouvernement français actuel, ils ne sont que six à avoir déclaré disposer d'actions ou de participations dans des entreprises pour plus de 5% ou de 5 000 euros : Laurent Fabius, Yamina Benguigui, Marie-Arlette Carlotti, Pascal Canfin, Alain Vidalies et Pierre Moscovici. Même avec les règles canadiennes, Jérôme Cahuzac aurait pu passer au travers des mailles du filet.

François Hollande veut s'aligner sur les États-Unis

En revanche, aux États-unis, l'ancien ministre qui a reconnu disposer d'un compte offshore aurait été empêché a priori d’accéder à de telles fonctions. Le vetting s'assimile à une enquête minutieuse sur le parcours professionnel et personnel d'une personnalité publique. La plupart des secrétaires d'État y sont soumis. Vient ensuite une enquête du FBI puis une autre du bureau de l'éthique gouvernementale chargé de prévenir des conflits d'intérêts. En France, aucune de ces démarches n'est entreprise. Ce mercredi, lors d'une allocution, François Hollande a promis une réforme plutôt similaire : "Une Haute Autorité sera créée. Totalement indépendante, elle contrôlera les déclarations de patrimoine mais aussi les déclarations d’intérêts des membres du gouvernement, des parlementaires, des responsables des grands exécutifs locaux et des dirigeants de grandes administrations. Cette Haute Autorité étudiera de manière approfondie la situation de chaque ministre, avant et après sa nomination".

La transparence pour sortir de la crise morale

Avec les règles américaines, le cas Éric Woerth, ministre du Budget dont l'épouse travaillait pour Liliane Bettencourt, aurait ainsi pu être évité. "On ne place pas à un poste comme ministre du budget quelqu'un comme M. Cahuzac sans avoir pris toutes les vérifications", a déclaré Laurent Wauquiez sur LCI rappelant que Jérôme Cahuzac était "un personnage sulfureux" dont "on savait que ses rapports avec l'argent n'étaient pas clairs". "Les enquêtes qui sont pratiquées aux États-Unis sont bien meilleur que nos déclarations d'intérêts ou de patrimoine qui restent très vagues", abonde Jean-Luc Benahmias. En pleine tempête, les États-Unis prennent des allures de modèle de vertu. "Leur système est excellent et il est transposable. Il faut instituer une commission indépendante chargée de vérifier les déclarations. Dans cette période de crise, l'affaire Cahuzac et l'inefficacité de François Hollande crée un sentiment de défiance. Pour maintenir le lien de confiance avec les Français, il faut donc en faire plus. Pour cette raison, je publierai ma déclaration de patrimoine", appuie Jérôme Chartier, député UMP proche de François Fillon.

Vers un délit de parjure ?

La mécanique du mensonge dans laquelle s'est enfermée Jérôme Cahuzac aurait eu des conséquences bien plus conséquentes aux États-Unis. Avant leur nomination, les ministres sont entendus au Parlement où ils sont auditionnés sous serment. Un mensonge et c'est le parjure, une peine passible de prison aux États-Unis. En France, les déclarations, à l'Assemblée nationale, d'un Jérôme Cahuzac affirmant droit dans ses bottes qu'il n'a jamais détenu de comptes offshores ne peuvent juridiquement lui être reprochés. Il pourrait même s'il le désire faire son retour en tant que député au Palais Bourbon.Juridiquement rien ne l'en empêche, le délit de parjure n'existant pas en France. "Jérôme Cahuzac en tant que député a rempli une déclaration sur l'honneur de patrimoine. Il a donc menti sur son compte offshore sous serment. C'est un délit qui peut relever du tribunal correctionnel et qui est passible de trois ans de prison et de 30 000 euros d'amende", note Jérôme Chartier, député UMP du Val d'Oise. Son collègue Thierry Lazaro, député UMP du Nord, veut, lui, aller encore plus loin, en instaurant un délit de parjure à l'américaine. "Dans le légitime souci de moralisation de la vie publique, il convient de ne pas cantonner à la seule sphère juridique le délit de mensonge",déclare-t-il dans un communiqué de presse. Le parjure pour lui d'un homme politique commence dès les plateaux de télévision et devrait se voir sanctionné d'une inéligibilité à vie.

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