Quand Collomb vendait Lyon à la Tunisie de Ben Ali

Durant les Fêtes de fin d'année, la Tunisie n'a pas accueilli que Michèle Alliot-Marie. Le maire de Lyon et d'autres élus de l'agglomération ont passé cinq jours au pays de Ben Ali pour vanter les mérites de Lyon et de ses entreprises au régime tunisien. Durant son voyage officiel, Gérard Collomb a rencontré de nombreux dignitaires du régime Ben Ali.

Le 17 décembre, Gérard Collomb et la délégation de la Ville de Lyon qui l’accompagnait ont posé les pieds dans une Tunisie qui commençait à s’embraser. Le jour de son arrivée en Tunisie, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de fruits et légumes, s'immole par le feu à Sidi Bouzid. Il s’agit de l’acte fondateur de la Révolution de Jasmin. Quand Gérard Collomb quitte le pays le 21 décembre, la situation a empiré. Dans la région de Sidi Bouzid, les manifestations se multiplient. Pendant ces quatre jours, le contexte n’a guère changé le programme de la délégation lyonnaise. “Quand on y était, il n’y avait pas de problèmes”, glisse Évelyne Haguenauer, adjointe en charge de la Mémoire, dont la perspicacité a visiblement été bernée par la censure qui régnait alors au pays de Ben Ali. Parmi les membres de la délégation, d’autres ont perçu les premiers signes de la fronde populaire. “Tout le monde sentait que globalement le pays était inquiet. La situation se tendait. Nous n’avons en revanche vu aucune émeute. À Tunis, on ne sentait rien”, se rappelle Marc Hoffmeister, le directeur de Classe Export.

Une rencontre avec un politique accusé de tortures

Durant ce voyage de quatre jours oscillant entre rendez-vous officiels et plage de repos au soleil, Gérard Collomb a notamment rencontré Abdallah Kallel. Une personnalité importante du système Ben Ali puisqu’il présidait, jusqu’à la fuite du président tunisien, la Chambre des Conseillers, l’équivalent tunisien du Parlement français. Cet homme politique a durant sa carrière politique au sein du régime Ben Ali occupé de nombreux postes clés de l’administration : ministre de la Défense et de l’Intérieur. Il était aussi le trésorier du parti politique de Ben Ali. Des opposants tunisiens ayant trouvé refuge en Europe l’accusent d’avoir ordonné la torture d’opposants lors de son passage au ministère de l’Intérieur.

Un voyage mi-travail mi-farniente

En Tunisie, le sénateur-maire de Lyon a rencontré d'autres dignitaires du régime Ben Ali. Avec la délégation de la CGPME qui l'accompagnait, il s'est entretenu avec Hedi Djilani, le président de l'Utica, une organisation patronale qui a soutenu le régime Ben Ali jusqu'au dernier moment. Accompagné de Bernard Rivalta, le président PS du Sytral, il a aussi essayé de "vendre" à la municipalité de Tunis, le tramway lyonnais. L'objectif de cette délégation était clairement de faire du businness. Un peu de farniente aussi puisque des plages de visites culturelles étaient aussi au programme de la délégation et qu'une journée était off sur les quatre jours du séjour. "C'était un programme un peu plus light que lors d'autres voyages officiels", nous a confirmé la Ville de Lyon.

"Rentabiliser le voyage"

S'il s'agissait d'un voyage officiel, il a fait l'objet d'une publicité très limitée. De nombreux adjoints n'étaient pas au courant du séjour tunisien de Gérard Collomb ni de la composition de la délégation lyonnaise. Dans l'agenda officiel de Gérard Collomb, il n'est nullement fait état de ce déplacement. Ni dans celui des élus lyonnais qui l'ont accompagné. "Comme la presse n'était pas invitée, nous ne l'avons pas fait figurer à l'agenda du maire", nous a expliqué le service presse de la Ville de Lyon. Le programme du voyage s'est lui concocté à la hâte. "J’ai été contacté assez tardivement. Je pense que les organisateurs voulaient rentabiliser le voyage, qu’il serve à des gens", explique un chef d’entreprise lyonnais qui a accompagné le maire de Lyon à Tunis.

Le seul objectif de ce voyage était de faire du business. D'après la Ville de Lyon, il s'agissait de « renforcer la coopération économique » avec la Tunisie. "Je fais régulièrement partie de délégations et les questions de politique internationale ne sont jamais le genre de choses dont on parle. Nous étions en Tunisie pour faire des affaires”, glisse Marc Hoffmeister.

"Nous ne sommes pas des diplomates, nous sommes de simples élus”

Une vision tout à fait raccord avec celle de Gérard Collomb. Invité d’un chat ce mardi sur le site internet de L’Internaute, le maire de Lyon a répondu à la question d’un internaute sur son voyage en Tunisie : “j’essaie que les entrepreneurs lyonnais travaillent dans un certain nombre de pays. Dans quels pays, Dominique (le pseudo del’internaute qui a interpellé Gérard Collomb, ndlr) veut-il que j’aille et dans lesquels veut-il que je n’aille pas. Bientôt, on va se retrouver avec l’Autriche et Lichenstein”. Interrogé sur la situation démocratique de la Tunisie de Ben Ali, le sénateur-maire répond : “les démocraties telles qu’on les imagine en Europe, il y en a assez peu dans le monde. Si nous sommes absents de ces pays, on va se rétrécir (...) Après nous ne sommes pas des diplomates, nous sommes de simples élus”.

Un casting choisi par le Maire

Si Gérard Collomb assume pleinement son voyage, dont il assure que le coût a été entièrement pris en charge par la Ville de Lyon, il n’apparaissait pourtant pas dans l’agenda officiel du maire de Lyon. La composition de la délégation interpelle. Évelyne Haguenauer, adjointe à la Ville en charge de la Mémoire et anciens combattants, était la seule élue du voyage. Les relations internationales et l'économie sont pourtant éloignés de ses prérogatives. “Ma délégation, c’est la Mémoire. Il y a toujours des histoires en rapport”, nous a répondu Évelyne Haguenauer. “C’était le choix du maire”, poursuit-elle. Bernard Rivalta, l'autre élu de la délégation accompagnait Gérard Collomb en qualité de président du Sytral. La ville de Tunis cherche à construire un tramway pour répondre aux difficultés de transports que connaît la capitale tunisienne. Parmi les autres membres de la délégation, on retrouve Caroline Collomb, la femme du sénateur-maire, Fernand Galula (président de la Foncière Cardinal) ou encore Olivier Ginon, le pdg de GL Events qui lorgne sur un centre de congrès à Tunis.

Collomb et les points positifs de Ben Ali

Sur le sujet de la Révolution de Jasmin et le bilan des années Ben Ali, Gérard Collomb adopte une position assez cohérente avec ces actes. Interrogé sur BFM juste après la fuite de Ben Ali, il dressait un bilan contrasté : "il est clair que quand on fait le bilan, il y a un aspect positif, qui date d'ailleurs depuis Bourguiba mais il y a des évolutions qui sont un peu semblables, quelque chose de positif sur effectivement la façon de prendre en compte la jeunesse. En même temps quand on créé une couche moyenne, comme c'était le cas en Tunisie, évidemment il faut répondre à ses aspirations. L'une de ces principales aspirations c'est la liberté". À commencer par la liberté d'entreprendre ?

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