Quand la corruption gangrène le Grand Lyon

Enquête. Un vaste système de corruption semble être organisé et entretenu au sein de la plus importante administration du Grand Lyon : la direction de la propreté. (Article publié dans le numéro de Juin du mensuel Lyon Capitale)

D’après nos informations, le Grand Lyon a ouvert en février 2010 une enquête interne pour détournements de fonds et malversations financières au sein de la direction de la propreté. L’enquête aurait été refermée en toute discrétion au début du mois de mai. Contacté, le Grand Lyon évoque une enquête administrative ouverte pour des problèmes liés au mal-être au travail. Faux. La réponse du Grand Lyon est avant tout l’indice d’un réel embarras dans ce dossier. Car Lyon Capitale a en effet eu accès à des notes et documents qui sont très éloignés de simples comptes-rendus liés au stress au travail, mais qui se rapprochent plutôt de dossiers liés à des affaires de corruption.

Mafia

L’enquête administrative a été déclenchée à partir d’accusations infondées à l’encontre d’un fonctionnaire du Grand Lyon soupçonné de détournements de fonds. Recruté début 2009, le fonctionnaire aurait réussi à détourner, selon les accusations de ses supérieurs, près de 10 millions d’euros en quelques mois. De deux choses l’une, soit c’est une prouesse, soit c’est totalement fantaisiste. Mais dans les deux cas, de tels agissements auraient dû conduire le Grand Lyon à saisir le procureur de la République. S’il ne le fait pas, c’est précisément parce que l’enquête administrative a, en quelques semaines, balayé cette accusation et a blanchi le fonctionnaire. En revanche, les investigations auraient, d’après nos informations, permis de mettre au jour des pratiques douteuses qu’un acteur du dossier n’hésite pas à qualifier de “mafieuses”. Il semble en effet qu’il existe au sein de la direction de la propreté une vaste organisation de corruption généralisée et systématique dont il est impensable qu’elle n’ait pas été portée à la connaissance du plus haut niveau hiérarchique des services du Grand Lyon.

Fausses factures

Il existerait ainsi au sein de la direction de la propreté un système entendu de fausses factures au profit d’entreprises, de surfacturations de certaines prestations au bénéfice de sociétés de collectes de déchets, de bons de commande qui ne correspondent à aucune prestation et d’heures supplémentaires gonflées au profit des agents de la propreté. Nous avons par exemple pu consulter une facture d’un montant de plusieurs centaines de milliers d’euros établie au profit d’une société détentrice de plusieurs marchés publics de la direction de la propreté. Sur cette facture, deux tampons attirent l’attention. Un premier tampon établit un paiement en 2008 et un deuxième indique qu’un autre paiement a été réalisé en 2009. D’une année sur l’autre, c’est la même facture qui a été présentée et le Grand Lyon a payé deux fois la même prestation ! Autre exemple d’anomalies: d’après une note interne que nous avons pu consulter, il semblerait que plusieurs centaines de milliers d’euros ont disparu au sein de la direction de la propreté au profit de la société Sita-Mos sans qu’il n’y ait aucune prestation qui vienne justifier cette ligne comptable déficitaire dans les comptes de la collectivité. Mais les fausses factures ne sont pas les seuls moyens de détourner de l’argent au profit des entreprises. Une autre méthode très connue est celle du truquage des tonnages transportés par les bennes à ordures.

Trucage

Les entreprises facturent au Grand Lyon la collecte de déchets à la tonne. Pour surfacturer la collecte de déchets, il suffit donc aux sociétés de manipuler les poids réellement collectés en apportant à la collecte d’une benne du tonnage supplémentaire. Cette pratique du tonnage truqué avait été mise à l’index par la Chambre Régionale des Comptes dans un rapport d’observations sur la direction de la propreté du Grand Lyon. À l’époque, la Chambre n’était pas parvenue à dépasser le registre du simple constat et remarquait simplement qu’il s’agissait “d’anomalies”. Ainsi, la Chambre des comptes s’était aperçue qu’une entreprise apportait régulièrement des déchets supplémentaires (donc du poids en plus) aux déchets déjà collectés par les bennes qui faisaient leurs tournées normales. “Ces tonnages supplémentaires ne sont pas sans effet sur les tonnages totaux collectés par l’entreprise concernée, qui présentent sur la même période un écart de croissance de plus de 3% par rapport au reste du Grand Lyon, sans que l’évolution démographique ou économique de la zone concernée puisse justifier une telle différence” écrivent les sages de la Chambre avant d’ajouter que “l’entreprise concernée ne se voyait pas réclamer les comptes-rendus périodiques prévus au marché (public, ndlr), pouvait réorganiser ses tournées sans que cela soit formalisé par des ordres de service, et n’était pas contrôlée selon les modalités (fréquence, pénalités) prévues contractuellement”.

Surfacturation

En bref, des entreprises qui font comme bon leur semble et un Grand Lyon qui reste peu regardant sur leurs pratiques mais qui se voit tout de même facturer des prestations et des tonnages fantaisistes. Si la Chambre des comptes fait état d’un cas assez ancien, Lyon Capitale a pu consulter un tableau des tonnages de l’entreprise Sita-Mos sur la période 2009. Entre le poids normal de la de collecte et celle réalisée grâce à la pratique du tonnage, il y a un écart de facturation de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Un agent du Grand Lyon qui témoigne sous couvert d’anonymat indique également qu’il n’est pas rare que des bennes déchargent le poids de leur collecte à 5h30 du matin. “Comment un camion peut-il vider à 5h30 alors que la collecte ne démarre qu’à 6h? Le poids sera quand même facturé au Grand Lyon mais d’où il vient? Certainement pas de la collecte qu’il devait effectuer.” Cela étant, pour que ces pratiques aient cours, il faut pouvoir compter sur la complicité des agents qui sont au bas de l’échelle hiérarchique.

Heures sup’ gonflées

Et c’est là que la corruption à la direction de la propreté prend valeur de système. Car pour compter sur les petites mains, il faut qu’elles y trouvent leur compte justement. Pour ce faire, les heures supplémentaires des agents sont souvent gonflées ce qui leur permet d’arrondir les fins de mois. Ainsi il n’est pas rare qu’un agent écrive pour justifier d’une heure supplémentaire qu’il était au “pot” d’un collègue de travail! Étonnant mais la justification suffit. Reste une question. De quoi bénéficient certains cadres du Grand Lyon en contrepartie des largesses accordées à certaines entreprises. Diverses sources rencontrées dans ce dossier racontent par le menu comment certains fonctionnaires du Grand Lyon profitent de la générosité de certaines entreprises bénéficiaires des marchés publics de la propreté. Voyages, restaurants, location de voitures, vacances aux frais de sociétés qui escomptent en retour un traitement très spécifique de la part de ces fonctionnaires corrompus. Mais les mauvais habitudes de ces agents ne se limitent pas seulement aux rapports qu’ils entretiennent avec les sociétés. Ainsi, d’après le récit identique de plusieurs sources différentes, Monsieur Georges M., un responsable de subdivision toujours en activité à la direction de la propreté, aurait fait travailler des agents du Grand Lyon pour faire des travaux à son domicile, une villa à Dardilly. Un des agents, Hervé M., s’y serait blessé et aurait été mis en accident du travail. À l’époque, une enquête administrative a eu lieu et la direction des ressources humaines s’était saisie de l’affaire sans néanmoins prendre de sanctions. Le linge sale se lave en famille. Les petits travaux aux domiciles des agents du Grand Lyon semblent pourtant être une caractéristique de la maison. Un ancien directeur administratif se rappelle “d’un directeur logistique et bâtiment qui était connu pour s’être fait construire sa villa. D’autres se sont fait construire leur piscine!”.

Quelle suite?

Un chef d’entreprise lyonnais de premier plan expliquait que si les brebis galeuses existent de partout, cette dérive peut être favorisée: “À Lyon, la classe politique a été marquée et traumatisée par les affaires Noir-Botton. Du coup, personne ne veut plus entendre parler des ces pratiques et ils ferment tous les yeux. Mais si, en fermant les yeux, les politiques ne se sentent pas concernés, ils ne règlent pas le problème pour autant. Ils le déplacent. Car du coup, ça magouille en dessous, dans les étages, au niveau des services des administrations”. Lors de notre enquête, un fonctionnaire s’est même étonné que nous travaillions uniquement sur la direction de la propreté: “Mais c’est pareil à la voirie, à la direction de l’eau...” Pour ce qui concerne la propreté, une enquête administrative a mis à jour des pratiques délictueuses et il est difficile d’imaginer que les responsables politiques de l’agglomération ne s’en soient jamais rendu compte. Des sources proches de l’enquête administrative nous ont affirmé que le vice-président à la propreté, Thierry Philip, était parfaitement au courant de ce dossier. Reste à savoir s’il compte enterrer l’affaire ou s’il entend bien faire toute la lumière sur de tels agissements.

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