“Grand débat” à Grigny, le 17 janvier 2019 © Antoine Merlet
“Grand débat” à Grigny, le 17 janvier 2019 © Antoine Merlet

RIC, tirage au sort… La fin de la démocratie représentative ?

Des ronds-points des Gilets jaunes est remontée une envie de démocratie plus directe. D’un peuple qui veut reprendre le pouvoir par voie référendaire. Le mouvement qui a changé le visage du quinquennat d’Emmanuel Macron ne croit plus en ses élus. Après des années d’abstention, la défiance et l’impopularité grandissante des politiques, les Gilets jaunes font trembler la démocratie représentative à la française.

Sur leurs ronds-points, ils ont crié leur colère. Ils l’ont griffonnée sur les pages des cahiers de doléances ouverts dans les mairies. Ils l’ânonnent dans les réunions du “grand débat national”. Autant que le pouvoir d’achat, ils réclament une nouvelle démocratie, laissant déborder leur rejet des élus et des élites en tout genre. Dans les réunions publiques, ils sont nombreux à réclamer la suppression du Sénat, d’un poste de député sur deux. Ils veulent aussi diviser les salaires des élus par deux. “Vous pourriez faire le même boulot avec moins. En Allemagne, les députés touchent 3 500 euros par mois”, tance Patrice, un Gilet jaune de Mornant, où il est surtout connu pour être un fan inconditionnel de Johnny Halliday. Au débat public de Grigny, il milite pour des élections à la proportionnelle intégrale. Il souhaite aussi l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (le fameux RIC) pour “court-circuiter les politiques” et qu’ils “s’inclinent devant le pouvoir souverain du peuple”. Applaudissements dans la salle. Avec des nuances, ce sont des revendications récurrentes dans un mouvement parti sur le pouvoir d’achat qui a bifurqué vers des aspirations institutionnelles. Elles décrivent toutes la crise de la démocratie représentative.

Méfiance

“Nous étions habitués à la mesurer par l’abstention. Nous sentions le système à bout de souffle. La mobilisation des Gilets jaunes et la violence de ce mouvement lui donnent une autre ampleur. Emmanuel Macron et sa majorité ont été bien élus il y a seulement dix-huit mois. Depuis trois mandats, nous constatons que la légitimité des présidents de la République s’épuise dans des proportions toujours plus grandes”, note avec inquiétude Renaud Payre, le directeur de Sciences Po Lyon. L’étude annuelle du Cévipof qui prend la température de la confiance que les Français placent en leurs élus est édifiante. Chaque année, elle livre des conclusions toujours plus alarmantes, à l’exception de l’édition 2017 dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron. 70 % des Français estiment ainsi que la démocratie ne fonctionne pas correctement (18 % de hausse en un an). Ils sont 85 % à estimer que les responsables politiques se désintéressent de l’opinion de leurs administrés. Pour Renaud Payre, les Gilets jaunes dans leur organisation soulignent aussi la crise de la démocratie représentative : “Ce mouvement ne veut lui-même pas être représenté. Ils ont une méfiance quant aux porte-parole. C’est pour cette raison que des outils comme le RIC les séduisent. Les démocraties occidentales sont attachées à la représentativité mais se heurtent à une telle homogénéisation de leurs représentants qu’ils sont coupés des citoyens et donc remis en cause. Certains appellent ça le populisme.”

En lançant le Grand Débat national, dont l’un des thèmes porte justement sur l’organisation de la vie démocratique, Emmanuel Macron a fait un pas en direction des Gilets jaunes. “Notre système politique est à bout de souffle. Nous sommes dans une période difficile où il faut des solutions audacieuses, prévient le chercheur du Cévipof Yves Sintomer, spécialiste du tirage au sort citoyen. Il y a plus de risque à prolonger le statu quo qu’à innover.” Les premiers éléments de réponse tomberont dans deux mois, à la fin du Grand Débat.


[Article publié dans Lyon Capitale n°785 – Février 2019]

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