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Sept raisons pour cumuler les mandats en toute mauvaise foi

Tous les cumulards ont une excuse pour additionner les mandats. Best of des justifications… qui sont aussi souvent des reniements. Tour d'horizon.

Cumuler deux mandats ou plus, il y a ceux qui ont toujours assumé et revendiqué. Et il y a ceux qui ont été contre, parfois farouchement, avant de succomber. Tous, à droite comme à gauche, se rejoignent sur un point : s'ils le font, c'est pour la bonne cause et ce n'est jamais, bien sûr, pour cumuler davantage de pouvoir et d'argent. Encore moins pour empêcher les jeunes pousses de leur parti de prendre leur place.
Rue89 vous propose un florilège des justifications à travers quelques grandes figures qui savent comment optimiser à leur profit le système politique français. Une sorte de vademecum qui sera utile à ceux que le remaniement approchant obligera à renier des promesses d'investissement local exclusif…

1. « Il peut y avoir des circonstances exceptionnelles » (Juppé)

« Je resterais maire de Bordeaux si j'avais d'autres responsabilités. » La déclaration est signée Alain Juppé, qui était interrogé mardi lors d'une conférence de presse sur son éventuelle entrée au gouvernement. L'ex-Premier ministre avait pourtant seriné l'inverse lors de la campagne des municipales de mars 2008 : « Je me consacrerai à gérer ma ville, quels que soient les chants des sirènes. » Mais, aujourd'hui, pour le bien du pays, il accepterait de se renier : « J'ai dit le contraire, c'est vrai, mais il peut y avoir des circonstances exceptionnelles. Si des circonstances nationales faisaient que le président de la République avait besoin d'un certain nombre de responsables politiques, ça changerait la donne. »

L'édile UMP confirme le lendemain sur LCP qu'« il y a des circonstances où il faut faire passer parfois son intérêt personnel derrière l'intérêt général ». Les circonstances étaient-elles déjà exceptionnelles en avril 2009 quand il faisait ses premiers appels du pied pour revenir au gouvernement ?

2. « Pour résister à l'absolutisme sarkozyste » (Montebourg)

Longtemps chantre du mandat unique, l'avocat de profession et député socialiste depuis 1997 a cédé à la tentation du cumul fin 2007. Dans une lettre adressée aux habitants de Saône-et-Loire, il fait part de son intention de se présenter aux élections cantonales de 2008. Long argumentaire à l'appui : « Il s'agit de ma part d'un choix lié à la situation du pays, aux graves bouleversements qui se préparent. […] Cette candidature est d'abord un acte de résistance à la montée de l'absolutisme sarkozyste.
En 2012, la gauche aura été pendant dix longues années dans l'opposition. […] Pour ma part, j'aurai 49 ans et accumulé quinze années de vie publique, après huit années de vie professionnelle. On me demandera alors des preuves de ce que j'aurai fait et concrètement assumé. Il ne sera pas possible d'avoir exclusivement vécu dans l'exercice tribunicien pur, au sein d'une Assemblée nationale émasculée par le sarkozysme. »

Pari réussi quelques mois plus tard : il remporte à la fois un poste de conseiller général et la présidence de l'assemblée départementale. Il a depuis plusieurs fois hésité à lâcher un des deux mandats, mais semble finalement attendre l'application de la règle de non-cumul, adoptée en octobre 2009 par les militants socialistes.

3. Pour aller à Paris et être « plus près des Niçois » (Estrosi)

Nous sommes le 13 mars 2008, entre les deux tours des élections municipales. Christian Estrosi est en meeting à Nice. Le secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer brigue la mairie de la cinquième ville de France : « Je consacrerai l'essentiel de mon énergie à ma seule ville de Nice, si jamais les Niçois me confient l'administration de leur ville pour les six ans qui viennent. Je démissionnerai immédiatement du gouvernement. […] Je ne reviendrai pas sur ce choix. C'est mon choix et je m'y tiendrai. » Aussitôt élu, il s'exécute… tout en devenant par ailleurs président du conseil général des Alpes-Maritimes et président de la communauté urbaine Nice-Côte-d'Azur. Trois mandats certes, mais au moins il respecte encore son « choix » de s'ancrer localement.

C'était croire un peu trop vite la maxime qui orne la page d'accueil de son site Internet : « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. » Premier coup de canif au contrat passé avec ses administrés : il retourne à l'Assemblée nationale, en se faisant élire député le 25 mai 2008. Puis il discrédite totalement sa parole donnée un an auparavant : tout en conservant ses fonctions à la mairie de Nice et à la présidence de la communauté urbaine, il est nommé ministre de l'Industrie le 23 juin 2009.

Ne pas attendre toutefois du nouveau ministre une quelconque gêne. Interrogé au lendemain de sa nomination, Christian Estrosi ne craint pas d'affirmer sur LCI : « Je ne délaisse pas les Niçois, je suis plus près d'eux que jamais je ne l'ai été. » Et d'expliquer dans Métro qu'il revient dans le gouvernement pour peser de tout son poids de ministre afin de favoriser sa ville : « Je serai plus efficace maintenant. Nous ferons un bond en avant. Je pense à la LGV [Ligne à grande vitesse, ndlr], mais aussi à la ligne de 225.000 volts enterrée, qui dépend directement de moi… On n'est jamais si bien servi que par soi-même ! »

4. Pour ne pas « affaiblir les Verts » (Voynet)

« Montreuil mérite un maire à temps plein », affirme Dominique Voynet, lors de la campagne des municipales de mars 2008. Mais une fois le communiste Jean-Pierre Brard battu, la déjà sénatrice demande du « temps » avant de décider quel mandat elle va abandonner. L'embarras pointe au sein du parti écolo, dont les statuts n'autorisent pas le cumul des mandats. Cécile Duflot, secrétaire nationale, prévient alors : « Elle a un mois pour se décider. »

Le mois n'est pas passé que l'intéressée, invitée du Grand Jury de RTL, annonce qu'elle a décidé de… cumuler ! Dans l'intérêt de sa formation politique bien sûr : « Le cumul, ce n'est pas bien, mais j'assume cet inconfort, parce que […] si je suis en règle avec mes convictions, j'affaiblis la représentation des Verts au Sénat […] et j'affaiblis aussi probablement la position de ma ville. » A Montreuil comme au Sénat, elle dit craindre qu'un socialiste ne s'empare du fauteuil laissé vacant. Au risque d'agacer la direction des Verts. Mais celle-ci opte finalement pour la même inertie : ni exclusion ni modification des statuts n'interviendront. D'autant qu'un autre célèbre écolo cumulait déjà : Noël Mamère, député-maire de Bègles.

5. Parce qu'il faut bien « investir les meilleurs » (Collomb)

S'il est un socialiste qui veut repousser le plus tard possible, voire euthanasier, l'application de la règle de non-cumul, adoptée en octobre 2009 par les militants du parti, c'est Gérard Collomb. En matière de cumul, le maire de Lyon peut en remontrer à ses petits camarades : il est également sénateur et président de la communauté urbaine du Grand Lyon, l'une des plus importantes de France. Lui, s'il cumule, c'est par faute de combattants valables dans son camp. Août 2009, en toute modestie, il n'hésite pas à lancer au Point.fr : « Si on ne veut pas que je me représente à Lyon, qu'on me trouve un candidat ! »

Autre argument : les sénatoriales de 2011 et la chance historique qui se profile de faire basculer le Sénat à gauche. Gérard Collomb et avec lui nombre de sénateurs socialistes estiment que le non-cumul des mandats fera perdre des élus locaux au PS. Les élus locaux qui sont justement les grands électeurs aux sénatoriales. Alors, il martèle, toujours sur LePoint.fr : « Nous sommes pour la suppression du cumul des mandats, mais par une loi générale en 2012. Nous ne pouvons pas nous priver de la possibilité de gagner le Sénat. Nous avons expliqué à Martine Aubry que cela allait se jouer à quelques voix. Il faut investir les meilleurs candidats. »

D'abord inflexible, la première secrétaire s'est finalement résolue, au mois de juin, à laisser un sursis aux sénateurs cumulards, jusqu'aux prochaines sénatoriales de 2014 : « J'ai été sensible aux situations de certains sénateurs qui m'ont fait part de leurs difficultés à choisir leur successeur à la tête d'un exécutif dans les délais prévus. »

6. Parce qu'il faut prévoir comment « recaser les élus » (Fabius)

Lui aussi « pense que c'est pertinent » de mettre fin au cumul des mandats, comme l'ont voté les militants socialistes en octobre 2009. Reste que Laurent Fabius est toujours député de la Seine-Maritime, premier adjoint au maire du Grand-Quevilly et président de la communauté d'agglomération rouennaise. Et n'est pas pressé de voir cette règle s'appliquer. A l'occasion de l'université d'été du PS à La Rochelle en 2009, il réclamait déjà, en échange d'un soutien inconditionnel à cette mesure, « qu'on organise un parcours de l'élu et créer des DRH des élus », pour que ceux qui ne le seraient plus -ou moins- puissent trouver une autre fonction dans le public ou le privé.

La volonté de l'ancien Premier ministre n'a toujours pas été satisfaite. Mais il reconnaît que pour qu'elle le soit, il faudrait que la fin du cumul des mandats soit généralisée et non pas circonscrite au seul Parti socialiste : « L'idéal, ce serait qu'il y ait une loi pour tous les partis politiques, mais pour l'instant il n'y a pas de loi, donc nous allons devoir montrer l'exemple, si je puis dire… »

7. Pour éviter « un corps de législateurs (…) du droit » (Sarkozy)

Comme nombre d'élus de son camp, Nicolas Sarkozy a toujours été pour le cumul des mandats. Le chef de l'Etat l'a encore répété le 14 janvier, à l'occasion de l'adresse de ses voeux au monde rural dans l'Orne. Pourquoi lors de ce discours ? Parce que le chef de l'Etat craint que, « sans enracinement territorial », les parlementaires ne deviennent que des « législateurs spécialisés » : « Je suis assez réticent sur la question du mandat unique […] parce que je ne voudrais pas que se crée en France un corps de législateurs spécialisés. Mon dieu, dans ce cas, on ne serait déçu. […] S'ils n'avaient que la loi à voter tous les jours, sans enracinement territorial, vous auriez un corps de législateurs spécialistes du droit de l'urbanisme et du droit tout court, mais totalement déconnecté des réalités départementales, et un corps territorial d'un autre côté. »

Nicolas Sarkozy a su donner corps à ses paroles lorsqu'il n'était pas encore président de la République, lui qui a notamment cumulé quatorze ans durant, de 1988 à 2002, les fonctions de maire de Neuilly et de député des Hauts-de-Seine.

Julien Martin

Retrouver les vidéos de leurs interviews sur l'article de Rue 89.

Lire aussi : "Le PS lyonnais face au cumul des mandats"

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