Taxe professionnelle : la fronde des élus rhônalpins

Elus à Grenoble, Lyon ou Saint-Etienne, ils ne décolèrent pas devant une réforme de nature à désindustrialiser les territoires et à augmenter au final l'impôt des ménages.

"Une connerie sans nom. C'est la pire décision qu'ait prise ce gouvernement !". Ce n'est pas la taxe carbone ou le bouclier fiscal qui provoque l'ire de Gérard Collomb mais la réforme de la taxe professionnelle (TP). Un projet pourtant passé relativement inaperçu jusqu'au coup de colère du maire de Bordeaux, Alain Juppé, mercredi dernier dans Sud-Ouest qui trouve que dans cette affaire Nicolas Sarkozy "se foutait du monde" - il s'est par la suite excusé de l'avoir offensé.

L'enfer est pavé de bonnes intentions. La réforme de la TP aussi. Cet impôt qui frappe les entreprises a longtemps été perçu comme un frein à l'emploi et un booster de délocalisations. Créé en 1975, il reposait en effet sur les salaires - volet supprimé en 2003 - et sur la valeur locative des immeubles et autres immobilisations (machines, ordinateurs, etc). C'est ainsi que pour chaque investissement réalisé, l'entreprise payait un surcroît de TP. Dans son plan de relance, le gouvernement avait déjà décidé d'exonérer de TP jusqu'au 1er janvier 2010 tous les nouveaux investissements industriels. Avant que le Président Sarkozy n'annonce, le 5 février 2009, que "l'on supprimera la taxe professionnelle en 2010 parce que (il veut) que l'on garde des usines en France".

3 milliards de moins pour le Grand Lyon sur 20 ans

Afin de compenser le manque à gagner, la TP devrait être remplacée par une "contribution économique territoriale" assise sur les valeurs locatives foncières des entreprises - comme aujourd'hui - et sur la valeur ajoutée, calculée à partir de leur chiffre d'affaires. En l'état actuel du texte, cette dernière serait affectée aux seuls départements et régions. Les agglomérations qui bénéficient de la TP devraient se contenter du prélèvement foncier déjà compris dans la taxe actuelle ainsi que d'une part plus importante de la taxe d'habitation et de la taxe foncière. Surtout, elles recevraient une compensation de l'Etat mais qui évoluerait à un rythme très encadré. C'est cela qui affolent les élus. "A long terme, cette compensation doit disparaître. Cette réforme va étrangler chaque année un peu plus les métropoles", s'inquiète Pierre-Alain Muet, député PS du Rhône.

Gérard Collomb a sorti sa calculette. Le Grand-Lyon verrait disparaître 32% de ses recettes fiscales. Et après la compensation, l'agglomération continuerait à perdre 11 millions d'euros dès la 2e année, 800 millions sur dix ans et trois milliards sur vingt ans. Avec ce nouveau calcul , "seules les villes à touristes et retraités y gagnent", peste l'édile.

"De belles marinas au port Edouard-Herriot"

En tous cas, ce mistigri fiscal aurait un effet immédiat : renforcer la source ménage des ressources fiscales des agglomérations au détriment des entreprises. Dès lors, quel intérêt à l'avenir pour un maire ou président d'agglomération d'accueillir sur son territoire une usine - avec son cortège de camions et de pollution - si ce n'est pas pour en tirer un avantage financier ?

"Si cette réforme passe, j'aurais plus intérêt à faire de belles marinas au port Edouard-Herriot", grince Gérard Collomb. Et de poursuivre sur l'exemple de la vallée de la chimie où Total vient de réinvestir. "Solaize, Feyzin ou Pierre-Bénite l'acceptaient parce que le Grand-Lyon leur reversait une part de TP. Mais est-ce que ce sera le cas demain ? Au moment du drame d'AZF, il y a eu un grand mouvement de maires pour exclure la chimie des villes. Ce n'était pas ma position mais celle-ci sera plus difficile à tenir. J'ai déjà du mal à faire accepter la présence d'activités un peu nuisantes...".

Le maire de Lyon évoque aussi le cas des établissements de logistique, dont les poids-lourds sont très peu prisés par les riverains. "Plus personne n'en voudra et pourtant, c'est nécessaire pour alimenter l'agglomération", maugrée-t-il. "Dans les villes, on ne peut avoir que des musées et des activités tertiaires". Sa conclusion tombe : "cette mesure va désindustrialiser les territoires".

CE QU'ILS EN PENSENT :

Maurice Vincent, président PS de Saint-Etienne métropole
"Pour nous, la double peine"
"Les agglomérations qui ont des activités industrielles auront moins d'intérêt à les conserver. Il faut voir que certains sites ont des conséquences lourdes pour les communes, en termes de circulation de camions et de pollution, même si la plupart sont situées en périphérie des villes. C'est pour nous la double peine : on perd de l'argent provenant des entreprises mais on ne va pas en gagner en provenance des ménages car les populations sont ici modestes avec des bases fiscales moindres. A Saint-Etienne, on risque de perdre plusieurs millions d'euros".

Didier Migaud, président PS de Grenoble Alpes métropole
"Ce n'est pas acceptable"
"Je comprends bien les réactions de Collomb et de Juppé : cette réforme est injuste et économiquement aberrante. La transformation d'une ressource fiscale en dotation budgétaire a des conséquences fortes, car cette dernière risque d'évoluer très modestement au fil des années. Du coup, on redoute un transfert de cette charge vers les ménages. Ce n'est pas acceptable. A la commission des finances de l'Assemblée, on est favorable à ce que les agglomérations perçoivent une part de la contribution sur la valeur ajoutée. On fera le maximum pour que ça change".

Pierre-Alain Muet, député PS du Rhône
"Une connerie"
"Cette réforme part d'une bonne idée : taxer la valeur ajoutée et non plus seulement les investissements. Mais au final, c'est une connerie, une réforme complètement improvisée. Elle conduit à une spécialisation : les impôts sur la valeur ajoutée aux régions et départements, et ceux qui pèsent sur les ménages aux agglomérations. Or ce qui est important pour une collectivité, c'est d'avoir un panier d'impôts et de maîtriser leur taux. Avec ce texte, elles aménageraient des espaces pour entreprises mais sans en percevoir des bénéfices. Du coup, les communautés urbaines vont se désintéresser du développement économique".

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