Michèle Rivasi © Tim Douet
Michèle Rivasi © Tim Douet

“D’autres scandales du Mediator sont possibles” (Michèle Rivasi)

Tribune libre - “Il y a urgence à réformer notre politique du médicament”, explique dans cette tribune libre la députée européenne (EELV) Michèle Rivasi*.

“Neuf ans après le cri d’alarme d’Irène Frachon (“des gens se noient devant moi, personne ne les voit sauf moi et cela fait trente ans”) dénonçant le scandale du Mediator, le procès pénal tant attendu par les victimes s’ouvre enfin.

Ce procès est celui de la reconnaissance des responsabilités de ceux pour qui la vie humaine passe après la quête de profit. Comment ce groupe pharmaco-délinquant qu’est Servier peut-il continuer à être reçu par les autorités sanitaires, à vendre des produits alors qu’ils ont du sang sur les mains ?

Ce procès est celui aussi de l’incapacité des institutions (sanitaires, en l’occurrence) à nous protéger. Quels dysfonctionnements systémiques dans la chaîne de décision a rendu possible la commercialisation de ce médicament en France, des années après les premières alertes et bien après son interdiction dans plusieurs pays ?

Je me suis mobilisée dès le début pour dénoncer ce crime industriel et pour soutenir mon amie Irène Frachon dans son combat de lanceuse d’alerte. Dès 2011, avec Eva Joly, j’ai saisi l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) pour faire la lumière sur les conflits d'intérêts entre les autorités sanitaires européennes et le laboratoire Servier dans l'affaire du Mediator. En 2012, je me suis battue pour obtenir une modification de la législation “pharmacovigilance” européenne afin de mieux suivre les effets indésirables des médicaments à l’échelle européenne.

Certes, en dix ans, les agences sanitaires infiltrées par les pharmaco-délinquants ont été refondées. La loi Bertrand de 2011 a permis de limiter les situations de conflits d’intérêts des experts de santé publique ainsi que le nombre de visiteurs médicaux tout en imposant la transparence des cadeaux faits par les laboratoires. Toutefois, cette loi comporte des carences, comme le fait qu’il y a toujours une absence de transparence des instances et des process de fixation du prix et de mise sur le marché du médicament. De même, nous avons toujours des experts confortablement rétribués par l’industrie pharmaceutique sans que cela pose de problèmes, avec des experts en santé publique quasi bénévoles.

Cependant d’autres scandales sanitaires sont possibles, car notre système sanitaire comporte des failles persistantes dans le contrôle et la sécurité des médicaments. Le diagnostic posé par François Autain dans son rapport parlementaire “Médicaments : restaurer la confiance” en 2006 est toujours d’une vérité criante : “La dépendance de notre politique du médicament à l’égard de l’industrie pharmaceutique, la complexité du processus de décision de mise sur le marché du médicament, l’architecture organisationnelle éclatée qui nuit à sa cohérence et à son efficacité, l’opacité de fonctionnement des agences sanitaires et l’insuffisance des moyens dont elles disposent” nous conduit à d’autres scandales sanitaires.

Il faut réformer la politique du médicament pour éviter d’autres scandales du Mediator et d’autres victimes innocentes. Cela passe par :

– le renforcement de la prévention des conflits d’intérêts. Il faut muscler notre législation en s’appuyant sur l’exemple canadien de prohibition des portes tournantes public/privé ou privé/public, avec l’instauration d’un délai de carence de 5 ans pour les ministres, hauts fonctionnaires, élus… Il faut aussi prohiber tout contrat de consultance avec l’industrie pharmaceutique pour les médecins hospitaliers et les professeurs des universités. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) devrait voir ses missions être élargies au contrôle et à la prévention des conflits d’intérêts des dirigeants des grandes agences sanitaires qui contrôlent la politique de santé publique ;

– la création d’un pôle d’expertise indépendant pour une juste évaluation de la balance bénéfices/risques des produits de santé. Pour contrôler et contenir ce Léviathan qu’est Big Pharma, il faut toiletter nos agences et organismes publics de santé et responsabiliser les experts en leur faisant signer leurs évaluations. Il faut aussi revoir le contrôle des essais cliniques, souvent biaisés par de subtils stratagèmes par les laboratoires qui les financent. Enfin, il faut garantir l’indépendance de l’expertise et des systèmes de sécurité du médicament en créant un corps d’experts de haut niveau indépendants de tout lien avec les firmes pharmaceutiques en percevant une rémunération suffisante pour éviter toute tentation vénale. Il faut reprendre la loi Blandin de 2013, qui prévoyait dans sa version initiale la création d’une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé ;

– le renforcement du suivi des médicaments et de la pharmacovigilance. Depuis le scandale du Mediator, à la demande des écologistes, la législation européenne a évolué pour obliger le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché à informer les autorités des raisons qui l’amènent à retirer un médicament du marché européen. Par ailleurs, un plan d’urgence européen est prévu si un État émet des raisons d’inquiétude sur l’évaluation des données de pharmacovigilance. De même, en France, depuis le Mediator et la loi Bertrand, les patients peuvent eux-mêmes déclarer des effets indésirables sur le site de l’ANSM, mais qui le sait ? L’affaire du Levothyrox a montré que notre système de pharmacovigilance est défaillant. L’alerte a mis des mois avant d’être prise en compte par les autorités sanitaires, qui, une fois alertées, ont joué le couplet du déni et du mépris des victimes avec la théorie de l’effet nocebo.

Que faire alors ? Il est nécessaire de créer une instance identifiée au sein de l’ANSM chargée de compiler toutes les informations relatives aux essais cliniques et aux effets secondaires des médicaments. Il faut aussi garantir l’accès public à tous les dossiers dont disposent les laboratoires. Cela nécessite d’assouplir la législation relative à la propriété intellectuelle et au secret des affaires quand cela touche à la santé et au vivant.

Les Belges ont inventé un système original de financement de leur système de pharmacovigilance via une taxe de quelques centièmes de centime par boîte vendue. Les Allemands aussi ont une législation qui devrait nous inspirer : ils rendent obligatoire la publication des essais cliniques antérieurs à la mise sur le marché du médicament remboursé.

Pour éviter d’autres drames comme celui du Mediator, des moyens d’action existent. Cela nécessite de la volonté politique pour nous affranchir de l’emprise du lobby pharmaceutique.”


* Michèle Rivasi est agrégée et diplômée de l’École normale supérieure en biologie. Elle a cosigné l’ouvrage Le Racket des laboratoires pharmaceutiques – et comment en sortir (éditions Les Petits Matins, 2015).
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