Le collectif des Morts sans toi(t) accompagne les défunts isolés. (@NC)

A Lyon, le collectif des Morts sans toi(t) mobilisé pour que "personne ne parte seul"

Le collectif des Morts sans toi(t) a fêté ses 20 ans en octobre. Né de la canicule de 2003, il "accompagne" les défunts sans proche et/ou sans toit, en "frères et sœurs d'humanité".

Alors qu'elle s'apprête à pénétrer dans la chambre funéraire avant la levée du corps, ainsi qu'elle le fait une centaine de fois par an, Mina Hajri se retourne : "Tu ne crains pas ?", nous lance-t-elle. Elle, ne craint plus. Surtout, son exigence pour offrir des funérailles dignes à ceux qu'elle nomme affectueusement ses "frères et sœurs d'humanité" est plus importante que tout. Ce jour-là, le corps du défunt est en bon état et vêtu d'une blouse propre. "Il est mort à l'hôpital, c'est l'avantage", explique la bénévole, avant néanmoins de relever que sa bouche est restée ouverte. "Je me suis battue pour qu'on leur fasse systématiquement une toilette, avant ce n'était pas le cas. Et tout n'est pas encore parfait", déplore Mina.

Accompagner le défunt pour qu'il "parte dignement"

Arrivée ce mardi avec quelques minutes de retard sur l'horaire prévu "à cause du tramway", la bénévole salue les employés du pôle funéraire public de Lyon, avenue Berthelot. Tous la connaissent ici, et tous semblent savoir l'exigence de cette combattante pour la dignité qui a "pris un après-midi de congé pour être là", nous raconte-t-elle. Vivace, souriante et déterminée, l'ancienne adjointe au funéraire de Gérard Collomb se bat depuis 2008 au sein du collectif des Morts sans toi(t), né de la canicule de 2003, "pour que personne ne parte seul", dit-elle. "Je me suis dis 'nous on est dans les bureaux et on décide, mais on ne sait pas ce qu'il se passe sur le terrain." Mina est la seule bénévole à se rendre à la chambre funéraire pour chaque "accompagnement". "Je viens pour vérifier qu'ils partent dignement", lance-t-elle. Pris en charge par la Ville de Lyon, les enterrements des personnes seules, sans toit, sont assurés avec le strict minimum, et les conditions de décès du défunt rendent parfois la vue du corps difficilement supportable.

Les bénévoles posent ensemble leurs mains sur le cercueil avant l'inhumation. (@DR)

Le cercueil de l'homme accompagné ce jour-là n'est d'ailleurs pas verni, ce qui ne manque pas de contrarier Mina. "J'avais dit que je ne viendrais pas, et comme par hasard, il n'est pas verni", déplore-t-elle. Le défunt accompagné est né à Hô Chi Minh-Ville (anciennement Saigon) au Viêtnam, mais son acte de naissance a été édité le 4 novembre 1949 à Nantes. Décédé à 73 ans le 24 septembre à l'hôpital des Massues dans le 5e arrondissement, il n'est enterré qu'un mois et demi plus tard. "Il est indiqué qu'il a quatre enfants, tous injoignables. Mais le temps de tous tenter de les contacter, cela prend du temps", explique Mina. Sa dernière adresse connue est une résidence autonomie pour personnes âgées à Saint-Fons que la bénévole a contactée pour obtenir quelques informations. L'homme était visiblement un solitaire et avait quitté une précédente résidence dans laquelle son comportement semblait poser problème. "On ne sait pas quelle a été sa vie cabossée", résume Mina.

Une première stratégie funéraire pour la Ville de Lyon
En octobre, la Ville de Lyon a annoncé se doter pour la première fois d'une stratégie funéraire établie sur trois ans. Outre la mise en place d'une tarification sociale dont les contours restent à définir, la création d'un nouvel ossuaire au cimetière de Loyasse et la rénovation des fours crématorium de la Guillotière, l'exécutif écologiste va attribuer une enveloppe de plus de 20 000 € supplémentaire pour "assurer la dignité des funérailles pour les personnes dépourvues de ressources et/ou mortes à la rue".

À la recherche d'amis, de familles, de proches

L'ancienne élue du 9e arrondissement tente toujours d'obtenir des informations sur le défunt pour retrouver un proche, un ami, de la famille. "Quand c'est un sans-abri, il faut aller dans les squats, raconte-t-elle. Parfois les gens se demandent si je suis journaliste ou flic." Si les défunts sont régulièrement enterrés uniquement en présence de bénévoles, il arrive que la famille réapparaisse. Un homme de 70 ans né en Tunisie et décédé à l'hôpital Saint-Joseph Saint-Luc a ainsi pu être rapatrié au pays auprès de sa mère, à qui il n'avait plus donné de nouvelles depuis des années. Parfois, les tombes ornées d'une simple gerbe du collectif, payée par la Ville de Lyon, fleurissent à postériori, entretenu par un proche pris de remords. Le collectif publie ainsi des comptes-rendus sur les réseaux sociaux "au cas-où", explique Mina.

La Ville de Lyon paye une concession de cinq ans au défunts. (@NC)

Parfois même, des proches se rendent directement à l'enterrement. C'est la raison pour laquelle la bénévole tient à bien respecter les horaires prévus. "On ne sait jamais si quelqu'un se pointe", lâche-t-elle. Ce mardi, cinq femmes membres du collectif sont présentes au cimetière de la Guillotière pour accompagner cet homme, dont la Ville paye la concession pour une durée de cinq ans. Passé ce délai, il sera transféré vers l'un des ossuaires de la capitale des Gaules. Par humanité ou par croyance, les bénévoles se tiennent aux côtés de cette centaine de femmes et d'hommes qui partiraient chaque année dans l'indifférence sans leur soutien. "Il nous est arrivé d'enterrer des Monsieur X ou Madame Y, c'est dur, soupire Mina. Et de conclure : Tu te dis que quelqu'un, quelque part, le cherche."

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