Depuis quelques semaines, les relations entre les instances nationales de football et le club de Monaco se sont envenimées sur la question de la fiscalité et la nouvelle règle imposée par la Ligue de football professionnel de l'installation des sièges sociaux de tous les clubs du championnat en France.
Jusque là, le débat sur les privilèges fiscaux du club de football de Monaco vivait au rythme de ses résultats sportifs. Sans jamais être tranché. Mais la donne a changé : depuis 2011, le club monégasque est aux mains d’un riche milliardaire russe, Dmitry Rybolovlev (photo), 110e fortune mondiale (selon le magazine Forbes) et son équipe, première de Ligue 2, s’apprête à retrouver, à la fin de la saison, l’élite du championnat français. Face aux craintes de concurrence déloyale, souvent invoquée, la Ligue de football professionnel (LFP) a, cette fois, décidé de trancher. En mars dernier, elle a fait voter une nouvelle règle pour obliger tous les clubs disputant le championnat français à installer leur siège sociaux en France, d’ici le 1er juin 2014.
Mais le bras de fer est loin d’être gagné. Car l’obligation faite par la LFP se heurte au droit communautaire. Aux articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne précisément."Ces articles posent comme principe la liberté d’établissement des personnes physiques et morales au sein de l’Union", explique David Antoine, avocat au barreau de Nice, spécialiste du droit des affaires et du droit du sport. Une entreprise peut donc s’installer où elle veut…
"Un club français doit payer 40% de plus pour un joueur"
La LFP a donc fait fi de la règle communautaire au nom de l’équité fiscale. "Il est impératif pour l’équité des championnats français que l’ensemble des clubs participants soient soumis au même régime fiscal et social" a-t-elle résumé dans son rapport. Dans la ligne de mire de la LFP : Monaco. Car les privilèges fiscaux dont le club du rocher bénéficie sont considérables. Si les joueurs français doivent s’acquitter de l’impôt, les joueurs étrangers eux, sont carrément exonérés.
Mieux encore : depuis le fameux arrêt Bosman, entré en vigueur en 1995, le club de la principauté peut attirer autant de joueurs étrangers qu’il le souhaite puisque la limite imposée des trois joueurs étrangers par équipe a été supprimée."Quand l’ASM doit verser dix millions pour un joueur, un club français doit tout simplement payer 40 % de plus", résume David Antoine. D’où l’inquiétude de certaines formations françaises de voir en Monaco un nouveau rival trop riche et trop fort, à l’instar du PSG, compromettant leurs chances de jouer les deux premières places du championnat, directement qualificatives pour la prestigieuse et lucrative Ligue des champions.
Une contrepartie de 200 millions d’euros ?
Le week-end dernier, les discussions entre la LFP, la Fédération de Football Française (FFF) et l’ASM se sont jouées sur une étrange proposition. C’est le club de Dmitry Rybolovlev qui a dégainé le premier, dimanche 5 mai, en indiquant via un communiqué, que la FFF lui avait fait la proposition de verser 200 millions d’euros en contre partie de garder son siège social sur le Rocher. L’information a été aussitôt démentie par les responsables de la Fédération.
"Ce droit d’entrée pour jouer dans le championnat français pose la question de sa justification juridique, estime pour sa part David Antoine. Il serait clairement discriminatoire. En plus, en faisant cela, la Ligue ne pourrait plus refuser l’entrée à un autre club étranger à l’avenir". Mais, selon l’avocat, la LFP coure aussi un gros risque si elle s’entête à faire appliquer la nouvelle règle."Le club de Monaco l’attaquera en justice et demandera réparation du préjudice. Une privation de compétition pourrait se chiffrer à quelques dizaines de millions d’euros".
"La Ligue a ouvert la boite de Pandore"
"Par le passé, la jurisprudence a montré l’attachement des juges au principe de libre établissement, note David Antoine. Le dernier arrêt date du 12 juillet 2012. La Cour de justice confirme la possibilité pour une entreprise de transférer son siège social avec un changement de loi applicable". Face au droit européen, la Ligue de football professionnel est donc bloquée. D’autant plus que, parmi les ferveurs défenseurs de cette nouvelle réglementation, certains ont changé d’attitude. Comme Jean-Michel Aulas, à Lyon. Celui-ci est toujours monté au créneau au nom de l’équité.
Il est, depuis le nouveau rebondissement de "l’affaire Monaco", moins tranché. "Je préfère qu’on négocie, a-t-il déclaré récemment à L’Équipe. Si l’on veut être compétitif, l’arrivée de nouveaux investisseurs est indispensable". Reste donc à trouver un compromis. À moins que la Ligue ne se soit tirée une balle dans le pied. Car pour Maître Antoine, la nouvelle règle a surtout ouvert la boite de Pandore, en posant la question de la liberté d’établissement pour les autres clubs français… à l’étranger.