Aulas : “C’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens”

ENTRETIEN - C’est un Jean-Michel Aulas d’humeur badine qui a reçu Lyon Capitale au siège de Cegid, son entreprise spécialisée dans les logiciels de gestion. Dans cet entretien, JMA évoque la situation sportive de son club, en restant évasif sur le cas de son entraîneur. Quant au projet du Grand Stade, il en profite pour égratigner les opposants politiques (entretien réalisé le 4 février 2011 et paru dans le mensuel Lyon Capitale du mois de mars 2011).

Lyon Capitale : Comment avez-vous perçu les déclarations de Claude Puel dans nos colonnes ? Il répète à l’envi que c’est un entraîneur libre...

Jean-Michel Aulas : Un entraîneur, quand il a des résultats, il est bien plus libre que lorsqu’il n’en a pas (sourire). Et s’il n’en a pas, il devient comme tout entraîneur ou chef d’entreprise, complètement dépendant du marché et de ceux qui décident du marché. Dans son cas, le marché, ce sont les résultats sportifs. Et les décideurs, c’est le conseil d’administration que je représente. Ceci dit, je ne mets pas de pression au jour le jour sur l’entraîneur. Sur qui doit jouer, sur le schéma tactique à adopter. C’est une forme de délégation. Ce qui n’exclut pas le contrôle, bien au contraire. Et les sanctions. Quand on est dans un environnement de liberté, on revendique aussi la responsabilité du résultat. Et ça me va bien ainsi.

Visiblement, il pense que vous ne seriez pas prêt à lui proposer une prolongation de contrat. A-t-il raison ?

Oui, il a raison de le dire. Aujourd’hui, on a un certain nombre de points de passage qui sont difficiles. Que ce soit avec la presse ou avec une partie du public. On m’a suffisamment reproché de lui avoir signé un contrat de quatre ans, trop long pour les grands clubs. En l’état actuel des choses, il a raison d’affirmer cela.

Claude Puel ira-t-il au terme de son contrat ? Est-ce une certitude ?

Non, ce n’est pas une certitude. C’est la logique des choses. Il a un contrat de quatre ans. Je l’ai signé en toute connaissance de cause. Il a fallu batailler avec Lille pour le faire venir. Le LOSC ne voulait pas le lâcher. À l’époque, il a fallu trouver le stratagème du transfert de Jean Makoun pour faire en sorte de dédommager Lille. Tout le monde s’est offusqué du transfert de Jean II Makoun (14 millions d’euros). Il comprenait les deux opérations de manière contractuelle et convenue.

Quel est votre regard sur cette saison 2010-2011 ?

C’est encore trop tôt pour faire un bilan objectif de la saison. Comme je le dis souvent : c’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens (sourire). C’est une saison très difficile sur le plan de l’image. On ne mérite pas toutes ces attaques médiatiques. Un dirigeant tel que je suis devrait plutôt être jugé sur la durée. C’est vrai que la saison n’est pas bonne au niveau des résultats. À l’inverse, on réussit plutôt pas mal en Ligue des Champions. On s’est qualifié pour la huitième fois consécutive pour les huitièmes de finale de la C1. Seuls deux ou trois grands clubs européens l’ont fait. Après, je n’ai pas beaucoup aimé notre élimination en Coupe de France (à Nice, 1-0 ap.). Désormais, il reste à bien terminer la saison.

Si l’OL ne gagne pas de titre cette année, quelle mesure prendrez-vous ?

C’est le genre de questions que je ne me pose même pas. Il y a tellement de choses qui entrent en ligne de compte… Aujourd’hui, il est sous contrat et c’est toujours préférable pour un grand club de respecter les contrats. Plutôt que d’avoir des changements au cours du contrat, qui sont difficiles à gérer, qui laissent des séquelles. Ceci étant, tout est possible. Ne pas gagner de titre serait gênant… mais en gagner sans être en adéquation avec les valeurs du club, les valeurs qui me tiennent à cœur, ça deviendrait problématique. Souvenez-vous de l’année où l’on a réussi le doublé championnat-Coupe de France : on a n’a pas gardé l’entraîneur [Alain Perrin, licencié le 17 juin 2008, NDLR].

Êtes-vous déçu par les prestations de Yoann Gourcuff ? Ne lui a-t-on pas mis de pression en lui attribuant un statut de star, à l’image de sa présentation au stade de Gerland ?

Non, je ne crois pas. C’est un grand joueur. Il peut à un moment donné pour des raisons de psychologie personnelle ou d’environnement ne pas être à son niveau. Ceci étant, le fait que Laurent Blanc continue à lui faire confiance démontre que c’est un grand joueur. Je n’ai jamais investi sur Yoann Gourcuff pour qu’il fasse six mois satisfaisants. Je reste tout à fait convaincu de ses immenses qualités. Il a une aura. Il faisait 50 % des ventes des maillots de l’équipe de France avant qu’il arrive à Lyon. Le public l’apprécie, comme l’atteste la foule nombreuse qui est venue à Gerland. On ne s’attendait pas à voir autant de monde. À l’inverse, on a pris une bonne décision de faire ce jour-là une présentation collective. Et non pas individuelle. On ne lui a pas mis la pression. On lui a montré qu’à Lyon, pour une présentation de joueurs, il y avait plus de spectateurs que pour un match de championnat à Bordeaux. Pour quelqu’un comme Yoann, ça devrait être un formidable accélérateur d’ambitions. Aujourd’hui, ce n’est pas complètement le cas. C’est un garçon qui doute. Je suis persuadé qu’en fin de saison, lorsqu’on parlera de Yoann, il aura complètement dépassé tout cela et que la réussite sera totale.

Certes, mais ses performances individuelles suscitent forcément des interrogations…

Il a signé un contrat de cinq ans, en relation avec l’investissement et la confiance qu’on lui a accordée. On ne va pas le juger d’emblée. Il est arrivé dans une tornade de mauvais résultats. D’ailleurs, je tiens à dire que j’ai été particulièrement choqué par l’accueil de son ancien public. Les supporters girondins ont eu un comportement vraiment “dégueulasse”. Pour rien au monde, je ne voudrais que nos supporters les imitent avec d’anciens joueurs ayant porté nos couleurs. D’ailleurs, cela n’arrive jamais. Pour revenir à ses performances, n’oubliez pas qu’il a été blessé, perturbé par des déclarations extérieures [Maldini a déclaré dans L’Équipe que Gourcuff était un joueur individualiste, imbu de sa personne et responsable à 100 % de son échec au Milan AC, il y a quatre ans, NDLR]. Bref, il n’a pas traversé une période simple (2010-2011). Mais, encore une fois, je suis confiant. On discute beaucoup ensemble. On s’est même retrouvés sur un lieu de vacances sans que ça soit prévu. Le jour où Lyon jouera très bien, Yoann jouera très bien. Et pour que Lyon joue très bien, il faut qu’il joue bien. On l’a recruté pour ça.

Est-ce que les derniers mois ont été les plus difficiles à gérer depuis que vous êtes à la tête de l’OL ? Avez-vous songé à arrêter ?

Cette période m’a rappelé la période 87-88, lorsque je suis arrivé au club. Je n’avais aucune crédibilité. J’arrivais dans le milieu du football. Le début de saison a été la période la plus dure après 88 où il a vraiment fallu être costaud. Par contre, non, je n’ai jamais pensé à partir. D’une part, parce que lorsqu’on est responsable on n’arrête pas dans la difficulté. Ce qui me ferait arrêter, c’est de gagner la Coupe d’Europe. Ou l’inauguration du stade. Mais nullement l’échec sur une période courte.

Préparez-vous votre succession ? Il se murmure que Philippe Sauze* pourrait vous succéder à la tête de l’OL…

Non, ce n’est pas d’actualité. J’ai le sentiment de ne pas avoir atteint l’objectif que je me suis fixé à moi-même. Tant sur le plan sportif qu’au niveau du projet du Grand Stade. Même si ce que l’on a réalisé jusqu’à maintenant est immense.

"Merci aux associations opposantes"

Avez-vous peur du creux de la vague ? Peur de vous retrouver en bas alors que, depuis des années, votre club est en haut de l’affiche ?

Oui, bien sûr. Vous savez, le soir du match perdu contre Saint-Étienne, le 100e derby de l’histoire, nous étions dix-huitièmes. Pfff, à ce moment-là, je me suis dit : la "grinta" a tourné, que va t-il se passer ? Il a fallu être courageux. Il faut avoir du savoir-faire, des références dans le secteur et des appuis de gens compétents. Puis, il faut être un brin lucide pour se dire que c’est une mauvaise période due à une conjonction parasitaire mais que le fond est bon et qu’on va y arriver. On sait que si l’inspirateur philosophique et opérationnel baisse les bras ou laisse penser qu’on ne va pas y arriver, c’est le château de cartes qui s’écroule. Ne serait-ce que pour ça, il ne faut pas montrer qu’on a des doutes, qu’on est faible.

Au sujet du dossier du Grand Stade, quel message avez-vous envie d’adresser aux opposants politiques ?

J’ai envie de leur dire : pensez à l’intérêt général et non pas à votre propre intérêt. Cette réussite doit être collective. On le voit bien, ce sujet est devenu politique, parce que c’est un bon thème. Toute personne normalement constituée ne peut pas dire que le stade des Lumières est un projet qui est mal ficelé. Ou qu’il ne va pas dans l’intérêt général. Il faut être amnésique, aveugle ou de mauvaise foi pour prétendre le contraire. Ce projet du Grand Stade n’est pas un projet politique mais d’intérêt général qui, sur le plan économique, social et de l’image, est indispensable à Lyon, au département du Rhône, au Grand Lyon et à la France. Tout homme politique a le devoir de s’associer au projet, même s’il doit à un moment donné avaler une couleuvre. C’est ça le véritable sens politique qu’on doit donner à l’action de tous les jours.

Et aux associations opposantes ?

Je voudrais leur dire merci ! Parce que c’est un peu comme les syndicats dans une entreprise, on est tous en train de râler mais, au final, ce sont eux qui font progresser le débat. Et dans l’opposition syndicale, il y a toujours un fond de vérité, qui permet à la collectivité de progresser. Je ferai le parallèle avec les opposants et les associations écologiques. Ils ont fait progresser le projet mais de manière incroyable. Que ce soit sur toutes les décisions que l’on a prises en matière d’accessibilité. C’est grâce à eux que le prolongement du tram T2 via Eurexpo est arrivé. C’est grâce à eux qu’on a eu l’idée de construire un certain nombre de parkings relais à Meyzieu.

Les six millions d’euros qui vont être investis par le Grand Lyon et l’Olympique Lyonnais auraient pu être moindres sans leurs remarques pertinentes. C’est grâce à eux que toutes les données acoustiques ont été prises en compte. On a décidé de tourner le stade dans un autre sens, de manière à ce que l’environnement ne soit pas touché par les nuisances sonores. C’est grâce aux associations qu’on a décidé de construire le centre d’entraînement à côté des maisons individuelles, de manière à ce que l’ensemble des maisons soit à côté d’un espace vert. C’est encore grâce à eux que les gares de Lesly et Lea vont être aménagées. Elles vont fonctionner 365 jours par an. Alors que le stade sera utilisé 60 jours maximum par an. Enfin, c’est grâce à eux que les 1 000 emplois permanents sur le stade vont être créés. Nous allons faire appel à des entreprises locales. Ce qui va créer de l’emploi et une certaine dynamique.

Emmanuel Hamelin (UMP) a déclaré au micro de notre webradio : “Le stade des Lumières, c’est joli mais c’est de la pub”…

On connaissait surtout son père. Ça ne donne pas en matière politique des droits de dynastie. Je crois qu’il ne connaît pas bien le sujet, ou alors il connaît trop bien le sujet de Gerland. Il devrait écouter davantage. Michel Havard, qui a participé à la commission d’évaluation de Gerland, a lui-même conclu que ce n’était pas possible. Alors comment peut-on avoir un élu du même bord politique qui dit l’inverse ? Lorsqu’on est aussi proche philosophiquement, culturellement ou politiquement, on se doit de se faire confiance. Les réactions de Hamelin sont superficielles, ça ne le grandit pas. Du coup, notre ex-député est la risée de tous ses copains du même bord politique.

Dominique Perben nous a confié qu’il était partisan de construire ce grand stade à proximité du stade de Gerland, sur le site du port Édouard-Herriot…

Ça, c’est extrêmement intéressant. J’en avais moi-même parlé à Dominique Perben lorsqu’il était candidat à la mairie de Lyon. C’était la meilleure idée de l’époque. Seulement, dans la convention entre la CNR (Compagnie nationale du Rhône) et le Grand Lyon, il aurait fallu déclasser un certain nombre de terrains. Il n’y a pas eu de discussions suffisamment tôt pour pouvoir le faire, mais c’était probablement une idée efficace… mais il y a sept, huit ans. Aujourd’hui, le délai est inenvisageable. Il y a eu un manque de vision politique par rapport à Gerland, sur plusieurs mandats. C’est pour cela que c’est dépassé et désuet de venir parler de ce site, alors que moi-même, à l’époque, je l’avais suggéré aux élus de tous bords. J’étais sûrement un peu plus visionnaire que certains sur la plaine de Gerland. On a tout fait pour que Gerland ne soit pas utilisable pour construire un vrai stade et maintenant on dit qu’il aurait fallu le faire là-bas !

De nombreux élus et de toutes sensibilités politiques disent que Gérard Collomb a manqué clairement de concertation dans ce dossier du Grand Stade. Êtes-vous d’accord avec ça ?

C’est probable. Je ne veux pas porter de jugement parce que, encore une fois, je veux être au-dessus de la mêlée. Je suis simplement un entrepreneur qui donne une chance à Lyon d’avoir le plus beau stade européen, le plus fonctionnel et le moins cher. Le stade des Lumières sera financé uniquement sur argent privé alors qu’en France les autres villes ont choisi un modèle PPP (partenariat public-privé). Seulement, à l’arrivée, on le sait bien, ça revient à un financement public. C’est le contribuable qui paye. Pour en revenir à votre question, je pense que Gérard Collomb est victime de son succès. Le fait que sa réélection, entre autres sur le projet du stade, ait été faite de manière si performante, avec des taux de réélection dans des grandes villes rarement atteints, a joué contre lui. D’une part, car ça exacerbe la jalousie de ceux qui sont en face, mais en plus quand on réussit, que ça soit en économie, en politique, en culture… on a tendance à oublier un certain nombre de préalables, de relations et d’ouverture. Maintenant, si tout le monde le dit, il y a certainement eu quelque chose de ce côté-là. Ma vision est entrepreneuriale et non politicienne. Si le maire de Lyon avait été Nora Berra ou Michel Forissier, j’aurais agi de la même façon. En choisissant Décines, car c’est le lieu le plus approprié.

Vous avez déclaré avoir une sensibilité de droite et entretenir une relation amicale avec Gérard Collomb (PS). Comment vous positionnez-vous par rapport à cette opposition droite/gauche ?

J’ai une vision progressiste. J’essaye toujours de faire preuve de pragmatisme. Je pense qu’on ne peut pas dissocier le social de l’économie. Je n’ai jamais voulu faire de politique, pour éviter de me retrouver prisonnier de telle ou telle position. J’ai soutenu Nicolas Sarkozy lors des dernières présidentielles. Je soutiens Gérard Collomb lorsqu’il fait de très bonnes choses pour la ville de Lyon. De la même manière que je soutiens Michel Forissier, lorsqu’il cherche à développer du côté de Meyzieu un certain nombre de choses positives. Ça ne me pose pas de problèmes. Je suis derrière les grands projets et complètement libre de choisir le vecteur le plus efficace pour qu’ils se réalisent.

Sincèrement, n’êtes-vous pas tenté de vous lancer en politique ?

Non. La seule chose qui me ferait y aller, c’est la mauvaise foi de certains. S’il fallait aller sur le terrain pour expliquer pourquoi les positions de certains sont populistes et ne sont pas concrètes et réalistes… ça serait mon chemin de croix (sourire). Sinon, vous savez, j’ai un emploi du temps bien chargé. Je voyage beaucoup dans le cadre de mes activités professionnelles. J’avais vendu une partie de Cegid, que j’ai racheté. Il y a l’OL, je suis vice-président de la Ligue, vice-président de l’association des clubs européens, je viens d’être nommé à la FIFA dans le forum des clubs internationaux, bref, ça fait des journées bien remplies. Puis, j’essaye toujours d’être disponible avec les médias, même si je ne suis pas toujours d’accord avec ce qui est dit ou écrit (rires).

Si le LOU montait en TOP 14, seriez-vous prêt à devenir actionnaire ?**

J’ai été tenté par le passé, aujourd’hui, je vais être amené à le faire pour saluer la constance dans l’investissement de personnes comme Olivier Ginon (GL Events) ainsi que la compétence d’Yvan Patet (président du LOU) qui, contre vents et marées, a su tenir le cap. Alors, oui, je vais aider le LOU, car c’est également un sujet d’intérêt général : c’est bien que Lyon ait une équipe de rugby évoluant en TOP 14. On a investi dans le stade de Gerland bien qu’on a vocation à s’en aller dans les prochaines années. Personne ne le sait, mais nous continuons à investir dans les aménagements : écrans géants, loges, nouvelle pelouse chauffée par le sol grâce à un système de photosynthèse. Si le LOU monte en TOP 14, il sera ainsi possible qu’ils évoluent à Gerland grâce à cet investissement de l’OL. Ce n’est pas la ville qui a payé ces travaux, comme l’a laissé entendre Étienne Tête (Lyon Capitale, janvier 2011). D’ailleurs, il faudra féliciter son successeur à la mairie, car il arrive à faire payer à l’OL ce que lui n’arrivait pas à faire !

* Directeur général d’OL Groupe.

** Suite à cet entretien qui a déclenché de vives réactions voici le communiqué de l'Olympique lyonnais : cliquez ici.

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