Bourgoin change d'époque

Pierre Martinet , le président historique et emblématique du CSBJ, le club de rugby de la ville a quitté la présidence. Il est remplacé par René Flamand qui présidait auparavant aux destinées de l'association CSBJ. La passation de pouvoir a eu des allures de putsch mais ne devrait pas déboucher sur de réels changements pour un club qui végète en Top 14 et voit la Pro D2 s'approcher à grands pas. A cette occasion, nous mettons en ligne un reportage publié dans le dernier numéro de Lyon Capitale sur le CSBJ et sa situation sportive et présidentielle.

Comme un symbole, à l'entrée de Bourgoin, le ballon de rugby ciel et grenat qui ornait le rond-point servant de panneau de bienvenue a disparu. Il laisse deux poteaux de rugby orphelins. Blancs et quelconques. Bourgoin-Jallieu ne se résume plus à son seul club de rugby. Ce CSBJ qui a longtemps fait la seule actualité de la bourgade pas vraiment riante est rentré dans le rang et ne se bat plus pour les premiers rôles du Top 14. Plus qu'un club, c'est une institution qui est en danger. Bourgoin a formé la plupart des internationaux français : Chabal, Nallet, le capitaine du XV de France ou encore Julien Bonnaire. Une sorte d'Auxerre de l'Ovalie. Avec le déclin de son équipe de rugby, toute la ville est retombée dans l'anonymat. "A Bourgoin, il n'y a bien que le CSBJ pour rassembler les gens. Mais depuis quelques mois comme l'équipe marche moins bien, les supporters sont moins nombreux et l'engouement est bien moins fort", explique Christophe, le patron du Bar de la Fontaine, en plein centre-ville. A l'office du tourisme, on nous avait garanti que les jours de matches, l'endroit était peuplé d'inconditionnels et même d'anciens joueurs. Un recrutement indigne du top 14 Sur place, énorme déception à quelques minutes du coup d'envoi. Le patron s'amuse à entonner quelques "Bourgoin, tes supporters sont là" qui sonnent faux. Dans son estaminet, ils ne sont que trois. Et ils ne sourient pas. "L'équipe a du mal cette année. Il faut dire que les joueurs ne sont pas tous très bons mais ils ont du cœur", les dédouane un fan des Ciels et Grenats.
A des centaines de kilomètres de Bourgoin, le CSBJ affronte Perpignan ce jour-là. Il y a quelques années, Bourgoin et Perpignan ferraillaient pour une place de demi-finaliste. Les Catalans continuent de le faire. Le CSBJ pense, lui, au maintien. Au coup d'envoi du match, au Bar de la Fontaine, les supporters berjalliens, une dizaine maintenant, se déchaînent sur l'ouvreur de Perpignan, Daniel Carter. Un néo-zélandais, le meilleur joueur du monde, qui a débarqué, pour six mois, contre un chèque de 700 000 euros. "Regarde bien son coup de pied, il vaut 70 000 euros", balance un homme assis au zinc et un brin jaloux. Tout le désarroi des supporters réside dans ce fossé qui sépare désormais les deux clubs. Bourgoin recrute, en deuxième division, Pro D2, quand Perpignan s'offre des stars internationales. "La masse salariale du club baisse chaque année alors que tous les autres clubs l'augmentent. Il y a donc de moins en moins de bons joueurs", souligne un ancien dirigeant du club. Dans le rugby professionnel d'aujourd'hui, Bourgoin a retrouvé sa vraie place. Celle que son budget, le douzième du Top 14, lui autorise. Et les regards se portent désormais sur le rétroviseur. "Ce déclin n'est pas inéluctable. Le CSBJ ne sera plus dans les quatre premiers mais dans le ventre mou du classement. De temps en temps, l'équipe sera belle et fera de meilleurs résultats mais il ne faut plus viser d'objectifs aussi ambitieux que ces dernières années", confie amèrement un ancien joueur Ciel et Grenat. Rattrapé par la réalité d'un sport qui demande de plus en plus d'argent, le CSBJ a frôlé le pire ces dernières semaines. Le feu qui embrasait le terrain s'est propagé au siège du club.

Un trou de deux millions d'euros

La DNACG (direction nationale d'aide de contrôle et de gestion) épingle, début décembre, le club. Un trou de deux millions d'euros s'est déjà formé dans les caisses après seulement cinq mois d'exercice. Depuis son arrivée à la tête du CSBJ, en 1996, Pierre Martinet met régulièrement la main à la poche pour combler les déficits. Dans la foulée, il a pris l'habitude de déclarer qu'il s'agit de la dernière fois. Aux alentours du stade Pierre Rajon, les supporters ont longtemps ri de cette "Arlésienne". Mais en cette fin d'automne 2008, Martinet met ses menaces à exécution. Il ne piochera plus dans ses finances et celle de son entreprise de traiteur de masse. Pendant ses cinq premières années de présidence, il pouvait donner au club isérois un budget convenable. Seulement la professionnalisation du rugby a fait augmenter le cahier des charges. Et Martinet n'a pu suivre la fièvre inflationniste. Depuis une poignée d'années, le budget de Bourgoin stagne quand celui de ses concurrents s'envole. Alors il répond aux difficultés traversées en 2008 par le CSBJ par un communiqué laconique : "je souhaite céder 51% de mes actions du club afin de me dégager du temps pour gérer mes propres affaires". Il en demande deux millions d'euros. Soit le passif à régler pour la saison. Le traiteur devient intraitable avec son jouet. Si personne n'achète ses parts, le club sera condamné par la DNACG à une rétrogradation administrative en Pro D2. "Si le club descend, ce sera très dangereux. Les investisseurs ne seront plus intéressés et le budget va s'effondrer. Le CSBJ aura du mal à remonter en Top 14", explique un ancien de la maison Ciel et Grenat. Martinet se cherche un investisseur associé, depuis quelques années déjà, et n'a jamais trouvé de partenaires. "Il y avait des sponsors qui étaient prêts à mettre de l'argent dans ce club mais Martinet voulait toujours garder le pouvoir de décision avec une minorité de blocage. Dans ces conditions là, aucun investisseur n'a voulu venir", se rappelle un ancien proche de Martinet évincé depuis.
Devant l'urgence de la situation et le spectre de la Pro D2 qui se rapprochait à grands pas, l'association CSBJ qui gère les équipes de jeunes organise un véritable putsch. Martinet accepte de passer la main. L'association, qui détenait déjà 33% du club, a racheté les 51% des parts du traiteur industriel... sans débourser un seul centime. La promesse de combler le trou a servi de monnaie d'échange. L'association et son président René Flamand, un ancien industriel à la retraite, ont donc les pleins pouvoirs. Pour régler le déficit et éviter la rétrogradation en Pro D2, ils ont demandé de l'aide aux pouvoirs publics. Ces derniers en froid avec Pierre Martinet, surtout le maire PS de Bourgoin-Jallieu, Alain Cottalorda, ont décidé d'accorder une subvention exceptionnelle au club.

"Je serai président si Dieu le veut"

Pour l'heure, les acteurs majeurs du dossier, Martinet et Flamand pratiquent le "no comment". "Nous sommes en pleine négociation donc je ne peux rien dire. Je n'ai pas envie que l'opération ne se fasse pas. Depuis longtemps, je voulais quelqu'un à mes côtés", nous a déclaré Pierre Martinet. Une page se tourne mais le traiteur gardera tout de même 10% du club et sa société restera sponsor maillot de l'équipe. Dans une dizaine de jours, la passation de pouvoir devrait être effective. "Je serai président si Dieu le veut", se contente d'avouer du bout des lèvres René Flamand. Au terme d'une opération blanche, l'association, garante de l'âme du CSBJ, a éteint le feu qui menaçait la structure. Mais pour combien de temps ? Pour boucler le budget 2009/2010, l'association doit trouver 10 millions. "Nous aurons 84% des parts et nous allons en vendre 51% à un ou plusieurs investisseurs mais je ne peux rien dire. Des gens ont été contactés. Nous travaillons", annonce René Flamand. L'association ne gardera que la minorité de blocage. Le club est provisoirement sauvé mais des nuages continuent de s'amonceler au-dessus de Pierre Rajon. Le feu en coulisse asphyxie le vestiaire. "Sportivement, la saison a démarré sur une dynamique de défaite, analyse l'entraîneur Eric Catinot. Aujourd'hui, l'équipe a prouvé qu'elle a les moyens de s'en sortir mais en parallèle, les événements qui émaillent la vie du club jettent une incertitude. Le club traverse une période floue. De joueurs sont en fin de contrats à la fin de la saison et ont besoin de savoir ce qui peut leur arriver". Les joueurs quittent le navire Morgan Parra, l'un des derniers joyaux sortis du centre de formation berjallien, a pris les devants et mis le cap sur Clermont. Parra avoue vouloir jouer autre chose que le maintien et évoque aussi le contexte pour justifier son départ. "Chaque jour qui passe compromet la saison suivante. Il faut déjà bâtir l'effectif de l'an prochain et la situation d'attente dans laquelle nous sommes n'est pas bonne", se lamente Eric Catinot, l'entraîneur du CSBJ. En rugby, les transferts se finalisent souvent en février ou début mars. L'incertitude tant sportive qu'administrative plombe le recrutement. Trois jours après l'annonce de Parra, Yann David l'imite et s'engage avec Toulouse. En une semaine, Bourgoin a perdu ses deux derniers internationaux.
Adossé à la main courante du stade Pierre Rajon, un frisquet vendredi soir de Challenge Européen, les supporters déversent leur amertume. "C'est honteux que ces deux jeunes partent. Ça me fait chier de voir que les autres équipes récupèrent nos meilleurs joueurs", s'emporte Amédée, la soixantaine vigoureuse. "Si on réunissait tous les joueurs qui sont partis, nous pourrions battre les champions du monde. Mais c'est normal qu'ils partent, c'est le pognon qui veut ça", déplore Amédée qui a bien connu l'époque du rugby à papa. A ses côtés, Jean-Claude, un de ses amis, essaie de le tempérer : "ce n'est pas la faute des jeunes mais celle de Martinet. Il fallait mettre de l'argent sur la table, trouver d'autres sponsors", soupire-t-il. Après l'euphorie et la passion, ils versent rapidement dans la détresse. "Qui va remplacer Martinet et apporter les chèques", s'inquiète Jean-Claude. Amédée ne sourit plus à l'heure de parler de vérité du terrain : "J'ai bien peur que le club tombe en Pro D2 l'an prochain. Je n'irai plus au stade".
Ce vendredi soir de la fin du mois de janvier, ils sont quand même plus de trois mille à assister à une rencontre soporifique entre Bourgoin et Bucarest. A part une salle de concert et un cinéma, Bourgoin ne présente pas non plus un catalogue de distractions nocturnes long comme un hiver en Isère. Par habitude et par conviction, les inconditionnels sont toujours là. Le long de la main courante, un jeune homme regarde le stade Rajon à moitié vide. "C'est navrant. Encore s'ils gagnaient mais ce n'est pas le cas et le spectacle est de moins en moins joli", grimace Stéphane, 28 ans et plus de la moitié à vibrer Ciel et Grenat. Dix minutes plus tard, toujours accoudé à la main courante, sa mère à ses côtés, il frappe dans ses mains. Autant pour saluer le premier essai du CSBJ que pour se réchauffer. Un sourire illumine son visage. Ce soir, il va voir son équipe gagner. L'équipe de Bucarest se transforme en victime expiatoire. Le temps d'un match, Bourgoin se défoule.
A la mi-temps, une odeur chaleureuse de vin chaud enveloppe les supporters sous un chapiteau. Ni l'alcool ni le faible niveau des Roumains ne suffisent pourtant à chasser toutes les idées noires. "Pour une petite ville comme Bourgoin, c'est génial d'avoir un club en Top 14. En ville et aux alentours, tout le monde ne parle que du CSBJ", raconte Fabrice, un supporter trentenaire. Un motif de fierté s'évapore. Le seul à Bourgoin ? "Je suis arrivé dans cette ville il y a cinq ans. A la base, je n'étais pas supporter mais rapidement je me suis pris au jeu. Ici, cela fait partie du folklore local", glisse le voisin de vin chaud de Fabrice. Le match reprend à Rajon. Les supporters donnent de la voix et frétillent au moindre plaquage destructeur. Dans les tribunes, les vieux sourient et les jeunes crient. Le CSBJ rassemble encore tout Bourgoin. Mais dans la ville iséroise, on a appris à se méfier du lendemain. Le chemin de l'après Martinet est peuplé d'embûches. Bourgoin a gardé son image de petit club quand l'évolution de son sport commande des moyens et des ambitions. L'histoire du CSBJ semble vouée à devenir un perpétuel recommencement. Jusqu'à la Pro D2...

Paul Terra

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