Mardi soir à 20 heures, TF1 se mettra à l'heure de l'équipe de France de football. Raymond Domenech y dévoilera les noms des 23 joueurs retenus pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. D'où vient la difficulté de la tâche qui lui incombe ?
Qu'il couche sur un tableau blanc (« Tabula rasa » comme diraient les historiens de l'art) une liste de noms essentiels, absolus et définitifs ? Ou simplement qu'il l'achève aujourd'hui -au sens propre-, sans regret ni anxiété de n'avoir rien oublié ?
Si Laurence Ferrari prend la peine de bien écouter le sélectionneur, ce sont deux listes qui s'enchevêtreront :
- Celle, ordonnée et hiérarchisée, qui sera annoncée au journal télévisé ;
- Celle qui, par transparence, tel un palimpseste, sera imaginée, complétée et discutée à l'infini et sans distance par les experts (les Français en quelque sorte), rappelant le mauvais sort fait aux bannis et aux incompris (Méxès ? Frey ? ).
Celle-là, incomplète par essence, reflétera les rancunes que Raymond Domenech s'est appliqué à entretenir durant ces derniers mois : les provocations, l'incommunicabilité patente, les contre-pieds répétés et l'évidence d'une main qu'un après-midi passé avec Michel Drucker n'a pas réussi à transformer en génie de l'improvisation.
Enfin, ses allusions à l'odeur du sang désiré par les journalistes et à l'abolition de la peine de mort ne sont pas à la hauteur de la très belle exposition du musée d'Orsay. La première relève donc de la seule responsabilité d'un homme. Elle sera rejetée, forcément rejetée.
Le seconde invitera au vertige des interprétations, à l'« et caetera », que Gainsbourg associait à une Marseillaise revisitée, et dans laquelle les joueurs ne s'identifient pas, au drame d'un Eric Besson empêtré par un débat inachevé sur l'identité nationale.
Comment les mener à la victoire ?
Cette liste ne sonnera pas la fin d'une attente, mais le commencement d'une angoisse, d'une indicible réalité. La question ne sera pas « Pourquoi ces hommes-là ? », mais « Comment le sélectionneur compte-t-il les mener à la victoire (contrat revendiqué par lui-même) ? »
A l'évidence, la réponse importe peu à une opinion publique, qui, pour près de 46%, déclare ne « pas aimer du tout l'équipe de France ». Pire, à l'occurrence « désamour », les moteurs de recherche trouvent instantanément 19 800 résultats.
Ce délitement du lien s'incarne dans l'identité même du sélectionneur. Effectivement, Raymond Domenech ne transmet pas de passion, éteint la ferveur, oublie que le football est un jeu en partage, et qu'en tant que tel, il est soumis à la grande incertitude du sport.
Mais est-ce pour autant la mauvaise personne que la presse dessine au quotidien ? Bien évidemment, il en a fallu du courage à Aimé Jacquet pour résister au mythe Eric Cantona. On ne saura jamais ce qu'il aurait pu apporter à l'équipe de 1998. Il en faudra autant à Domenech pour statuer sur les cadres historiques (Thierry Henri ? Patrick Viera ? Nicolas Anelka ? ).
A sa façon de communiquer au bord de la limite, on sent chez Raymond Domenech une envie de s'amuser, de ne pas renoncer à un bon mot, et de jouer avec des journalistes, dont Umberto Eco, autoproclamé incompris du football, a établi -non sans humour- une liste de ceux qu'il voudrait tuer… ».
Umberto Eco, qui en 1978, assimilait les footballeurs à « ces athlètes détruits par de longues abstinences sexuelles » (quelle ironie de l'actualité ! ), et le football à un spectacle cosmique sans signification, à une fiction sans but, à l'expression des vanités.
Le football, expression de la société
Contrairement à ce qu'il écrivait en son temps, notre époque discute les choix d'un sélectionneur en même temps (et non en place de) qu'elle critique l'action d'un politique. En ce sens, le football n'est pas un ersatz de la société, il en est l'expression poussée à son extrémité (ses beautés comprises). C'est ce qui ne semble pas intéresser Raymond Domenech.
En réduisant l'équipe à sa seule personne, il repousse avec force toute tentative de dialogue. Il en reste l'expert unique jusqu'au terme de la compétition. Notons que, dans un autre registre, l'individualisation du pouvoir politique lasse également les Français (à ce jour, 36% sont favorables à la politique incarnée par Nicolas Sarkozy).
Pour paraphraser le titre du dernier livre de l'intellectuel italien : « N'espérez pas vous débarrasser de Domenech ! ». En lieu de liste des 23, il proposera un inventaire sans concession, un ordre indiscutable à partir duquel il (on ? ) espère, une équipe naîtra. Et caetera…
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