Cyclisme: quand Jurdie conte Péraud

ENTRETIEN – Le Lyonnais Jean-Christophe Péraud est la nouvelle attraction du cyclisme français après sa seconde place sur le Tour de France. Lyon Capitale a interviewé Julien Jurdie, directeur sportif d’AG2R-La Mondiale, afin de dépeindre ce cycliste “atypique” pour qui la roue tourne. Et plutôt rapidement malgré ses 37 printemps au compteur.

Lyon Capitale : Comment qualifiez-vous Jean-Christophe Péraud ? On le dit “atypique”. Son manager Vincent Lavenu voit en lui un “être exceptionnel”. Lui se définit comme “normal”.

Julien Jurdie : Dans le paysage du cyclisme professionnel, Jean-Christophe Péraud est quelqu’un d’atypique. C’est une certitude. Son parcours est vraiment particulier. Il vient du VTT. Et puis, au niveau du caractère, il ne s’exprime pas beaucoup. C’est une personne plutôt réservée.

On le dit très distrait. Pouvez-vous nous raconter quelques anecdotes à ce sujet ?

C’est un garçon très tête en l’air. Il est capable d’oublier ses chaussures, d’arriver en retard à l’entraînement. Un jour, il sera capable d’oublier ses propres enfants chez lui (rires). À titre d’anecdote, il devait rejoindre l’équipe AGR2R-La Mondiale à Marseille pour une compétition. Il s’est trompé de TGV pour finalement se retrouver en gare de Lyon à Paris. Il faut toujours faire attention avec lui. D’ailleurs, son partenaire de chambrée, Hubert Dupont, l'encadre pas mal au niveau des horaires d’entraînement. C’est un trait de personnalité qui le rend plus humain.

Pourquoi avez-vous enrôlé Jean-Christophe Péraud en 2011 et pas avant ?

Je le suivais déjà lorsqu’il était coureur amateur. À l’époque, il se dégageait clairement du lot. Mais Jean-Christophe avait encore des objectifs à atteindre en VTT. Lorsqu’il remporte le titre de champion de France élite du contre-la-montre le 25 juin 2009, à la pédale, en devançant Sylvain Chavanel [triple champion de la discipline], il a fait un premier pas vers nous. Pour finalement rejoindre, à la dernière minute, la formation Omega Pharma-Lotto pour les saisons 2010 et 2011. Malgré tout, nous avons continué à le suivre via son agent Michel Gros, avant de le faire signer en 2011.

Revenons sur ce Tour de France 2014, exceptionnel pour votre équipe (AG2R-La Mondiale a remporté le classement par équipes comme sur le Giro) et pour Jean-Christophe Péraud. Sa seconde place, l’envisagiez-vous à l’approche de la Grande Boucle ?

C’était inimaginable il y a quelques semaines. Au départ du Tour, nous avions trois objectifs : le classement général par équipe, une victoire d’étape et une place dans le Top 15 pour Jean-Christophe et Romain [Bardet]. Les circonstances de course, notamment les abandons coup sur coup de Christopher Froome et Alberto Contador, nous ont permis de prendre confiance. On a alors changé de fusil d’épaule, histoire de viser une belle place au classement.

Cela a-t-il été un avantage pour Jean-Christophe Péraud de voir Romain Bardet prendre la lumière en début de tour ?

Cela l’a plutôt servi. Jean-Christophe ne recherche pas forcément l’effervescence médiatique. Sur le Tour, il a laissé les projecteurs médiatiques se braquer vers ses cadets de la nouvelle génération française, Thibaut Pinot et Romain Bardet. Mais ses performances les ont ramenés vers lui quelques jours plus tard. Ce qu’il faut souligner aussi, c’est l’excellente entente qu’il a eue avec son coéquipier Romain Bardet. Ils n’ont jamais eu d’ambitions démesurées, de vague à l’âme ni de rivalité particulière.

L’année prochaine, Jean-Christophe Péraud sera très attendu sur le bord des routes. Cela va-t-il le desservir ?

Il ne sera pas spécialement perturbé. En tout cas, il est prêt à assumer ce rôle. Même s’il ne partira pas avec une étiquette de favori. À la pédale, ce sera une nouvelle fois très compliqué. Il faudra aussi attendre le tracé 2015 du Tour pour se projeter et se fixer des objectifs précis. Jean-Christophe comme Romain arriveront dans la peau d’outsiders.

Vincenzo Nibali, le requin de Messine, était-il intouchable pour Jean-Christophe Péraud ?

Vincenzo Nibali s’est rapidement mis en confiance en remportant la seconde étape du Tour [à Sheffield]. Et puis, son équipe, Astana, a un niveau très élevé. De toute manière, le vélo, c’est un sport individuel autour d’un grand collectif. Si l’on n’a pas une grande équipe avec soi, on ne peut rien faire.

Certains s’étonnent de son “grand” âge (Jean-Christophe Péraud a 37 ans), mais au final il a plutôt 30 ans dans les jambes, non ?

Il est tout neuf. Pendant des années, il n’a fait que des courses de 120, 130 bornes chez les amateurs en VTT où les courses durent deux heures à peine. Jean-Christophe n'a jamais enquillé deux grands tours, 90 ou 100 jours de course par an. Il a gardé cette fraîcheur. Le moteur n’est pas du tout fatigué. Alors que les cyclistes professionnels, eux, éprouvent une certaine lassitude physique et mentale.

Avec le VTT, Jean-Christophe Péraud a semble-t-il développé des qualités rares pour un cycliste professionnel : énorme moteur, ressources physiques et mentales incroyables. Qu’en pensez-vous ?

Son passé dans le VTT lui a offert des atouts rares. Les efforts vraiment intenses au niveau cardiaque lui servent sur la route. Ce qui m’impressionne le plus, c’est son mental. Il arrive à dompter la douleur. Pour le faire craquer, c’est très difficile.

Heureusement qu’il n’a pas commencé la course sur route à 30 ans…

On ne le saura jamais. Pour la petite anecdote, Michel Gros, son agent, était à deux doigts de présenter Jean-Christophe Péraud, alors âgé de 30 ans, à des équipes professionnelles.

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