Comme promis, Mediapart commence à distiller les pièces à conviction de ses accusations de racisme et discrimination au sein de la Fédération française de football, où il aurait été décidé d'appliquer des quotas lors de la sélection des jeunes : pas plus de 30% "de Blacks et de Beurs". Mis en cause, le sélectionneur Laurent Blanc a démenti avec véhémence un tel accord.
Voilà pourtant ce que lui et ses collègues disaient lors d'une réunion officielle, le 8 novembre 2010, selon le nouvel arrivage publié par le site :
– Laurent Blanc, sélectionneur : "Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les Blacks (…) Je crois qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture (…)
Les Espagnols, ils m'ont dit : “Nous, on n'a pas de problème. Nous, des Blacks, on n'en a pas”."
– Erick Mombaerts, entraineur de l'équipe de France espoirs : "Est-ce qu'on s'attelle au problème et on limite l'entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité ?"
– Laurent Blanc : "Moi, j'y suis tout à fait favorable."
– François Blaquart, nouveau directeur technique de la FFF : "On peut s'organiser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit."
– Erick Mombaerts : "Donc il faut 30% ? (…) Il y a bien des clubs comme Lyon qui le font dans leur centre de formation."
– Francis Smerecki, entraineur des bleus de moins de 20 ans : "Je dis, première chose, c'est discriminatoire."
"Je regrette black et beur"
Dés jeudi le sélectionneur des Bleus a démenti avoir tenu de tels propos, par la voix de l'attaché de presse de l'équipe de France :
"Laurent Blanc récuse ces propos ineptes et contraires à sa philosophie.
Laurent Blanc est outré qu'on puisse le mettre en cause de la sorte,toute discrimination étant insupportable à ses yeux, il répète que jamais il ne cautionnerait cela."
La seule chose qu'il a dit "regretter", c'est le fait d'avoir utilisé des mots "black" et "beur" au lieu de ceux de "noir" et d'"arabe".
Dans la suite du dialogue de cette réunion du 8 novembre, Laurent Blanc édulcore (ou explicite)ses propos :
"Ca n'a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément. Ça, il faut quand même le limiter. Je dis pas qu'on va l'éradiquer mais le limiter dans ces pôles-là…"
"Si ces blacks-là se sentent français cela me va très bien."
L''objet de la discussion de ce jour est en effet la binationalité de nombreux espoirs qui choisissent finalement le maillot d'un équipe étrangère après avoir été formés dans les centres français. Dans un rapport , l'INF (Institut national du football) de Clairefontaine notait que beaucoup de joueurs binationaux, ou susceptibles de changer de nationalité, avaient été formés à l'INF.
Pour la dernière coupe du monde au moins neufs joueurs qui avaient porté le maillot espoirs des bleus jouaient pour des équipes du continent africain.
Laurent Blanc poursuit :
"Moi c'est pas les gens de couleur qui me posent un problème. C'est pas les gens de couleur, c'est pas les gens nord-africains. Moi j'ai aucun problème avec eux. Mais le problème, c'est que ces gens-là doivent se déterminer et essayer qu'on les aide à se déterminer. S'il n'y a que des - et je parle crûment - que des blacks dans les pôles (de jeunes, NDLR) et que ces blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien."
"Ils sont aussi français que toi et moi"
Européenne autrefois (Kopa, Fernandez, Platini), africaine et maghrébine aujourd'hui, la potentielle binationalité des joueurs de foot en France épouse presque strictement les contours de l'immigration.
Laurent Blanc aurait sans doute pu parler de joueurs « ayant une autre nationalité que la française » mais le fait est que ce sont essentiellement, voire exclusivement, des jeunes noirs, d'origine africaine qui constituent les bataillons des binationaux.
-Erick Mombaerts :
"Mais ça, on ne peut pas savoir à 13 ans, quand ils rentrent dans nos structures. On ne peut pas savoir. Ils vont te dire qu'ils se sentent français."
-Laurent Blanc :
"Tu peux les aider à s'identifier…"
-François Blaquart :
"Il faut identifier. Parce que bon, c'est pas la couleur qui fait… Il y a des gens qui sont, de toutes façons et fondamentalement, de souche française.
-Et Laurent Blanc conclut sans ambiguïté : "Mais bien sûr. Aussi français que toi et moi."
"Le bon coté de la mondialisation, valorisant pour la France"
Joint par Rue89, Vikash Dhorasoo, ex international s'insurge contre cette focalisation sur la binationalité et la prétendue déperdition d'argent et d'énergie :
"S'élever contre le retour dans un autre pays des joueurs à double nationalité me semble indéfendable. Le système de formation français est bon, et c'est tout à son honneur que des joueurs qui y ont été formés puissent aller jouer ailleurs, sous d'autres couleurs et d'autres sélection. C'est le bon côté de la mondialisation, et c'est valorisant pour la France."
Concernant les quotas et la dose d'ethnicisme aux relents racistes de cette idée, l'ancien Bleu, s'il demande encore à voir si les propos ont véritablement été tenus, n'en est pas étonné :
"La France est maintenant totalement décomplexée sur le racisme. Pourquoi le foot ne serait-il pas touché ? Oui, il y a du racisme dans le foot, mais ça n'empêche pas que ce sont toujours les meilleurs qui sont sélectionnés. On l'a vu en 1998, et il y avaient des blacks et des beurs. Domenech, lui, n'a pas sélectionné de beurs en 2010, mais il a pris beaucoup de blacks."
Devenu consultant télé, Dhorasoo remarque quand même que "si la Fédé réfléchit à des quotas, c'est quand même bien la preuve que leur propre politique jusqu'alors ne marche pas. Ça pose le problème du foot dans les quartiers."