Récit d’une dynastie familiale dont l’histoire dans le sport a débuté il y a un siècle et demi. De la lutherie au tennis.
Article paru dans le magazine n°819 de mars 2022
Si la véritable saga de Babolat a bel et bien commencé en 1875, il faut remonter quelques années en arrière pour percer à jour ses racines. Tout a démarré en 1809, quai de la Pêcherie, dans l’actuel 1er arrondissement. Un artisan italien, Savaresse, crée un atelier de fabrication de cordes de lutherie. Depuis la Renaissance, Lyon est connu pour être une ville portée sur les arts. La petite manufacture de cet émigré transalpin est proche d’une grosse boucherie qui fait office d’abattoir. Cela lui permettait de recevoir les intestins de moutons, dont sont tirées les lanières destinées à la fabrication des cordes. Quelques années plus tard – historiquement, Louis-Philippe, dernier roi des Français, a abdiqué, la France vit la révolution industrielle –, Savaresse s’associe avec Jean-François Monnier. À partir de 1848, ce dernier continue seul l’aventure et devient le propriétaire du fonds de commerce. Il poursuit les cordes harmoniques pour instruments de musique, mais confectionne aussi des enveloppes à saucisses pour les charcutiers et des ligatures pour la chirurgie.
Babolat, née avec le tennis
En 1875, Jean-François Monnier s’associe avec son gendre Pierre Babolat, dont les parents, originaires du Bugey, sont charcutiers. L’entreprise déménage des quais de Saône pour le quartier de Gerland, où le coût du foncier est faible mais les inondations fréquentes (une grosse décennie plus tôt ont été construits les premiers bateaux-mouches). Les abattoirs (actuelle halle Tony-Garnier) s’installeront dans le quartier.
Cette année-là, le destin de l’entreprise, rebaptisée Monnier-Babolat, prend un tour stratégique. George Gibson Bussey, un fabricant anglais d’articles de sport (qui deviendra le plus important de Londres) commande au boyaudier lyonnais des cordes d’une longueur inédite, et d’une qualité au moins égale à celle des meilleures cordes de violoncelle, afin d’équiper des cadres de ses raquettes. Les premières règles du tennis (tirées du jeu de paume) ont été édictées, un an avant, pour la pratique sur gazon. L’engouement est alors immense. Wimbledon sera joué pour la première fois en 1877. Babolat invente donc les premiers cordages de tennis en boyaux naturels. “On est un peu né avec le tennis”, explique Lucien Noguès, mémoire vivante de Babolat, aujourd’hui responsable de la formation.
La référence Babolat
Le boyau naturel a un effet trampoline, emmagasine l’énergie et la restitue dans la balle, contrairement aux cordages en lin et en coton. Au milieu des années vingt, les “Quatre Mousquetaires” du tennis (Cochet, Lacoste, Borotra et Brugnon) réfléchissent avec la marque lyonnaise, dirigée par Albert Babolat, à un nouveau cordage. De leurs échanges naît le cordage VS (série V Supérieur). La victoire des Français en coupe Davis, face aux Américains (pourtant septuples tenants du titre), en 1927 lance la légende. L’entreprise devient Babolat-Maillot-Witt et fait office de référence en matière de cordage.
Les années cinquante voient arriver un tennis évolutif et explosif, mais aussi mondial. Tout comme Babolat. Paul, le fils d’Albert, structure son réseau de distribution internationale. L’entreprise se lance dans les cordages synthétiques, ajoutant la chimie à son métier de boyaudier. Björn Borg, grâce à ses 100 victoires dont 11 en Grand Chelem avec le cordage VS, offre une vitrine de rêve. En 1983, Yannick Noah gagne Roland-Garros avec un cordage VS. Désormais, une double ligne est apposée en bas du tamis des raquettes pour signifier que, quelle que soit la marque du cadre, celui-ci est équipé de cordages Babolat.
Babolat, dans la cour des grands
En 1980, l’entreprise stoppe définitivement la chirurgie, la charcuterie et la musique pour se consacrer pleinement aux sports de raquette. En 1994, la marque, connue des seuls professionnels, devient grand public avec Pierre Babolat, représentant la quatrième génération de la famille. Un an plus tard, la société lance la raquette de badminton. En 1998, Carlos Moyà offre le 1er titre du Grand Chelem à une raquette Babolat. Il deviendra un an plus tard numéro 1 mondial. La crédibilité de la marque est définitivement entérinée. La même année, Éric Babolat (cinquième génération), désormais à la tête de l’entreprise, continue d’innover. Babolat fait une entrée fracassante dans la cour des grands.
La marque lyonnaise se lance dans le padel (un dérivé du tennis) qui fait fureur en Espagne et en Amérique du Sud. Pendant la période 1995-2005, “Babolat prend une nouvelle dimension, explique Nicolas Benadon, responsable de la communication. L’entreprise se transforme en un acteur global du tennis en devenant équipementier.” En 2001, s’ajoutent à la panoplie les balles de tennis – qui lui permettent de toucher les clubs et ainsi de devenir incontournable – puis, deux ans plus tard, en partenariat avec Michelin, les premières chaussures de tennis. En 2005, à seulement 19 ans, Rafael Nadal remporte son premier titre en Grand Chelem, à Roland-Garros, avec la raquette Babolat AeroPro Drive, spécialement dessinée pour favoriser son lift extrême. Depuis l’âge de neuf ans, il joue avec des raquettes Babolat et son entraîneur n’est autre que... Carlos Moyà (ils sont tous les deux originaires de Majorque, dans l’archipel des Baléares). En 2019, l’Espagnol Juan Lebrón devient numéro 1 mondial de padel. Et Rafael Nadal remporte son 12e Roland-Garros. Tous deux jouent sous les couleurs de Babolat.
Aujourd’hui, si le site de production de boyaux naturels de Babolat est situé à Ploërmel, en Bretagne, à proximité des abattoirs de la région, source de la matière première, Babolat a mis sur pied un véritable écosystème de sous-traitants régionaux.
L’entreprise lyonnaise est aujourd’hui n° 1 mondiale sur les raquettes et les cordages. Sur un air de luth.
Babolat en quelques dates
1875
Dans la transformation du boyau naturel (ligature chirurgicale, charcuterie, cordes harmoniques de musique, archerie), les établissements Babolat & Monnier deviennent Babolat. C’est la première société au monde spécialisée en sports de raquette.
1925
Pour coller aux exigences (tension plus forte, corde plus fine) des premiers champions de tennis de l’histoire, Albert Babolat, qui a succédé à son père Pierre, crée la référence VS Babolat. Un cordage naturel révolutionnaire rendu célèbre par les Mousquetaires français du tennis (Jean Borotra, Jacques Brugnon, René Lacoste et Henri Cochet) et Suzanne Lenglen.
Années 1950
Le tennis étant devenu un sport mondial, Babolat devient une entreprise mondiale. Paul Babolat, représentant la troisième génération, structure le réseau de distribution internationale des produits de la marque.
Années 1980
Björn Borg, grâce à ses 100 victoires dont 11 en Grand Chelem avec le cordage VS, offre une vitrine de rêve. En 1983, Yannick Noah gagne Roland-Garros avec un cordage VS.
1994
Tournant dans l’histoire de Babolat qui se lance dans la fabrication de raquettes. Le modèle Pure Drive, iconique, est aujourd’hui la raquette la plus vendue au monde.
1995
Nouveau terrain de jeu pour Babolat qui se lance dans le badminton.
1998
Carlos Moyà offre le 1er titre du Grand Chelem à une raquette Babolat. Il deviendra un an plus tard numéro 1 mondial.
2000
Toujours à l’affût de nouvelles tendances, Babolat se lance dans le padel, venu d’Espagne et d’Amérique du Sud.
2003
En partenariat avec Michelin, la marque lance, sous l’impulsion d’Éric Babolat, le cinquième de la génération Babolat, ses premières chaussures de tennis.
2005
À 19 ans, Rafael Nadal remporte son premier titre en Grand Chelem, à Roland-Garros, avec la raquette Babolat AeroPro Drive, spécialement dessinée pour favoriser son lift extrême.
2019
L’Espagnol Lebrón devient numéro 1 mondial de padel. Et Rafael Nadal remporte son 12e Roland-Garros. Ils jouent tous deux sous les couleurs de Babolat.