à 393 après J.-C., un feu symbolique (provenant de sacrifices de bœufs) était allumé sur un autel face au temple de Zeus. Acte typiquement religieux et profondément mythologique, la flamme (comme dans bien d'autres religions d'ailleurs) permettait d'être en lien direct avec les divinités. Toutefois aucun relais de torches n'était organisé comme aujourd'hui pour annoncer la tenue des Jeux. Par contre, des hérauts, sans flambeaux, traversaient le monde hellénique pour annoncer la tenue prochaine des Jeux et surtout pour proclamer la fameuse trêve sacrée (trêve largement respectée puisqu'elle a été violée qu'une seule fois en près de 12 siècles !). Aujourd'hui (théoriquement), le parcours de la flamme à travers le monde est la transposition moderne de ces hérauts antiques.
Lors des premiers Jeux Olympiques modernes organisés à Athènes en 1896, la flamme olympique n'apparaît pas. Il faudra en effet attendre 1928 et les Jeux d'Amsterdam pour qu'une vasque surplombe le stade de la cérémonie d'ouverture. La flamme est cependant allumée sur place et non à Olympie. Le premier relais, tel que nous le connaissons aujourd'hui, avec la cérémonie d'allumage à Olympie et son parcours jusqu'à la ville organisatrice des Jeux remonte aux Jeux de 1936 à Berlin... Des jeux organisés par le régime nazi. Voici d'ailleurs le message que le rénovateur des Jeux Olympiques, Pierre de Coubertin, adresse à ces premiers relayeurs, entre Olympie et Berlin :
" Athlètes qui, dans vos mains ardentes, allez porter d'Olympie à Berlin le flambeau symbolique, je veux, puisqu'il m'est donné comme fondateur et président d'honneur des Jeux Olympiques modernes, de vous adresser le premier la parole, dire en quel esprit ma pensée vous accompagne et quelle signification j'attache votre effort. (...) Je vous confie mon message, le dernier sans doute que j'aurai à formuler. Que votre course soit heureuse. Le Comité allemand a apporté à la concevoir et à l'organiser des soins qu'apprécient toutes les nations. Elle débute par ailleurs en un lieu illustre entre tous, sous le signe de cet Hellénisme éternel qui n'a pas fini d'éclairer la route des siècles et dont les solutions antiques demeurent encore applicables à maint problème actuel. Demandez pour moi à la jeunesse assemblée à Berlin qu'elle accepte l'héritage de mon travail et qu'elle achève ce que j'ai commencé, ce que la routine et la pédanterie ambiantes m'ont empêché d'accomplir jusqu'au bout - afin que soit scellé définitivement, l'union des muscles et de la pensée pour le progrès et la dignité humaine. "
La dignité humaine, justement c'est bien ce qui pose problème en 1936...et en 2008 avec ce relais de la flamme pour les Jeux de Pékin.
La Chine et les minorités, comme à Berlin 1936 et Moscou 1980 ?
Dignité humaine pour les Tibétains ? Dignité humaine pour les paysans chassés de leurs terres pour construire les barrages hydrauliques et les infrastructures olympiques ? Dignité humaine pour les ouvriers des usines et des chantiers publics ? La liste est tristement longue, mais je voudrais plus particulièrement évoquer le sort des homosexuels de Pékin et des malades du Sida depuis quelques années et à l'approche de ces Jeux. Il y a des choses que l'on ne montre pas quand on organise les Jeux : les corps malades, les minorités et la pauvreté. On montre le pays organisateur sous son meilleur jour, c'est bien légitime lorsque le nombre de journalistes attendus se chiffre par milliers, mais quand un régime autoritaire s'occupe de l'image et de la propagande, on n'évite pas les dérapages comme les rafles et l'éloignement physique des minorités.
Pour les amateurs de théâtre, je ne peux que conseiller la lecture de la pièce écrite par Alexandre Galine intitulée 'Etoile dans le ciel du matin' et jouée en 1987. La scène se passe peut avant les Jeux Olympiques de Moscou en 1980, et les minorités tels que les prostituées et les malades psychiatriques sont évacués du centre de Moscou dans des maisons spécialisées en périphérie de la capitale. On fait place nette à l'approche des Jeux. N'y voyons pas une correspondance avec les homosexuels (et sans doute les prostitué(e)s) de Pékin ? La pièce s'achève par le passage de la flamme en direction de Moscou. Les prostituées souhaitent s'approcher de ce symbole, mais les gardiens les en empêchent... Malgré la tragédie représentée dans cette pièce, il y a bien une lueur d'espoir chez ces prostituées à la vue de la flamme olympique. Un espoir qui tendrait vers un idéal : la dignité humaine !
La position du Comité International Olympique
Même si le CIO semble commencer à s'exprimer sur le sujet, il y a, je trouve, un profond malaise avec certaines valeurs olympiques. Il faut bien dire une chose : le gouvernement chinois n'a pas respecté les engagements qu'il avait tenu dans son dossier de candidature à l'organisation des Jeux ! Pour avoir les Jeux, la Chine avait promis de belles infrastructures (mission accomplie) et des progrès en ce qui concerne les Droits de l'Homme. Je m'étonne alors du silence du CIO, puisque sa mission est de veiller au respect de l'application du contrat signé en 2001 avec la Chine. Il faudra m'expliquer pourquoi le CIO avait menacé la Grèce en 2000 de leur retirer les Jeux Olympiques de 2004, faute de garantie au niveau de l'achèvement des infrastructures, alors qu'aucune menace de ce type n'a été formulée, à ce jour, à l'encontre du gouvernement chinois. Les finitions du stade et de la piscine sont donc plus importantes que les Droits de l'Homme et la dignité humaine. Pour info, je rappelle quelques passages des Principes Fondamentaux de la Charte Olympique :
Article 1 : L'olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l'esprit. Alliant le sport à la culture et à l'éducation, l'Olympisme se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels.
Article 2 : Le but de l'Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l'homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine.
Enfin, un dernier point avant de conclure, sur la position de Pierre de Coubertin par rapport aux homosexuels. Lors d'une conférence, le 18 avril 1887, sur le thème de " l'éducation anglaise ", le baron explique que l'introduction du sport dans l'enseignement secondaire français permettrait de résoudre deux problèmes majeurs : le surmenage et le vice dans les internats, autrement dit l'onanisme et l'homosexualité ! J'aime les Jeux Olympiques et j'aime les Chinois, mais je crois qu'ils méritent mieux, comme les tibétains et les minorités de ce pays. La flamme qui parcourt le monde actuellement n'est plus perçue comme la flamme olympique porteuse de valeurs mais comme la flamme de l'enfer et de l'oppression. A quoi bon continuer son périple ? En disant cela, je ne souhaite pas l'extinction des Jeux Olympiques, bien au contraire, je souhaite que le Comité International Olympique se remette en question, sur un certain nombre de valeurs fondamentales, et rapidement, il en va de la crédibilité de l'institution. Le choix de la station balnéaire russe de Sotchi en 2014 pour les Jeux d'hiver suscite déjà de très nombreuses interrogations.
Si l'on continue, il y a aura bientôt plus d'honneur à ne pas organiser les Jeux Olympiques ! Triste perspective. J'ai quand même l'espoir, peut être un espoir aussi naïf que ces prostituées voyant au loin la flamme de Moscou dans la pièce de Galine, qu'un jour seules les véritables candidatures humanistes seront récompensées par les véritables dieux de l'Olympe.
Sylvain Bouchet.
Doctorant - historien de l'Olympis